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Réforme de la fiscalité internationale par l’OCDE et le G20 : Incidence éventuelle sur les sociétés canadiennes

19 juillet 2013

Le 19 juillet, l’OCDE a transmis aux membres du G20 son Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices qui présente 15 recommandations précises visant une réforme de la fiscalité internationale. L’OCDE s’attend à ce que la mise en œuvre du Plan d’action soit largement terminée d’ici deux ans, et compte inviter les pays du G20 qui ne sont pas membres de l’OCDE à y participer. Si l’on s’y conforme, ces recommandations auront une incidence importante sur les activités des entreprises partout dans le monde, notamment en ce qui a trait aux entités et aux instruments hybrides, aux règles anti-report, à la déductibilité des frais financiers, aux pratiques fiscales préférentielles dommageables, à l’utilisation abusive des conventions fiscales, à l’imposition des bénéfices du commerce numérique, aux prix de transfert, à la communication de renseignements sur la planification fiscale agressive ainsi qu’à la cueillette et à l’utilisation de l’information fiscale internationale. La présente mise à jour résume ces recommandations et indique quelques-unes des incidences qu’elles pourraient avoir sur les sociétés canadiennes.

Contexte

Le Plan d’action fait écho aux préoccupations grandissantes soulevées à l’échelle internationale concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). De manière générale, BEPS désigne les stratégies de planification fiscale qui exploitent les différences entre les règles fiscales intérieures et les normes internationales, qui permettent de transférer des bénéfices vers des pays ou territoires où le traitement fiscal est avantageux et où les entreprises n’exercent pas ou à peu près pas d’activités économiques. L’OCDE a lancé le projet BEPS en 2012 afin d’examiner les règles fiscales qui autorisent le transfert de bénéfices imposables depuis le lieu où les entreprises exercent leurs activités. Le projet BEPS a pris de l’ampleur dernièrement dans plusieurs pays grâce à l’attention accrue que les gouvernements et les médias portent aux questions fiscales internationales. En février 2013, l’OCDE a publié son rapport intitulé Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (le rapport BEPS), qui reconnaît que l’érosion de la base d’imposition « fait peser des risques réels menaces sur les recettes, la souveraineté et l’équité fiscales, dans les pays membres de l’OCDE comme des pays non membres ». Le rapport BEPS présente les données recueillies sur l’existence et l’importance des possibilités d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices, et donne un aperçu des principes fondamentaux qui sous-tendent l’imposition des activités transfrontalières qui créent ces possibilités.

Le rapport BEPS dégage six « domaines dans lesquels les pressions sont les plus fortes » et qui exigent une étude et une analyse approfondies :

  • les montages hybrides (la qualification des entités et des instruments);
  • les prix de transfert (particulièrement le transfert des risques et des actifs incorporels);
  • les biens et services numériques (y compris l’application des conventions);
  • l’efficacité des mesures de lutte contre l’évasion fiscale (les règles générales anti-évitement, les régimes de sociétés étrangères contrôlées (SEC), les règles en matière de sous-capitalisation et les restrictions imposées aux avantages);
  • le financement par emprunt entre parties apparentées (emprunts, assurance captive);
  • l’existence de régimes préférentiels dommageables.

L’OCDE a déjà étudié des questions fiscales internationales similaires dans le passé, et au moyen de listes de pays peu coopératifs, cette étude a entraîné une hausse marquée du nombre d’accords bilatéraux d’échange de renseignements à des fins fiscales, à une régression du secret bancaire et à l’augmentation de la transparence. En 2011 par exemple, l’OCDE a publié Lutter contre la planification fiscale agressive par l’amélioration de la transparence et de la communication de renseignements, qui met l’accent sur une meilleure évaluation des risques en matière de conformité fiscale. En 2012, l’OCDE a publié Dispositifs hybrides : Questions de politique et de discipline fiscales. De plus, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales compte maintenant 120 membres.

