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Modifications importantes à l’examen des investissements étrangers au Canada

Auteur(s) : Michelle Lally, Shuli Rodal

9 décembre 2015

Le droit canadien des investissements étrangers a connu plusieurs développements importants en 2015. Au premier plan, notons le changement de taille des opérations maintenant assujetties à l’examen de l’« avantage net » en vertu de la Loi sur investissement Canada (LIC). Non seulement le seuil a augmenté, mais la mesure sur laquelle le seuil est calculé est passée de la « valeur comptable » à la « valeur d’affaire ». Par conséquent, certaines opérations qui étaient auparavant assujetties à un examen ne le seront plus, tandis que d’autres qui ne l’étaient pas le seront dorénavant. D’autres augmentations proposées du seuil d’examen sont aussi envisagées dans le cadre de nouveaux accords commerciaux.

De plus, le fardeau réglementaire sur les investissements s’est alourdi, notamment en raison d’obligations d’information plus détaillées pour les investisseurs étrangers à l’égard de prises de contrôle d’entreprises canadiennes non assujetties à un examen.

L’un des moments forts de 2015 a été l’élection du nouveau gouvernement libéral. Reste à voir si ce changement politique aura une réelle incidence importante sur l’évolution de la réglementation des investissements étrangers en 2016 et au cours des années à venir.

Révision du seuil d'examen

Depuis le 24 avril 2015, le seuil servant à déterminer si un examen de l’avantage net pour le Canada est requis dans le cas d’acquisitions ou de dispositions de biens par des entités détenues en propriété par des ressortissants d’un État membre de l’Organisation mondiale du commerce en vertu de la LIC est de 600 millions de dollars, calculé sur le fondement de la valeur d’affaire de la société visée, plutôt que de 369 millions de dollars en valeur comptable de l’actif de la société cible. Le seuil passera à 800 millions de dollars en 2017, puis à 1 milliard de dollars en 2019 et par la suite, il sera indexé annuellement. Si l’Accord économique et commercial global (AECG) conclu entre le Canada et l’Union européenne ou le Partenariat transpacifique (PTP) entrait en vigueur d’ici un an environ, les investisseurs admissibles ne seraient assujettis à un examen que si leur investissement atteint le seuil de 1,5 milliard de dollars d’investissement, soit près du double de celui autrement applicable (800 millions de dollars en 2017).

Le seuil de la valeur d’affaire se calcule différemment selon le type de société cible :

  • Acquisition directe d’une société ouverte – 600 millions de dollars ou plus en valeur d’affaire, établie en fonction de la capitalisation boursière de la société cible, majorée du passif total (excluant le passif d’exploitation), moins ses espèces et quasi-espèces.

  • Acquisition directe d’une société fermée – 600 millions de dollars ou plus en valeur d’affaire, en fonction de la valeur d’acquisition, majorée du passif total (excluant le passif d’exploitation), moins ses espèces et quasi-espèces. Si l’investisseur acquiert la totalité des participations avec droit de vote, la valeur d’acquisition totale correspond à la contrepartie totale payable. Si l’investisseur acquiert moins de la totalité des participations avec droit de vote, la valeur d’acquisition totale correspond au total du montant de la contrepartie payable par l’investisseur, du montant de la contrepartie payable par chacun des autres investisseurs et de la juste valeur marchande de l’ensemble des participations avec droit de vote qui ne font pas partie de l’acquisition.

  • Acquisition d’actifs – 600 millions de dollars ou plus en valeur d’affaire, en fonction de la contrepartie totale payable, majorée du passif pris en charge par l’investisseur (autre que le passif d’exploitation), moins les espèces et quasi-espèces cédées à l’investisseur.

Toutefois, un investisseur qui est une société d’État demeure assujetti à un examen au seuil de 369 millions de dollars (indexé chaque année) établi à la valeur comptable de l’actif de l’entreprise canadienne. Tous les investissements dans des entreprises culturelles demeurent assujettis à un examen si la valeur comptable de l’actif de l’entreprise canadienne est supérieure à 5 millions de dollars.

Incidences du passage à la valeur d’affaire

Le passage du seuil fondé sur l’actif au seuil fondé sur la valeur d’affaire a de nombreuses incidences importantes pour les investisseurs étrangers qui envisagent d’acquérir directement le contrôle d’entreprises canadiennes :

  • Examen des opérations touchant des sociétés cibles ayant une importante valeur d’affaire, mais une faible valeur comptable – Des acquisitions d’entreprises qui n’auraient pas été assujetties à un examen selon l’ancien seuil de 369 millions de dollars en valeur comptable de l’actif pourraient l’être parce qu’elles dépassent le seuil de la valeur d’affaire de 600 millions de dollars.

  • Il est possible de déterminer stratégiquement la valeur d’affaire de façon à rendre l’opération non assujettie à un examen – Pour les opérations privées, le prix d’acquisition sera le principal facteur et pourrait être structuré de manière à réduire la valeur d’affaire. Pour les opérations publiques, l’acquéreur pourrait déposer son offre alors que la capitalisation boursière est faible et, par conséquent, la valeur d’affaire moindre et inférieure à 600 millions de dollars.

  • Traitement différent des sociétés d’État et des investisseurs privés – Une conséquence possiblement non intentionnelle des modifications est qu’un investisseur du secteur privé pourrait déclencher un examen si la valeur d’affaire de la société cible dépassait le seuil de 600 millions de dollars, alors qu’un investisseur qui est une société d’État ne déclencherait pas d’examen si la valeur comptable de l’actif de la société cible était inférieure au seuil de 369 millions de dollars en valeur de l’actif qui s’applique à ce type d’investisseur.

