Passer au contenu

Le projet de « crowdfunding » (financement participatif) de la CVMO reçoit des commentaires favorables

Auteur(s) : Matthew T. Oliver, Shahir Guindi Ad. E., Hugo-Pierre Gagnon, Justin Dharamdial

15 mai 2013

Le 8 mars 2013, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) a mis fin à la période de commentaires sur le document de consultation 45-710 portant sur l’examen de nouvelles dispenses de prospectus pour la mobilisation de fonds (le document de consultation), qui sollicitait les commentaires des parties intéressées relativement aux modifications projetées à la législation en vigueur sur les dispenses de prospectus. Le document de consultation s’inscrit dans l’examen de la CVMO des règles régissant le placement de titres sur le marché dispensé. Le document de consultation comportait notamment un examen de la dispense de prospectus en vue de permettre le « crowdfunding » (financement participatif). Essentiellement, le document de consultation considère le financement participatif comme un moyen pour une entreprise de réunir des capitaux de démarrage en vendant ses titres au public, sans avoir à assumer la lourde tâche de produire un prospectus, ce qui s’apparente au régime de la loi intitulée Jumpstart Our Business Startups Act (la loi JOBS), adopté par le Congrès américain en avril 2012.

La présente édition d’Actualités Osler donne un bref aperçu du financement participatif, suivi d’une synthèse de la réaction des parties intéressées et des grands débats découlant de cette consultation.

Qu’est-ce que le financement participatif?

Le financement participatif est une nouvelle façon de financer un projet par la mise en commun de petites contributions individuelles. Pour mettre en relation les demandeurs de fonds et les fournisseurs de capital, le financement participatif recourt à Internet, et plus particulièrement, aux médias sociaux. En fait, si vous avez un projet ou un plan d’affaires qui nécessite du financement, vous pouvez présenter votre idée à la « foule » par l’entremise du portail d’un site Web, en demandant à la foule de contribuer financièrement à votre entreprise. Si votre idée suscite de l’intérêt, les contributeurs peuvent en faire la promotion dans leurs réseaux de médias sociaux, ce qui fait augmenter le volume du capital potentiel.

Il existe quelques modèles de financement participatif dont peuvent se prévaloir les demandeurs de fonds :

  • Le modèle sous forme de dons : les bailleurs de fonds financent le projet d’une entreprise, sans engagement en retour, à part la promesse de réaliser le projet. Ce modèle est habituellement utilisé pour financer le secours à des sinistrés, des campagnes électorales et des projets artistiques.  
  • Le modèle sous forme de récompenses : les bailleurs de fonds financent un projet, parfois une entreprise, en échange d’avantages non pécuniaires, comme le privilège de commander les produits d’une entreprise à l’avance, un rabais sur un produit ou l’accès à du contenu exclusif. Ce modèle est habituellement utilisé pour financer les premiers stades du développement d’un produit technologique novateur, comme des montres programmables, des applications pour téléphone et des jeux vidéo.
  • Le modèle sous forme d’investissements : les bailleurs de fonds fournissent du capital en échange d’une participation dans l’entreprise. Les investisseurs peuvent aussi assurer le financement sous forme de prêt. Ce modèle pourrait être utilisé pour fournir du capital de départ à une entreprise.  

De nombreux sites Web ont été créés pour faciliter l’utilisation de ces modèles de financement de projets. Deloitte prédit que ces sites Web (c.-à-d. les portails de financement) réuniront pour 3 milliards de dollars de capitaux à l’échelle mondiale en 2013, soit le double de la somme de 1,5 milliard de dollars qui a été réunie en 2011.1 Le financement participatif comme moyen de mobiliser des fonds en échange d’une participation dans une entreprise (c.-à-d. le modèle sous forme d’investissements) a été légitimé aux États-Unis, en vertu de la loi JOBS.Actuellement, le financement participatif en capital ne répond pas aux exigences relatives à la dispense de prospectus, aux termes du droit canadien sur les valeurs mobilières. Pour le moment, une entreprise canadienne qui ne veut pas émettre de prospectus se voit interdire le financement participatif sous forme d’investissements, à moins qu’elle ne puisse se prévaloir de l’une des rares dispenses de prospectus existant déjà (p. ex., dans le cas d’un investisseur accrédité, d’un membre de la famille ou d’amis). Les modèles sous forme de dons et de récompenses ne mettent pas en cause des valeurs mobilières, et ne sont donc pas assujettis aux lois sur les valeurs mobilières. Par conséquent, le document de consultation n’y fait pas allusion.