Indépendamment de ces faits nouveaux, le rapport BEPS donne à penser que les normes fiscales internationales en vigueur n’ont peut-être pas suivi le rythme de l’évolution des pratiques commerciales mondiales, et qu’elles créent pour les contribuables des occasions de tirer profit des asymétries entre les règles fiscales nationales et internationales. Le rapport recommande la conception d’une approche globale de l’enjeu BEPS qui agirait, par exemple, sur l’équilibre entre l’imposition dans le pays de départ et le pays de résidence, le traitement fiscal des transactions financières intragroupe, la mise en œuvre de dispositions de lutte contre l’utilisation abusive des conventions fiscales, notamment de la législation sur les SEC, ainsi que les règles en matière de prix de transfert. Le rapport attire l’attention sur le fait que la coordination entre les pays constituera la clé de la mise en œuvre d’une solution, et recommande l’élaboration d’un plan d’action afin d’aborder l’ensemble des enjeux de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices.

Dans le cadre de leur réunion de février 2013, les ministres des Finances du G20 se sont dit fortement en faveur du rapport BEPS et ont insisté vivement pour qu’on élabore le Plan d’action avant leur réunion de juillet 2013. Le 29 mai 2013, l’OCDE a adopté une Déclaration sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, signée par 39 pays (y compris plusieurs pays qui ne sont pas membres de l’OCDE) ainsi que l’Union européenne. Les signataires ont déclaré qu’il faut contrer l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices immédiatement, convenu de collaborer à l’évaluation des enjeux et à la mise au point de solutions possibles pour relever les défis de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices, ordonné l’élaboration du Plan d’action et souligné la nécessité de faire évoluer ce Plan d’action en temps voulu et de manière inclusive.

Le Plan d’action

Conformément aux attentes, le Plan d’action exige une approche globale de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices. Le Plan d’action reconnaît que l’efficacité du processus exige la participation de pays qui ne sont pas membres de l’OCDE et propose de lancer le « projet BEPS » puis d’inviter les pays du G20 qui ne sont pas membres de l’OCDE à y participer sur un pied d’égalité. C’est important puisque les pays du BRIC ne sont pas membres de l’OCDE et qu’autrement, ils auraient participé aux initiatives de l’OCDE à titre d’observateurs sans droit de vote.

Le Plan d’action « préconise une révision en profondeur des mécanismes en vigueur et l’adoption de nouvelles approches consensuelles » afin de contrer l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.Le Plan d’action formule 15 recommandations précises qui portent sur les points suivants : (a) l’économie numérique, (b) la cohérence internationale en matière de fiscalité des sociétés, (c) les normes internationales (y compris celles qui s’appliquent aux prix de transfert), (d) la transparence et (e) la mise en œuvre des mesures.

Le Plan d’action propose que l’on mette en œuvre l’essentiel des recommandations sur une période de deux ans, admettant que certains éléments (où les travaux sont déjà avancés) seront traités plus rapidement tandis que d’autres demanderont plus de temps.

Vous trouverez dans le tableau à la fin du présent numéro d’Actualités Osler un résumé des recommandations formulées dans le Plan d’action de même que les délais de mise en œuvre proposés.

(a) L’économie numérique

Action 1 — Relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique

Le Plan d’action mentionne les difficultés particulières posées par l’économie numérique en isolant celle-ci parce qu’elle suscite des préoccupations particulières, bien que les recommandations dans ce domaine soient étroitement liées à d’autres actions et qu’elles puissent les chevaucher. Il recommande la mise sur pied d’un groupe de réflexion consacré à l’économie numérique, qui sera chargé de recenser les principales difficultés provenant des modèles économiques et des environnements qui sont nouveaux et changeants dans l’économie numérique, et de suggérer d’éventuelles mesures pour y remédier.

Le Plan d’action suggère au groupe de réflexion d’examiner une liste non limitative de sources de préoccupation dans ce domaine. Par exemple, une société peut être en mesure d’éviter une obligation fiscale dans un pays où elle a une forte cyberprésence, parce que les régimes traditionnels découlant du droit interne et des conventions — plus particulièrement les seuils de reconnaissance d’un établissement stable (ES) fixés en fonction de la présence physique — s’appuient sur les modèles d’affaires classiques et ne sont pas adaptés pour composer avec l’économie numérique. Ce serait le cas d’une société qui dirige ses activités de vente au détail en ligne, tirant d’importants revenus de clients dans un pays, mais n’exploitant dans ce pays qu’un entrepôt, et seulement pour les biens destinés aux clients de ce pays. Actuellement, une installation d’entreposage de ce type (un « stock de marchandises ») est exclue de la définition d’ES aux termes du Modèle de convention fiscale de l’OCDE (le Modèle de l’OCDE). En conséquence, en vertu de la plupart des conventions fiscales, les bénéfices que ce commerce de détail a générés en ligne seraient exemptés de l’impôt sur le bénéfice de ce pays.

