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La politique de l’énergie : de grands changements dans le champ de pétrole

Auteur(s) : Janice Buckingham, c.r., Kevin Lemke

9 décembre 2015

Contexte politio-commercial en 2015

En 2015, des développements sans précédent aux plans politique et juridique, de même qu’en lien avec les marchés, ont posé d’importants défis au secteur de l’énergie.

L’élection extraordinaire d’un gouvernement majoritaire du Nouveau parti démocratique (NPD) en Alberta, suivie de l’élection d’un Parti libéral majoritaire à Ottawa, a ouvert la voie à d’importants changements des politiques gouvernementales touchant le secteur de l’énergie, dont plusieurs sont encore en cours. À l’échelle provinciale, les sociétés ont dû payer sur-le-champ 2 % de plus d’impôt sur le revenu, et faire face à une incertitude économique causée par l’examen éventuel des redevances et les initiatives à venir sur les changements climatiques. Au plan fédéral, on s’attend à une réforme du processus d’évaluation environnementale et de la réglementation sur les changements climatiques, alors que les promesses de supprimer graduellement les subventions pour les combustibles fossiles, un moratoire à venir sur la circulation des navires pétroliers au large de la côte nord de la Colombie-Britannique et les efforts visant à améliorer le devoir de consulter les Premières nations et l’accommodement de leurs intérêts viennent en tête de liste des priorités du nouveau gouvernement fédéral. Le refus du président des États-Unis, Barack Obama, d’accorder l’autorisation présidentielle de construire l’oléoduc Keystone XL a donné un autre coup à un secteur dont la compétitivité à l’échelle mondiale exige des options d’exportation.

Du point de vue des marchés, les prix du pétrole brut ont basculé, les gains d’un mois étant effacés par les pertes du mois suivant. Les sociétés d’énergie ont sabré dans leurs budgets, retirant ainsi 31 milliards de dollars de l’économie. Le secteur a enregistré la perte de plus de 35 000 emplois, et le concept de « plus bas, plus longtemps », en matière de prix est devenu la nouvelle réalité. L’OPEP a maintenu, plutôt que réduit, les taux de production, alors que l’Arabie saoudite a cessé d’être le producteur d’appoint, peut-être en vue de ralentir le boom de la fracturation hydraulique aux États-Unis et l’exploitation des sables bitumineux au Canada, de créer des difficultés économiques pour la Russie, d’établir des relations avec des acheteurs européens et chinois dans un contexte de prix à la baisse, ou d’une combinaison de ces facteurs.

Une importante offre excédentaire a prévalu au cours de l’année : la surface d’entreposage terrestre a diminué et des navires-citernes commerciaux d’une capacité de transport de 100 millions de barils sont demeurés à l’ancre dans de nombreux ports de la Chine, de la Malaisie, de l’Indonésie et du golfe du Mexique. Les attaques terroristes dévastatrices qui ont eu lieu à Paris, à peine quelques semaines avant la conférence de l’ONU sur les changements climatiques, ont ajouté aux pressions et aux incertitudes qui touchent le secteur de l’énergie à l’échelle mondiale.

Principaux développements juridiques

(a) Impôts et redevances

En juin 2015, le gouvernement de l’Alberta a adopté le projet de loi 2, intitulé An Act to Restore Fairness to Public Revenue, qui a reçu la sanction royale le 29 juin 2015. Aux termes de cette loi, le 1er juillet 2015, l’impôt des grandes entreprises est passé de 10 % à 12 %. Pour l’exercice 2015, l’impôt sur le revenu des sociétés sera calculé au prorata, le taux de 10 % s’appliquant au nombre de jours de l’année d’imposition de la société en question qui sont antérieurs au 1er juillet, et le nouveau taux de 12 % s’appliquant au nombre de jours postérieurs au 1er juillet. En 2016, le taux de 12 % s’appliquera à l’ensemble de l’année d’imposition.

À l’échelle fédérale, le programme du Parti libéral comporte la promesse de supprimer graduellement les subventions pour les combustibles fossiles. On ne connaît pas encore tous les détails, puisque le programme indique que le ministère des Finances se verra confier la tâche de procéder à une analyse détaillée de toutes les subventions pour les combustibles fossiles. On estime que l’abolition progressive des subventions fera augmenter les revenus fédéraux d’environ 250 millions de dollars d’ici 2018.