Réactions aux questions soulevées dans le document de consultation de la CVMO

Le modèle de financement participatif proposé par la CVMO dans le document de consultation vise la légalisation et la réglementation du financement participatif en capital en Ontario.

La CVMO a reçu 100 lettres de commentaires apportant de la rétroaction sur les questions et les préoccupations présentées dans le document de consultation. Même si, en général, les commentaires sur la dispense de prospectus dans le cadre du financement participatif appuyaient le projet, une minorité des parties intéressées a exprimé l’opinion que cette dispense n’était pas justifiée, car la réglementation ne pourrait pas traiter adéquatement les préoccupations relatives à la protection des investisseurs. Ceux qui souhaitent l’établissement de la dispense de prospectus pour le financement participatif considèrent ce mode de financement comme un moyen de stimuler l’innovation et de « démocratiser » les marchés. Les réactions les plus marquantes des parties intéressées aux questions importantes de la consultation sont résumées ci-dessous.  

  1. Une dispense pour autoriser le financement participatif serait-elle utile aux émetteurs, particulièrement les petites et moyennes entreprises (PME), dans la mobilisation de fonds?
  • Cela augmenterait la disponibilité du capital à investir dans les PME. Les parties intéressées ont repéré une lacune dans le financement de projets de l’ordre de 1 M$ à 2 M$. Une dispense autorisant le financement participatif réglerait cette question en augmentant le volume de capital disponible : l’un des intervenants estime que cela équivaudrait à 20 fois le volume de capital de risque institutionnel actuel.  
  • En engageant des fonds dans un projet, les contributeurs pourraient également entraîner la validation d’un produit sur le marché, avantage qui dépasse ce qu’une société de capital de risque pourrait procurer.  
  • Mobiliser des fonds par le financement participatif pourrait être plus efficace que de compter sur des réseaux de contacts informels, et cela permettrait aux entrepreneurs de se concentrer sur le développement de leurs idées.  
  • Les émetteurs peuvent craindre de s’engager dans une structure de gouvernance complexe, à un stade précoce de l’entreprise. Le financement participatif en capital peut attirer des milliers d’actionnaires, détenant chacun une participation fractionnaire dans l’entreprise. Cela pourrait compliquer l’exécution des affaires courantes de l’entreprise ainsi que l’obtention de financement futur. Même si les investisseurs en actions se voient remettre des actions sans droit de vote, le droit des sociétés accorde aux actionnaires le droit de vote à l’égard de certains changements fondamentaux. Des commentateurs ont dit qu’une des solutions possibles serait d’utiliser un modèle de fiducie et de remettre aux investisseurs qui veulent participer aux bénéfices des parts, plutôt que des actions. Le financement participatif sous forme d’instrument d’emprunt pose moins de problèmes, du point de vue de la gouvernance d’entreprise.
  1. Les questions relatives à la protection des investisseurs dans le cadre du financement participatif peuvent-elles être réglées, et dans l’affirmative, de quelle façon?
  • De nombreux intervenants ont fait écho à ce que la CVMO avait avancé concernant la protection des investisseurs : ils ont suggéré l’émission de certains types de titres uniquement (pas de produits dérivés ou hybrides), l’imposition de limites aux montants des investissements par entreprise, l’imposition de limites sur le montant total investi dans le financement participatif par investisseur, la communication de renseignements sur l’entreprise au point de vente, la reconnaissance des risques par l’investisseur, et l’attribution aux portails de financement du rôle de contrôleurs d’accès afin d’assurer la conformité de l’émetteur aux règlements sur le financement participatif.
  • Certains commentateurs ont laissé entendre que les plus solides protections des investisseurs ne proviendraient pas de la réglementation, mais plutôt de la puissance des médias sociaux. Les émetteurs en quête de capital au moyen du financement participatif ne seraient pas anonymes; il s’agirait plutôt d’acteurs bien connus, grâce à leur interaction avec les médias sociaux. Et les médias sociaux seraient en mesure d’utiliser la puissance de la foule pour mettre au jour les émetteurs qui fraudent. Ultimement, ont-ils dit, ce serait une forte mesure de dissuasion à commettre une fraude.  
  • Ceux que le financement participatif laisse sceptiques ont apporté des arguments tels que les bulles spéculatives (comme celles de la crise des tulipes hollandaises ou des prêts hypothécaires à risque) pour réfuter que les foules seraient des investisseurs avisés. En raison de la moindre importance d’un investissement dans un financement participatif, les sceptiques ont soutenu que les particuliers n’auraient pas de justification économique à effectuer d’importants contrôles préalables dans un projet, et que leurs investissements ne seraient fondés que sur de la pure spéculation. Étant donné la faible taille des investissements, on ferait rarement respecter les règles contre les déclarations inexactes, dans les documents d’information. Un commentateur a laissé entendre que même si une réglementation était appliquée, il resterait un important risque résiduel de fraude ou d’illiquidité.