Voici quelques-unes des autres sources de préoccupation qui ressortent du Plan d’action :

  • la qualification du revenu tiré des nouveaux modèles d’affaires;
  • l’attribution de la valeur générée par la création de données géolocalisées grâce aux activités numériques;
  • l’application des règles du pays de départ et la taxation indirecte des biens et services numériques.

(b) Œuvrer à la cohérence internationale de la fiscalité des sociétés

Le Plan d’action établit quatre actions visant à réaliser « un ensemble entièrement nouveau de normes destinées à établir une cohérence internationale en fiscalité des sociétés ». Ces actions sont centrées sur la neutralisation des effets des dispositifs hybrides, le renforcement des règles relatives aux SEC, la limitation de l’érosion de la base d’imposition qui découle des déductions d’intérêts ou des autres frais financiers, enfin la lutte plus efficace contre les pratiques fiscales dommageables.

Action 2 — Neutraliser les effets des montages hybrides

Les entités et les instruments hybrides sont ceux qui profitent des différences entre les régimes fiscaux, entraînant la non-imposition double (ou mondiale) du revenu. Par exemple, si une société est considérée comme transparente sur le plan fiscal par le pays de résidence de la société mère, mais reconnue comme une société imposable dans le pays où elle tire ses revenus, les paiements (les paiements d’intérêt, par exemple) que l’entité destine à la société mère sont déductibles dans le pays de départ sans être comptabilisés au titre des revenus dans le pays de la société mère. De même, il se peut que le pays de départ considère qu’un investissement hybride dans une société est une dette, donnant lieu à des versements d’intérêt déductibles que le pays de la société mère peut assimiler à un revenu de dividende non imposable.

Pour contrer ces possibilités d’arbitrage et d’autres possibilités similaires qui découlent des dispositifs hybrides, l’action 2 préconise la neutralisation des effets (double non-imposition, double déduction et report à long terme, par exemple) des instruments et des entités hybrides. Cette neutralisation sera réalisée multilatéralement et intérieurement. Sur le plan multilatéral, on mettra au point des révisions visant le Modèle de l’OCDE. Ces modifications feront en sorte que les montages hybrides (ou entités ayant la double résidence) ne puissent pas servir à obtenir indûment des avantages prévus aux conventions. L’apport de ces révisions sera coordonné avec la mise en œuvre des recommandations concernant les règles fiscales intérieures, en particulier celles qui (a) empêchent la non-comptabilisation ou l’exonération de paiements déductibles par leur auteur, (b) refusent l’admission en déduction de paiements qui ne sont pas imposables entre les mains du bénéficiaire (directement ou indirectement dans cadre des règles sur les SEC), et (c) refusent l’admission en déduction de sommes qui sont également déductibles dans un autre pays ou territoire. Le Plan d’action admet que les pays ou territoires devront se coordonner, relativement aux principes de départage, par exemple, si deux pays ou plus cherchent à appliquer leurs règles à une transaction ou à une structure particulière.

Le Canada a déjà abordé les dispositifs hybrides en apportant des modifications à sa convention fiscale bilatérale avec les États-Unis (et en particulier à l’article IV (7)), et en mettant en place de nouvelles règles sur les « générateurs de crédit pour impôt étranger ».

Action 3 — Renforcer les règles relatives aux SEC

Les règles relatives aux SEC sont des règles anti-report visant à prévenir le report indu d’impôt sur le revenu qui est transféré à une entité dans un pays où l’impôt est faible, en particulier où le revenu est passif ou mobile et où le contribuable n’a pas vraiment de relation économique avec le pays où l’impôt est faible. De manière générale, ces règles servent à imposer dans le pays d’attache le revenu produit dans le pays ou territoire à faible taux d’imposition sur une base courante (c’est-à-dire dans l’année où il a été gagné, que le revenu ait été rapatrié ou non).