L’un des principaux points du programme néo-démocrate provincial était la promesse de procéder à l’examen de l’actuel régime de redevances sur le pétrole et le gaz naturel, et de recommander des modifications afin [traduction] « de veiller à ce que les Albertains soient pleinement et équitablement indemnisés pour leurs ressources énergétiques ». Le gouvernement a mis sur pied un Comité consultatif de quatre personnes, qui a entrepris son processus de consultation publique et d’examen à la fin d’août 2015. Étant donné que ce processus est en cours, la nature et l’étendue des changements apportés à la structure des redevances sont encore incertaines. Cependant, le mandat du Comité est de terminer son processus d’examen d’ici décembre 2015, et la structure actuelle demeurera en place jusqu’à la fin de 2016.

L’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) a présenté une série de 60 recommandations au gouvernement de l’Alberta, concernant l’examen des redevances (mémoire de l’ACPP). Le mémoire de l’ACPP souligne que pour que l’Alberta conserve sa compétitivité par rapport aux autres territoires en attirant des investisseurs, le Comité consultatif sur l’examen des redevances et le gouvernement doivent tenir compte de l’ensemble des coûts à engager pour pouvoir faire affaire en Alberta. En plus des redevances, cela engloberait l’impôt municipal, l’impôt provincial des sociétés au nouveau taux de 12 %, les frais et les droits miniers, les politiques sur la tarification du carbone et les autres frais.

(b) Réforme réglementaire

Au plan fédéral, le précédent gouvernement conservateur avait entrepris de simplifier le processus d’approbation des projets énergétiques en révisant la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE). Le nouveau gouvernement libéral a promis d’apporter d’autres modifications au processus réglementaire, ce qui englobera l’abrogation de plusieurs modifications apportées par les Conservateurs. Le cadre de travail et les principes directeurs de ces changements sont les suivants : réinstaurer la surveillance et les évaluations environnementales approfondies dans les secteurs de compétence fédérale; s’assurer que les décisions sont fondées sur la science et les faits probants, ce qui comprend la prise en compte des émissions de carbone en amont dans le processus d’évaluation; s’assurer que les décisions servent l’intérêt public, et offrir des façons, aux Canadiens intéressés, d’exprimer leur point de vue, et aux experts, de pouvoir fournir un apport appréciable dans le cadre des évaluations. D’après ce programme, il est clair que le gouvernement libéral entend accorder une attention particulière au rôle des Autochtones dans le processus d’évaluation, car il a promis de procéder à un examen complet afin d’assurer que la Couronne fédérale s’acquitte de ses obligations en matière de consultation, d’accommodement et de consentement, dans le cadre des processus réglementaires.

Le gouvernement néo-démocrate a fait part de son intention de résoudre ce qu’il considère comme le « mandat conflictuel » de l’Alberta Energy Regulator (AER), qui est à la fois le promoteur et l’organisme de réglementation du secteur de l’énergie. L’AER a été établi par les progressistes conservateurs provinciaux afin de rationaliser le processus de réglementation en confiant à un seul organisme la responsabilité de l’ensemble des lois et règlements sur l’environnement. L’AER est actuellement responsable des lois intitulées Public Lands Act, Environmental Protection and Enhancement Act et Water Act. On ne sait pas avec certitude ce dont les organismes de réglementation restructurés seraient responsables, ni la façon dont ils interagiraient entre eux aux fins d’uniformité et d’efficience.

(c) Changements climatiques

Tant le Nouveau parti démocratique de l’Alberta que le Parti libéral fédéral se sont engagés à prendre des mesures visant à lutter contre les changements climatiques. Mais, dans les deux cas, l’élaboration de politiques n’en est qu’à ses premiers stades. Le programme du Parti libéral promet une approche collaborative entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux en vue d’établir des objectifs de réduction des émissions et d’assurer que les provinces reçoivent des fonds fédéraux, tout en conservant la souplesse nécessaire pour atteindre ces objectifs grâce à leurs propres politiques et stratégies de tarification.

