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Le gouvernement du Québec dévoile des propositions visant à préserver l'emploi dans les sièges sociaux de la province

Auteur(s) : Bastien Gauthier, Robert M. Yalden, Clay Horner

5 mars 2014

Le 20 février 2014, le gouvernement du Québec a déposé son budget 2014-2015 dans lequel il déclare qu'il adoptera peut-être des modifications à la Loi sur les sociétés par actions du Québec (la loi du Québec) visant à protéger les entreprises constituées au Québec contre les offres publiques d’achat non sollicitées, ainsi que des incitatifs fiscaux conçus pour encourager les entreprises à établir et à maintenir leur siège social dans la province de Québec. Ces modifications se fonderaient sur les recommandations faites par un groupe de travail mis sur pied par le gouvernement du Québec en 2013 pour examiner des mesures qui pourraient être adoptées afin de protéger les entreprises du Québec.

Contexte

Dans la foulée de nombreuses offres publiques d’achat non sollicitées qui ciblaient des entreprises établies au Québec, dont notamment l'offre d'achat faite par Lowe’s à l'endroit de Rona Inc. en 2012, le ministre des Finances et de l'Économie a créé un groupe de travail le 7 juin 2013 et en a confié la direction à Claude Séguin, vice-président principal au sein du Groupe CGI Inc. Le mandat de ce groupe de travail consistait à faire des recommandations visant à protéger les entreprises du Québec contre les offres publiques d’achat non sollicitées et à favoriser l'établissement de sièges sociaux dans la province.

Dans le rapport qu'il a publié parallèlement au dépôt du budget, le groupe de travail identifie 25 sociétés ayant leur siège social dans la province et qui sont considérées comme étant vulnérables aux offres publiques d’achat non sollicitées, y compris SNC-Lavalin, Metro, CAE et le Fonds de placement immobilier Cominar (une fiducie créée en vertu du Code civil du Québec). Le rapport souligne aussi le rôle important que jouent les sièges sociaux dans l'économie du Québec, et indique par ailleurs que 18 des 50 plus grandes sociétés de la province sont contrôlées par un ou plusieurs actionnaires reliés, et que sept de ces entreprises jouissent de mesures de protection en raison des lois qui les gouvernent ou de nature comparable contre les offres publiques d’achat. Parmi les 25 sociétés qui restent, 17 ont été constituées aux termes de la loi fédérale, sept sont régies par la loi du Québec et l'autre est une fiducie.

Modifications potentielles à la loi du Québec

Le groupe de travail, qui a examiné les lois en vigueur en Europe et aux États-Unis, a recommandé plusieurs modifications à la loi du Québec, lesquelles modifications habiliteraient les entreprises constituées au Québec en société à faire ce qui suit, sous réserve de toute approbation devant être donnée par les actionnaires :

  • prévoir l'attribution de droits de vote supplémentaires à l'égard des actions d'une catégorie donnée détenues depuis plus de deux ans, sauf si ces droits sont retirés après que 66 ⅔ pour cent des actionnaires se soient prononcés en faveur de ce retrait lors d'un vote;
  • restreindre ce qu'un acquéreur non sollicité peut accomplir avec les actifs qu'il vient juste d'acquérir et lui retirer la capacité de modifier sur-le-champ la composition du conseil d'administration de l'entreprise ciblée. En particulier :
    • un acquéreur non sollicité ne pourrait pas vendre d'actifs représentant 15 % ou plus de la valeur de l'entreprise ciblée, ni fusionner les actifs de cette entreprise ou les combiner autrement, et ce, durant une période de cinq ans;
    • tout profit réalisé par l’initiateur d’une offre non sollicitée sur la revente des actions de l'entreprise ciblée dans les 24 mois suivant la réalisation d'une opération d'achat non sollicitée, devrait être remis à cette entreprise. Cette règle s'appliquerait seulement aux actions qu'a achetées l’initiateur de l'offre non sollicitée afin d'acquérir une position initiale dans les 12 mois précédant la présentation d'une offre publique d’achat non sollicitée, ce qui aurait pour effet de limiter la valeur de cette position initiale;
  • retirer aux initiateurs d’offres non sollicitées tout droit de vote à l'égard des actions détenues en date de l’annonce de l'offre publique d’achat non sollicitée, et ce, jusqu'à ce que les autres actionnaires rétablissent ce droit de vote après que cela aura été approuvé lors d'un vote exigeant 66 ⅔ pour cent des voix. Cela ferait augmenter le pourcentage d'actions devant être acquises dans le cadre de l'offre pour réaliser une opération de transformation en société fermée;
  • empêcher les acquéreurs non sollicités de modifier la composition du conseil d'administration de la société ciblée durant une période de temps établie en leur interdisant de remplacer un administrateur avant la fin de son mandat. La loi du Québec contient déjà des dispositions prévoyant l'attribution de mandats s'échelonnant sur trois ans. Cela dit, la Bourse de Toronto (TSX) exige que ses émetteurs inscrits tiennent des élections annuelles pour tous les postes d'administrateur.