Le Plan d’action préconise la formulation de recommandations concernant l’élaboration de règles relatives aux SEC afin de contrer l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices dans leur ensemble, et en coordination avec les autres actions du Plan d’action.

Le Canada s’est doté d’un ensemble sophistiqué de règles relatives aux SEC, principalement le régime « revenus étrangers accumulés, tirés de biens » (RÉATB). Ces règles visent à trouver le juste milieu entre la prévention du report indu d’impôt sur certains revenus, tout en favorisant — ou du moins ne gênant pas — la compétitivité des multinationales canadiennes sur les marchés internationaux. On y arrive en excluant des RÉATB les revenus provenant d’une entreprise exploitée activement.. De surcroît, le Canada s’est donné d’autres dispositions anti-report applicables aux biens de fonds de placement non-résident et aux fiducies non résidentes.

Action 4 — Limiter l’érosion de la base d’imposition via les déductions d’intérêts et autres frais financiers

Le Plan d’action considère que la déduction excessive de versements d’intérêt (et de paiements similaires, comme les commissions de garantie, les paiements au titre d’ententes relatives aux instruments dérivés et les primes d’assurance) est une source de préoccupation. Du point de vue de l’investissement sortant, les paiements excessifs d’une entité apparentée peuvent procurer une déduction dans un pays de départ où les impôts sont élevés et n’être assujettis à aucun ou à presque aucun impôt dans le pays ou le territoire du bénéficiaire. Du point de vue de l’investissement entrant, la dette contractée pour investir dans des activités extranationales peut donner lieu à une déduction d’intérêt dans le pays de résidence, tandis que le revenu étranger peut profiter d’une exonération ou d’un régime de report.

Le Plan d’action demande de formuler des recommandations visant des pratiques exemplaires en matière d’élaboration de règles sur la prévention de l’érosion de la base d’imposition par le recours aux charges d’intérêts et à d’autres frais financiers économiquement équivalents. Le Plan désigne comme un exemple de pratique qu’il ciblera le recours à l’emprunt auprès d’une partie apparentée ou d’une tierce partie en vue de réaliser des déductions excessives d’intérêts ou de financer la production d’un revenu exonéré ou différé. Les travaux permettront d’évaluer l’efficacité de différents types de restrictions. Ils permettront également d’établir des lignes directrices relatives aux prix de transfert dans le cadre de transactions financières entre parties apparentées. Les travaux sur les déductions d’intérêt et autres frais financiers seront menés en coordination avec ceux qui sont consacrés aux montages hybrides et aux règles relatives aux SEC.

Le Canada dispose actuellement de plusieurs outils pour contrer les déductions d’intérêt excessives du point de vue de l’investissement entrant, comme les règles relatives à la capitalisation restreinte visant les versements d’intérêt entre entités apparentées (qui ont fait l’objet de modifications récentes afin de ramener le ratio d’endettement de 2:1 à 1,5:1 et d’élargir le champ d’application à une catégorie plus large de contribuables) et les règles sur les prix de transfert. Toutefois, les recommandations formulées dans cette section, si elles sont mises en œuvre, pourraient durcir encore ces règles et entraîner leur application à une gamme plus large de transactions financières. En 2007, le Canada a proposé de limiter pour les sociétés affiliées étrangères la disponibilité d’une déduction d’intérêt de source canadienne liée aux mécanismes de cumul de déductions, mais il a retiré ces propositions avant qu’elles n’entrent en vigueur. Les propositions ont été remplacées ultérieurement par les règles sur les opérations de transfert de sociétés étrangères affiliées adoptées dernièrement, qui ouvrent un volet sur les investissements entrants et un sur les investissements sortants. Ces règles découragent les sociétés canadiennes d’affecter de l’argent emprunté à certains investissements dans des filiales étrangères qui autrement occasionneraient des charges d’intérêt déductibles ainsi qu’à des dividendes non imposables provenant de surplus exonérés.

Action 5 — Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance

Le Plan d’action prévoit la poursuite et la réorganisation des travaux sur les pratiques fiscales dommageables, qui pourraient englober la réduction des taux d’imposition de certains types de revenus des sociétés, comme les dépôts de fonds, applicables aux intérêts ou aux revenus produits par des actifs incorporels qui risquent de faciliter ou même d’encourager l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Les travaux donneront la priorité à l’amélioration de la transparence relativement à ces régimes, notamment par le biais de l’échange spontané obligatoire d’information sur les décisions relatives à des régimes préférentiels, ainsi qu’à l’obligation de requérir une activité substantielle pour l’instauration de tout régime préférentiel.