Le NPD de l’Alberta a annoncé un rigoureux plan de lutte contre les changements climatiques, le 22 novembre 2015. Ce plan est fondé sur les recommandations du conseil consultatif provincial sur les changements climatiques, dont le rapport a été publié lors de la conférence de presse du gouvernement provincial. Même si l’on ignore encore lesquelles des recommandations détaillées du conseil feront l’objet d’une loi, les pierres d’assise de ce nouveau plan sont les suivantes : (1) l’élimination accélérée du charbon; (2) une taxe sur le carbone applicable à tous les secteurs de l’économie; (3) un plafond absolu en matière d’émissions causées par l’exploitation de sables bitumineux; (4) un plan de réduction des émissions de méthane.

Le premier volet de la nouvelle stratégie sera d’accélérer l’abandon progressif de la production d’électricité à partir de charbon d’ici 2030. Pour compenser, la production d’électricité alimentée au gaz naturel devrait assurer la fiabilité de la charge de base, et l’énergie renouvelable devrait combler les deux tiers de la nouvelle capacité. On s’attend à ce que la province offre une quantité limitée de contrats de crédits compensatoires à prix fixe à long terme aux producteurs d’énergie renouvelable afin d’atténuer certains des risques liés aux prix établis par les producteurs d’électricité qui ont fait obstacle au financement de projets d’énergie renouvelable en Alberta par le passé. Cependant, les producteurs de gaz naturel et d’énergie renouvelable devront composer avec les risques liés aux prix établis par les producteurs d’électricité lorsqu’ils voudront obtenir du financement, et les exploitants de centrales électriques au charbon, écartés par le nouveau plan, pourraient refuser d’investir les capitaux nécessaires pour assurer une transition en douceur dans la nouvelle répartition des sources d’électricité en Alberta.

Le deuxième volet de la nouvelle stratégie vise à accroître la portée du système de tarification du carbone. En plus de l’augmentation de la taxe sur le carbone annoncée en juin 2015, passant à 30 $ la tonne pour les grands émetteurs industriels, les Albertains seront assujettis à une taxe sur le carbone pour tous les secteurs de l’économie de 20 $ la tonne à compter de janvier 2017. Cette taxe passera ensuite à 30 $ la tonne en janvier 2018. Le comité consultatif sur les changements climatiques a aussi recommandé une indexation annuelle de 2 % au-dessus de l’inflation, mais on ignore si le gouvernement adoptera cette recommandation. Le prix du carbone applicable à l’ensemble de l’économie devrait toucher entre 78 % à 90 % de toutes les émissions dans la province, soit le plus fort pourcentage au Canada. L’une des principales caractéristiques de la proposition est que les recettes provenant de la taxe sur le carbone restent en Alberta et au service de l’Alberta, au moyen d’investissements dans l’infrastructure verte (comme le transport en commun); les programmes d’efficacité énergétique; la recherche, le développement et l’investissement dans le domaine des énergies renouvelables (y compris le paiement de contrats de compensation d’émissions devant être offerts aux enchères pour les projets d’énergie renouvelable) et un fonds d’adaptation. Ce qui servirait à aider les Albertains à plus faible revenu à compenser l’augmentation du prix du carbone et à fournir un soutien financier aux petites entreprises, aux Premières nations et aux travailleurs des centrales au charbon visés par la mise hors service anticipée des centrales au charbon.

Le troisième volet du nouveau plan consiste en un plafond absolu de 100 mégatonnes (Mt) par année sur les émissions de carbone générées par la production tirée des sables bitumineux, avec des dispositions pour les mises à niveau et la cogénération. Cette annonce extrêmement importante a pris tout le monde par surprise, étant donné que la production tirée des sables bitumineux dans la province est déjà à l’origine de quelque 70 Mt d’émissions par année. Pour ce qui est des nouveaux projets dont les émissions potentielles affichent un rendement situé dans le premier quartile ou mieux, le nouveau traitement fiscal conférera probablement un avantage important, mais dans le cas des nouveaux projets dont l’intensité des émissions éventuelles est forte (ou ayant un grand potentiel de produire un tel résultat), cette politique amplifiera les risques et pourrait rendre ces projets peu attrayants. Un plafond absolu sur les émissions de carbone liées aux sables bitumineux constitue un changement important par rapport au plafond précédent établi selon des objectifs basés sur l’intensité, ce qui fait obstacle au développement de projets futurs d’exploitation de sables bitumineux. Comme le secteur émet actuellement 70 % de ses émissions autorisées (et que d’autres projets qui ne sont pas encore en exploitation ont été approuvés), les nouveaux projets devront se partager la capacité restante pour voir le jour, à moins que les projets existants réduisent considérablement leurs émissions grâce à des gains en efficience. Les sociétés pourraient être incitées à obtenir l’approbation réglementaire de leurs nouveaux projets avant que le plafond absolu ne soit atteint. Un plafond absolu sans possibilité d’acheter ou d’échanger des crédits d’émissions pourrait faire échec à l’aménagement de certains nouveaux projets.