Les modifications qui sont recommandées d'être apportées à la loi du Québec visent entre autres à encourager la réalisation d'opérations d'acquisition négociées. Ces modifications potentielles ne traitent pas des courses aux procurations. Il importe de noter que les recommandations proposées se rapportent exclusivement à la loi du Québec et que, par conséquent, toute société ayant un siège social au Québec mais ayant été constituée en vertu de la loi fédérale ou d'une loi d'un autre territoire serait tenue de modifier ses statuts de manière à continuer son existence sous la loi du Québec et de pouvoir adopter du même coup des mesures de défense proposées par le groupe de travail. Par exemple, si l'on donnait suite à certaines des recommandations dès maintenant, une entreprise comme Osisko Mining Corp., qui a été constituée en vertu de la loi fédérale et qui a un siège social au Québec, ne pourrait se prévaloir d'aucune des mesures de défense proposées contre l'offre non sollicitée initiée par GoldCorp Inc.

Le groupe de travail recommande aussi que le Code civil du Québec soit modifié de manière à garantir que des mesures de protection semblables s'appliquent à toutes les entités constituées au Québec, telles que les fiducies, qui pourraient être visées par une offre publique d'achat non sollicitée.

Autorités en valeurs mobilières

Le groupe de travail a fait les recommandations suivantes en ce qui concerne les autorités et les lois afférentes :

  • Permettre au conseil d'administration d'une société visée par une offre publique d’achat non sollicitée d'exercer pleinement ses devoirs de fiduciaire aux termes de la proposition correspondante de l'Autorité des marchés financiers (AMF). En vertu de cette proposition, les tribunaux détermineraient le bien-fondé des mesures de défense – y compris les régimes de droits – dans le cadre de leur compétence sur la décharge des obligations fiduciaires des administrateurs. Les commissions de valeurs mobilières n’interviendraient que dans les cas où les décisions ou les mesures prises par les conseils d’administration représenteraient une violation manifeste des droits des porteurs ou une atteinte au bon fonctionnement des marchés des capitaux;
  • Convertir le « Bureau de décision et de révision » en un tribunal administratif spécialisé qui serait formé de juges de la Cour du Québec.

Pour un aperçu plus détaillé des propositions des Autorités canadiennes en valeurs mobilières et de l'AMF, veuillez consulter l'Actualité Osler du 15 mars 2013.

Incitatifs fiscaux

Le groupe de travail a aussi fait les recommandations suivantes afin de favoriser l'établissement et le maintien de sièges sociaux au Québec :

  • reporter l'imposition des actions reçues par des employés aux termes de régimes d'achat d'actions, et ce, jusqu'au moment de la vente de ces actions;
  • assujettir les gains tirés de l'exercice d'options d'achat d'actions à un traitement fiscal plus avantageux que celui prévu ailleurs au Canada;
  • reporter l'imposition des gains lorsqu'une entreprise est transférée d'une génération à une autre, et ce, tant et aussi longtemps que cette entreprise demeurera active au Québec;
  • promouvoir la participation des fonds de placement du Québec aux aspects financiers et fonctionnels des activités des entreprises afin de faciliter le transfert d'entreprises québécoises à une nouvelle génération de propriétaires québécois.

Conclusion

Même si le gouvernement du Québec estime que ces mesures de défense et ces incitatifs fiscaux sont cruciaux pour la protection de l'économie et des entreprises de la province, on ne sait toujours pas si le gouvernement donnera suite à ces recommandations. Les deux partis d'opposition de la province ont déclaré qu'ils s'opposeraient à toute mesure que le gouvernement pourrait tenter d'adopter et des élections ont été déclenchées par ce gouvernement minoritaire avant même qu’il est pu présenter des dispositions qui donneraient force de loi à ces propositions.  De plus, on ne sait pas quelle sera l'incidence de ces propositions sur celles faites par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières et l'AMF relativement aux régimes de droits des actionnaires et à d'autres mesures de défense actuellement énoncées dans l’Avis 62-202 relatif auxmesures de défense contre une offre publique d’achat, même si le groupe de travail appuie fortement la proposition de l'AMF.

 

Authored by: Robert M. Yalden, Clay Horner, Bastien Gauthier