Le Canada a déjà supprimé différents régimes d’imposition préférentiels, ses règles sur les SPNR (les sociétés de placement appartenant à des non-résidents), par exemple, et (dans le budget fédéral de 2013) ses règles relatives aux centres bancaires internationaux.

(c) Normes internationales

L’objectif des actions de cette section (la prévention de l’utilisation abusive des conventions fiscales et les modifications à la définition d’ES) est d’adapter les règles relatives aux conventions fiscales en vigueur afin d’éviter l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Action 6 — Empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales

L’« interposition », entre le pays de résidence et le pays de départ, d’entités qui résident dans un pays tiers, est un sujet qui préoccupe l’OCDE. Elle peut entraîner ou faciliter une réduction de l’impôt dans le cadre de conventions fiscales bilatérales — par exemple, dans le champ d’application de la convention entre le pays de départ et le pays tiers. Voici quelques-uns des sujets que l’Organisation a circonscrits :

  • les filiales faiblement imposées d’une entreprise étrangère;
  • le recours à des sociétés-relais;
  • le transfert de bénéfices par le biais d’accords de prix de transfert;
  • les prêts intragroupe.

Le Plan d’action suggère (a) la mise au point de dispositions conventionnelles modèles et (b) la formulation de recommandations pour l’élaboration de règles nationales, afin de prévenir, dans les deux cas, l’octroi d’avantages prévus aux conventions dans des situations où cela est inapproprié.

De son côté, le Canada annoncé dans son budget de 2013 son intention d’étudier le « chalandage fiscal » (dont il est question dans notre Info Budget 2013 en bref). Dernièrement, des représentants du ministère des Finances ont indiqué que les consultations proposées prendront en compte la forme que ces mesures devraient prendre plutôt que le caractère éventuel de ces mesures. On s’attend à ce que le gouvernement tienne compte des recommandations du Plan d’action lorsqu’il mènera ses consultations sur le chalandage fiscal.

Action 7 — Modifier la définition de l’ES de manière à empêcher qu’une installation puisse échapper artificiellement à ce statut

Le Plan d’action cerne les deux enjeux suivants.

  • La capacité qu’ont les sociétés non résidentes de vendre des biens dans un pays de départ sans ES, même si elles recourent aux employés d’une filiale locale pour négocier les contrats. Bien que les « accords de commissionnaire » soient concernés, des accords similaires sont également susceptibles d’être inclus.
  • La fragmentation des activités commerciales entre sociétés apparentées afin de pouvoir prétendre à l’exception au statut d’ES prévue en cas d’activités de caractère préparatoire ou auxiliaire.

Le Plan d’action demande que l’on modifie la définition d’ES de manière à empêcher qu’une installation puisse échapper artificiellement à ce statut, dans l’optique de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices, notamment par l’utilisation d’accords de commissionnaire et le recours aux exemptions dont bénéficient des activités spécifiques. Les travaux sur ces questions devront également traiter les aspects connexes liés à l’attribution des bénéfices.

On s’attend à ce que les travaux de l’action 1 (économie numérique) permettent de se pencher sur les seuils de reconnaissance d’un ES de façon à ce que les modifications à la définition d’ES provenant du Plan d’action permettent d’élargir la définition à laquelle l’action 7 fait référence.

Prix de transfert

Le prix de transfert est le prix auquel une entreprise transfère des biens physiques et des actifs incorporels ou fournit des services à une entreprise associée. Les pays qui suivent le Modèle de l’OCDE dans leurs réseaux de conventions fiscales acceptent d’imposer chaque entreprise faisant partie d’un groupe multinational en tant qu’entité séparée selon le principe de pleine concurrence — à savoir que les modalités des transactions transfrontalières entre elles se conforment aux modalités qu’elles auraient fixées en régime de concurrence. L’OCDE a établi des lignes directrices pour aider les administrations fiscales et les groupes multinationaux à interpréter et à appliquer le principe de pleine concurrence.