  1. Ne craint-on pas que les investisseurs individuels ne fassent des placements non liquides et que l’éventail d’options de monétisation de leurs placements ne soit très restreint?
  • Tous les commentateurs ont convenu que la liquidité des placements dans le financement participatif suscitait des préoccupations.
  • De nombreux commentateurs ont convenu que les investisseurs dans le financement participatif devraient être en mesure de vendre leurs titres sur le marché dispensé déjà existant. Par exemple, si une société de capital de risque, admissible comme investisseur accrédité, désire acquérir une participation dans une opération de financement participatif, elle devrait être autorisée à le faire.
  • Une suggestion plus ambitieuse vise la création d’un marché distinct pour les investissements dans le financement participatif.
  • Certains commentateurs ont laissé entendre que, pourvu que l’illiquidité soit comprise et reconnue, et que le montant que les investisseurs sont autorisés à engager dans une opération de financement participatif soit limité, l’illiquidité ne devrait guère constituer une préoccupation.  
  1. Les émetteurs qui s’appuient sur cette dispense devraient-ils être tenus de communiquer de l’information continue aux investisseurs? Le cas échéant, quelle forme cette communication devrait-elle prendre?
  • Un commentateur a soutenu qu’il n’est pas nécessaire de prévoir la communication d’information continue parce que les règles sur la revente de titres placés en vertu d’une dispense de prospectus prévoient la communication continue aux fins d’autorisation à la revente.  
  • Certaines formes de communication d’information continue pourraient jouer un rôle en tenant les émetteurs redevables envers les investisseurs de l’utilisation des produits. Les investisseurs pourraient être intéressés à connaître l’état de projets, comme les étapes importantes qui ont été franchies et les livrables qui ont été réalisés.
  • Les portails de financement participatif pourraient être tenus d’héberger la communication d’information continue.
  1. Quels renseignements devraient être fournis aux investisseurs au moment de la vente, comme condition à cette dispense? Ces renseignements devraient-ils être certifiés, et par qui?
  • La plupart des intervenants ont convenu que la communication d’information au moment de la vente devrait comporter quelques éléments essentiels : une déclaration sur l’utilisation prévue des fonds, des détails sur les mandants, les propriétaires et les gestionnaires de l’entreprise (y compris la vérification des références, les cv et les détails de la rémunération des dirigeants), les états financiers, un tableau détaillant la structure du capital actuelle de l’entreprise, la communication des préoccupations relatives à la liquidité et un rapport sur les risques associés à l’entreprise.  
  • Il pourrait y avoir certains débats quant au fait que les états financiers seraient vérifiés par un comptable agréé ou simplement certifiés par la direction.
  • Parmi les nouvelles suggestions, on compte celle qui exigerait des émetteurs qu’ils communiquent l’information sur l’entreprise sous forme d’une brève vidéo ou d’une présentation PowerPoint, à titre de supplément aux autres documents communiqués en vertu de la loi, en vue de vulgariser cette information à l’intention des investisseurs non avertis.
  1. Devrions-nous permettre les investissements par l’entremise d’un portail de financement (semblable à ceux qui sont envisagés dans le cadre de la dispense pour financement participatif dans la loi JOBS)? Le cas échéant, quelles obligations un portail de financement devrait-il avoir?  
  • Les intervenants qui ont donné leur accord de principe à la dispense pour le financement participatif ont également convenu que les investissements devraient se faire par l’entremise d’un portail de financement. Étant donné que les portails de financement s’engageraient dans la présentation d’occasions de placement aux investisseurs et dans l’appariement des émetteurs avec les investisseurs, ils seraient probablement tenus de se conformer à certaines exigences relatives aux courtiers ou aux conseillers, en vertu des lois sur les valeurs mobilières.
  • Certains commentateurs ont appuyé la création d’une nouvelle catégorie de déclarants, dont les responsabilités seraient établies en fonction de la plateforme. Par exemple, si, ultimement, les portails sont appelés à jouer un rôle passif dans le processus d’appariement des investisseurs et des émetteurs, il serait alors inapproprié d’exiger que le portail évalue la convenance d’un produit pour un investisseur.   
  • Il se peut que les portails soient tenus de remplir diverses fonctions visant la protection des investisseurs. Parmi les suggestions proposées, il y a celle selon laquelle les portails seraient tenus de garder les fonds des investisseurs dans un compte jusqu’à ce qu’un certain seuil de financement soit atteint. Une autre propose que les portails de financement participatif soient tenus de faciliter les communications entre les actionnaires et les investisseurs; ils agiraient ainsi comme des plateformes de médias sociaux régies par la loi.
  • Tous les intervenants qui ont fait des commentaires ont convenu que les portails de financement participatif devraient faciliter la tenue de contrôles préalables par les investisseurs, en servant de dépôts d’information financière sur les émetteurs.