En ce qui concerne le quatrième volet du nouveau plan, une stratégie de réduction des émissions de méthane devrait permettre d’abaisser de 45 % les émissions provenant des opérations pétrolières et gazières en Alberta d’ici 2025, par rapport aux émissions de 2014. Les détails de cette stratégie devraient être annoncés au début de 2016.

(d) Loi sur la transparence

En juin 2015, la Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif a été mise en vigueur par le gouvernement conservateur précédent, qui avait pris des engagements, à l’échelle internationale, en matière de transparence et de lutte contre la corruption. Cette loi exige que les entreprises du secteur de l’extraction qui ont des activités au Canada fassent état publiquement des paiements qu’elles versent à des gouvernements nationaux et étrangers concernant la mise en valeur à l’échelle commerciale de pétrole, de gaz ou de minéraux. Pour obtenir une analyse plus approfondie de la loi, veuillez consulter l’article intitulé Poursuite de la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers et nouvelles mesures sur la transparence.

(e) Projets d’oléoducs

Le 6 novembre 2015, le président Obama a officiellement refusé d’accorder le permis présidentiel nécessaire pour réaliser le projet d’oléoduc Keystone XL (KXL). Cette décision rehaussera l’importance des autres projets de pipeline visant l’exportation de pétrole canadien : l’agrandissement du réseau de Trans Mountain, proposé par Kinder Morgan; le projet d’oléoduc Énergie Est, proposé par TransCanada PipeLines; et Northern Gateway, proposé par Enbridge. Dans chacun de ces projets, il faudra composer avec des régimes de réglementation incertains, car le Parti libéral a promis d’apporter d’importantes modifications au processus d’évaluation et d’approbation de ce genre de projets. Quelques semaines après son élection, le premier ministre Trudeau a chargé le ministre des Transports fédéral, Marc Garneau, d’« élaborer une stratégie, en collaboration avec le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, le ministre des Ressources naturelles et la ministre de l’Environnement et du Changement climatique afin d’officialiser un moratoire sur le transport de pétrole brut sur la côte nord de la Colombie‑Britannique », affaiblissant encore la capacité du secteur des pipelines d’exporter du pétrole brut.

Tant le NPD que le Parti libéral ont manifesté leur déception à l’égard de la décision du président Obama, et ont offert leur appui à l’idée que les ressources énergétiques du Canada ont besoin d’un accès amélioré aux marchés mondiaux. Toutefois, les deux partis ont aussi fait preuve de circonspection dans leur soutien au reste des projets envisagés. Le Parti libéral a déclaré que chacun des projets devra subir un examen réglementaire approfondi, et a refusé de présumer des résultats de l’examen. Cependant, le Parti libéral a clairement fait part de sa position en ce qui concerne Northern Gateway, et a promis de renverser la décision du gouvernement conservateur d’approuver le projet, se disant préoccupé par le fait que le processus d’examen n’ait pas comporté de consultation adéquate des collectivités locales et des peuples autochtones.

Conclusion

On ignore encore comment le secteur de l’énergie canadien surmontera les défis que posent des développements aussi importants aux plans politique et du marché, mais une chose est claire : nos clients sont des leaders responsables, dotés d’un esprit d’entrepreneuriat, dans un secteur dont le monde dépend, et ils ont fourni un apport inégalé à l’économie canadienne. Étant donné que les réserves de pétrole classiques diminuent, espérons qu’au moment d’entreprendre des réformes réglementaires touchant les redevances, les changements climatiques, l’obligation de consulter et les pipelines, nos politiciens suivront les conseils de l’Association canadienne des producteurs pétroliers (CAPP) : avant que ces initiatives ne présentent une certaine valeur, il faut développer des ressources, et le développement est coûteux. Espérons que ces réformes continueront d’inciter les sociétés d’énergie à investir les milliards de dollars qu’elles investissent annuellement dans un secteur économiquement très risqué, dont la volatilité économique et géopolitique a créé plus d’obstacles que de débouchés en 2015.