Le rapport BEPS exprime des préoccupations à l’effet que les lignes directrices mettent « trop l’accent sur les structures juridiques (comme en témoignent les répartitions contractuelles des risques, par exemple) au détriment de la réalité sous-jacente du groupe économiquement intégré, ce qui peut favoriser les activités d’érosion de la base d’imposition et de transfert des bénéfices ». Le Plan d’action affirme que les multinationales peuvent se servir des règles de fixation des prix de transfert en vigueur dans certains cas « afin de séparer des bénéfices des activités économiques qui les génèrent », autorisant des résultats faussés. Le transfert d’actifs incorporels et d’autres actifs mobiles pour une contrepartie inférieure à leur valeur réelle, la surcapitalisation d’entités dans des pays avec une faible imposition et l’attribution contractuelle du risque à des pays à fiscalité faible à la faveur de transactions dans lesquelles des parties indépendantes ne s’engageraient sans doute pas sont les principales sources de ces anomalies. Le Plan d’action recommande de ne pas abandonner le principe de pleine concurrence, préférant « remédier aux insuffisances du système existant ». Par conséquent, l’OCDE continue d’écarter l’idée d’un système alternatif de fixation des prix de transfert, comme celui qui est fondé sur un système de répartition forfaitaire mondial. Toutefois, le Plan d’action laisse effectivement entendre qu’il pourrait être nécessaire de prendre des « mesures spéciales » à l’égard des actifs incorporels, des risques et de la surcapitalisation.

Dans ces domaines, le Plan d’action oriente de façon générale l’établissement de règles qui pourraient prendre la forme de révisions apportées aux lignes directrices sur la fixation des prix de transfert ou peut-être au Modèle de l’OCDE. En général, les recommandations du Plan d’action mettent l’accent sur l’harmonisation des bénéfices avec la « création de valeur » et indiquent qu’il faut accorder la priorité à la rémunération convenable des « fonctions humaines » plutôt que des apports financiers et de la prise en charge contractuelle du risque. Il propose trois actions à cet égard.

Action 8 — Élaborer des règles qui empêchent l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices par le biais du transfert d’actifs incorporels entre membres d’un même groupe

Le Plan d’action propose :

  • d’adopter une définition « large et clairement délimitée » des actifs incorporels;
  • de faire en sorte que les bénéfices associés au transfert et à l’utilisation d’actifs incorporels soient correctement répartis en fonction de la création de valeur (et pas indépendamment de cette dernière);
  • d’élaborer des règles de calcul des prix de transfert ou des mesures spéciales applicables aux transferts d’actifs incorporels difficiles à valoriser;
  • de mettre à jour les instructions relatives aux accords de répartition des coûts.

Il semble exister trois façons de déterminer le mode d’affectation des bénéfices liés à la propriété intellectuelle (PI) : en fonction du lieu (a) de création, (b) d’exploitation ou (c) de financement du bien protégé. Il semble clair que l’OCDE préconise les règles de fixation des prix de transfert afin de minimiser l’importance du troisième choix.

Action 9 — Élaborer des règles qui empêchent l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices par le biais du transfert de risques entre membres d’un même groupe ou de l’attribution d’une fraction excessive du capital aux membres de ce groupe

Cette action comprend l’adoption de règles ou de mesures qui empêchent qu’une entité perçoive des revenus inappropriés du seul fait qu’elle s’est contractuellement engagée à assumer des risques ou à apporter du capital et font en sorte que les revenus soient proportionnels à la création de valeur. Le Plan d’action propose de mener ces travaux en coordination avec ceux qui portent sur les déductions de paiements d’intérêts et d’autres frais financiers.

Action 10 — Élaborer des règles qui empêchent l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices par le biais de transactions dans lesquelles des entreprises indépendantes ne s’engageraient que très rarement

Cette action comprend des mesures visant à :

  • préciser les circonstances dans lesquelles des transactions peuvent être requalifiées;
  • clarifier l’application des méthodes d’établissement des prix de transfert, notamment celles qui sont fondées sur le partage des bénéfices, dans le contexte des chaînes de valeur mondiales;
  • se prémunir contre les types les plus fréquents de paiements ayant pour effet d’éroder la base d’imposition, comme les frais de gestion et les dépenses du siège social.