Regard sur l’avenir

Les Canadiens qui s’intéressent au financement participatif porteront une attention particulière à la Securities and Exchange Commission des États-Unis, qui devrait bientôt édicter des règles de mise en œuvre d’un régime de financement participatif en vertu de la loi JOBS. Bien que certains autres territoires de compétence, comme l’Australie et le Royaume-Uni, autorisent certaines formes de financement participatif depuis un certain temps, les organismes de réglementation canadiens en valeurs mobilières en sont encore à soupeser si les avantages potentiels de cette forme de financement sont plus importants que les préoccupations qu’elle suscite en matière de protection des investisseurs et de réglementation. Les organismes de réglementation d’autres territoires de compétence au Canada, notamment l’Autorité des marchés financiers, au Québec, ont aussi fait appel au public pour évaluer son intérêt à l’égard du financement participatif.

Il importe de noter que la CVMO a sollicité des commentaires par voie d’un document de consultation, plutôt que dans le cadre d’un projet de règlement, et que la CVMO a clairement indiqué que le projet de dispense de prospectus pour le financement participatif était un « concept » ne servant qu’à des fins de discussion. La CVMO conserve le pouvoir discrétionnaire de décider si elle créera une dispense pour le financement participatif en tant que projet de règlement. Cela signifie qu’après examen des commentaires, la CVMO pourrait décider de ne pas donner suite à l’établissement d’une dispense pour financement participatif. À l’heure actuelle, le CVMO n’est pas prête à se prononcer sur les mesures qu’elle entend prendre. 

Nous allons surveiller comment les autorités de réglementation canadiennes en valeurs mobilières iront de l’avant dans leur examen de la dispense de prospectus pour le financement participatif et nous ferons le point dès que de nouveaux renseignements seront disponibles.

Pour plus de renseignements sur ce sujet, n’hésitez pas à communiquer avec Shahir Guindi ou Ward Sellers.


1  Deloitte, Unissons nos forces : les portails de financement participatif sont payants.