Il existe parmi les règles canadiennes de fixation des prix de transfert une règle sur la « requalification » visant les transactions que des parties ne concluraient pas en régime de pleine concurrence et qu’elles effectuent à des fins d’évitement fiscal. Cette règle n’a pas encore fait l’objet d’une interprétation judiciaire, mais il existe en ce moment des causes devant les tribunaux où l’avocat de la Couronne prétend qu’elle s’applique. Les mesures qui découlent du Plan d’action, de même que l’orientation attendue des tribunaux canadiens à l’égard des circonstances qui permettent de requalifier des transactions effectuées par des groupes multinationaux à des fins fiscales, risquent d’avoir une incidence importante sur la planification fiscale à l’échelle mondiale.

(d) Transparence

Les actions de cette section concernent l’amélioration de la collecte des données sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Elles exigent des contribuables qu’ils communiquent de l’information plus ciblée sur leurs stratégies de planification fiscale, rendent la documentation de la fixation des prix de transfert moins pénible et plus ciblée, et perfectionnent les méthodes de résolution des différends prévues aux conventions fiscales.

Action 11 — Mettre au point des méthodes permettant de collecter et d’analyser des données sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices

Le rapport BEPS fait remarquer que les efforts déployés pour contrer l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices ont été gênés par la simple insuffisance d’information fiable et détaillée qui aurait permis aux administrations fiscales de recenser les cas de BEPS et de déterminer leur incidence.

Le Plan d’action recommande (a) de définir des méthodes pour mieux mettre en lumière l’échelle et l’incidence économique de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices, et (b) de mettre au point des outils pour évaluer en permanence l’efficacité et l’effet économique des actions engagées pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Il faudrait pour cela évaluer les sources de données existantes et aussi cerner les nouveaux types de données à rassembler. Le Plan d’action évoque la possibilité d’utiliser des renseignements propres à un contribuable, comme les états financiers et les déclarations de revenus, mais fait remarquer la nécessité de respecter sa confidentialité.

Action 12 — Obliger les contribuables à faire connaître leurs stratégies de planification fiscale agressive

Le manque d’informations disponibles en temps opportun, ciblées et complètes sur les stratégies transfrontalières des contribuables entrave les efforts actuels des administrations fiscales pour repérer les domaines à risque d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices. Les vérifications restent une source essentielle d’informations pertinentes, mais leur utilité en tant qu’outil de détection précoce des techniques de planification fiscale « agressive » est limitée.

Le Plan d’action propose de formuler des recommandations relatives à la conception de règles de déclaration obligatoire des stratégies de planification fiscale à caractère agressif ou abusif, en s’inspirant de l’expérience des pays qui sont dotés de telles règles. Elles devront notamment mettre l’accent sur les montages fiscaux internationaux et engloberont la conception et la mise en place de modèles améliorés de partage de l’information entre administrations fiscales sur les montages de ce genre.

La mise en œuvre de mesures de ce type est déjà très avancée au Canada. Le gouvernement du Québec et, très récemment, le gouvernement fédéral ont adopté des règles obligeant les contribuables à divulguer leurs stratégies de planification fiscale agressive. Le gouvernement du Canada a fait remarquer qu’en participant à un groupe multilatéral d’administrations fiscales, le Centre d’information conjoint sur les abris fiscaux internationaux, ou CICAFI, il a pu détecter rapidement certains montages fiscaux internationaux, y compris des soi-disant générateurs de crédit pour impôt étranger, auxquels il a ensuite remédié en faisant adopter une loi.

Action 13 — Réexaminer la documentation des prix de transfert

Le Plan d’action propose d’établir des règles qui permettraient de coordonner la documentation de la fixation des prix de transfert en vue d’accroître la transparence tout en tenant compte des coûts de conformité, exigeant notamment des multinationales qu’elles communiquent à tous les pouvoirs publics concernés les informations requises sur leur répartition mondiale du revenu, de l’activité économique et des impôts payés dans les différents pays, conformément à un modèle commun.

Action 14 — Accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différends

Le Plan d’action propose de lever les obstacles qui empêchent les pays de régler les différends relatifs aux conventions en utilisant la procédure amiable, en incluant le fait que la plupart des conventions ne contiennent pas de disposition relative à l’arbitrage et que l’accès à la procédure amiable et à l’arbitrage peut être refusé dans certains cas.

À cet égard, bien qu’un certain nombre des conventions fiscales bilatérales du Canada envisagent la possibilité de trancher un litige par arbitrage, le Cinquième protocole à la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis en fait la première convention du genre à intégrer des dispositions détaillées et impératives en matière d’arbitrage. En vertu du Cinquième protocole, les contribuables peuvent obliger les autorités compétentes du Canada et des États-Unis à soumettre à un arbitrage exécutoire des litiges ayant trait à une éventuelle double imposition. Bien que ni l’ARC ni l’IRS ne publient de statistiques sur le nombre ou l’issue des causes tranchées par arbitrage exécutoire, l’ARC signale que le nombre de procédures amiables qui ont été réglées a beaucoup augmenté depuis l’entrée en vigueur du Cinquième protocole (voir Procédure amiable — rapport de programme 2011-2012 de l’ARC), peut-être en raison de la perspective d’un arbitrage exécutoire de procédures amiables avec les Américains. La proposition du Plan d’action voulant que l’on envisage l’ajout de dispositions détaillées en matière d’arbitrage aux conventions fiscales pourrait entraîner des gains d’efficacité similaires pour les multinationales canadiennes qui exercent leurs activités dans des pays autres que les États-Unis.

(e) Mise en œuvre

Une partie des travaux sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices aura vraisemblablement pour effet de modifier Modèle de l’OCDE, notamment par l’introduction de dispositions contre l’utilisation abusive des conventions et de règles relatives aux montages hybrides, de même que par la révision de la définition d’ES et la modification des dispositions relatives aux prix de transfert. Pour que ces changements puissent lier les parties à une convention fiscale bilatérale en vigueur, normalement, il faudrait que les deux parties s’entendent et prennent les mesures nécessaires pour modifier leur convention existante. S’il fallait introduire les mesures BEPS relatives aux conventions, une convention à la fois, le grand nombre de conventions et la lenteur du processus de modification des conventions ralentiraient considérablement la mise en œuvre efficace sur le plan international. Le Plan d’action insère l’action 15 comme moyen éventuel de calmer ces préoccupations.

Action 15 — Élaborer un instrument multilatéral

Le Plan d’action recommande que l’on envisage de recourir à un instrument multilatéral (c’est-à-dire un traité ou une convention signée par plusieurs pays) pour modifier les conventions fiscales bilatérales. L’objectif serait que les parties à l’instrument multilatéral fassent modifier leur convention fiscale bilatérale chaque fois qu’une mesure BEPS relative aux conventions est établie et ajoutée à l’instrument multilatéral (ou au Modèle de l’OCDE). Puisqu’il s’agit d’une proposition plutôt novatrice, ne présentant que des détails bien insuffisants sur son mode de fonctionnement, le Plan d’action recommande à ce stade que l’on se contente d’analyser les points de droit fiscal et de droit international public relativement à l’élaboration d’un tel instrument multilatéral.

Les recommandations énoncées dans le Plan d’action représenteraient des changements fondamentaux pour le système fiscal international. En conséquence, la mise en œuvre de ses recommandations pourrait avoir une incidence importante sur la façon dont les sociétés canadiennes dirigent leurs affaires. Il est important pour les sociétés de suivre ces nouveaux développements, qui pourraient influer sur la législation canadienne et leur fardeau fiscal à l’échelle mondiale. Le précédent rapport BEPS avait fait remarquer que les recettes fiscales venant des sociétés, en pourcentage du PIB, augmentent de manière générale depuis 1965. Par conséquent, on espère que le Plan d’action ne fournira pas aux gouvernements un prétexte pour alourdir le fardeau fiscal des sociétés, surtout si l’on considère que ce sont les particuliers (y compris les retraités et les autres investisseurs, les clients et les employés) qui, en fin de compte, assument l’impôt des sociétés. De plus, le Canada devrait voir à ce que sa participation à la mise en œuvre des recommandations du Plan d’action ne nuise pas à la compétitivité des multinationales canadiennes.

Pour de plus amples renseignements sur le Plan d’action et le régime fiscal international du Canada, veuillez communiquer avec les membres de notre équipe en Fiscalité.

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