Nouvel accord commercial ayant des incidences sur les seuils d’examen au titre de la Loi sur investissement Canada

L’accord commercial PTP conclu en octobre 2015 propose de faire passer à 1,5 milliard de dollars en valeur d’affaire le seuil d’examen au titre de la Loi sur investissement Canada (LIC). Seuls les investisseurs qui sont des ressortissants d’un pays signataire initial du PTP, ou les entités contrôlées par des ressortissants de ces parties au PTP, peuvent profiter du seuil d’examen plus élevé. Les investisseurs qui sont des sociétés d’État ne le peuvent pas.

Ce seuil de 1,5 milliard de dollars correspondra à l’augmentation du seuil proposée dans le cadre de l’AECG conclu en 2014, qui n’est toujours pas en vigueur. Le seuil plus élevé de l’AECG s’appliquera dans le cas de l’acquisition d’une entreprise canadienne par un investisseur de l’UE qui n’est pas une société d’État. Pour que l’acquéreur soit considéré comme un investisseur de l’UE, un ressortissant de l’UE doit contrôler l’acquéreur en droit ou, en l’absence d’une participation majoritaire, des ressortissants de l’UE doivent contrôler l’acquéreur en fait, notamment par la détention de participations avec droit de vote ou par la nationalité des membres du conseil d’administration. En outre, les entreprises de l’UE qui sont contrôlées par des ressortissants de pays avec qui le Canada a conclu un accord de libre-échange (p. ex. les États-Unis) bénéficieraient également du seuil plus élevé.

Aucune date d’entrée en vigueur n’a encore été fixée ni pour le PTP ni pour l’AECG. L’AECG devrait être celui des deux qui entrera en vigueur le plus tôt.

Nouvelles obligations d’information

Outre les modifications aux seuils déclencheurs d’examen, la nouvelle réglementation impose des exigences de divulgation révisées. Un investisseur étranger doit maintenant fournir beaucoup plus d’information au gouvernement fédéral qu’auparavant sur lui-même, ses activités commerciales et ses actionnaires. Ces obligations d’information s’appliquent aux avis qu’il doit déposer à l’égard de toutes les acquisitions de contrôle d’entreprises canadiennes par des non-Canadiens qui ne sont pas assujetties à un examen.

Prolongation du délai pour les examens en matière de sécurité nationale

Indépendamment du processus d’examen de l’avantage net en vertu de la LIC, le régime de sécurité nationale de la LIC permet au gouvernement fédéral d’examiner un vaste éventail d’investissements étrangers, y compris les placements minoritaires, pour déterminer s’ils sont susceptibles de « porter atteinte à la sécurité nationale ». Depuis le 25 mars 2015, la période maximale d’examen du gouvernement est passée de 130 à 200 jours (et ce pourrait être davantage si l’investisseur y consent). Les critères qui serviront à déterminer si un investissement risque de « porter atteinte à la sécurité nationale » n’ont pas encore été publiés, pas plus qu’il n’existe de statistiques accessibles au public sur l’application de cet aspect de la LIC. Fait intéressant, les enjeux de sécurité nationale semblent avoir été soulevés plus souvent au cours des dernières années du gouvernement conservateur.

Statistiques sur les examens

Le nombre d’opérations assujetties à un examen et à l’approbation ministériel en vertu de la LIC demeure faible. Pour l’exercice terminé le 31 mars 2015, si l’on fait abstraction des examens en matière de sécurité nationale, 15 demandes ont été examinées et approuvées, une augmentation par rapport à 11 en 2013-2014. Le délai d’examen moyen a été de 75,3 jours, comparativement à 71,5  jours en 2013‑2014. Ces investissements ont totalisé 21,78 milliards de dollars en valeur de l’actif, une augmentation de 41,2 % par rapport à 2013-2014. On ne connaît pas le nombre d’examens en matière de sécurité nationale, mais ils ne sont pas rares.

Nouveau gouvernement libéral

Le nouveau ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, l’honorable Navdeep Singh Bains, est responsable d’approuver les investissements importants en vertu de la LIC et d’administrer le régime de sécurité nationale de la LIC. Le nouveau ministre combine formation universitaire et expérience dans les affaires. Il a été professeur invité à la Ted Rogers School of Management de l’Université Ryerson et est titulaire d’un MBA avec une spécialisation en finance. Il est aussi comptable en management accrédité et a travaillé plusieurs années dans les domaines de la comptabilité et de l’analyse financière au sein de la Compagnie Ford du Canada.

Le nouveau ministre et le gouvernement libéral auront-ils une attitude différente à l’égard des investissements étrangers?

Les investissements étrangers n’ont pas été abordés pendant la campagne électorale fédérale de 2015. Le Parti libéral n’a pas plaidé en faveur de modifications à la LIC. On se rappellera que le dernier gouvernement libéral a régulièrement permis de grandes prises de contrôle, malgré le discours populiste sur les craintes d’un affaiblissement des secteurs sous contrôle canadien. Dans ce contexte, on imagine mal l’actuel gouvernement libéral être plus critique à l’égard des investissements étrangers que l’a été le précédent gouvernement conservateur, qui a rejeté quelques propositions d’envergure en invoquant l’« avantage net pour le Canada » et des raisons de sécurité nationale. Étant donné la faiblesse de l’économie canadienne, le nouveau gouvernement pourrait être enclin à approuver plus rapidement les investissements étrangers prometteurs de création d’emplois et de capital investissement.

Il est trop tôt pour dire quelle approche adopteront les Libéraux. Administreront-ils différemment le régime de sécurité nationale? Que feront-ils des politiques de la LIC qui obligent les investisseurs qui sont des sociétés d’État à faire preuve de transparence et d’une orientation commerciale tout en leur interdisant d’acquérir le contrôle d’une entreprise de sables bitumineux?

La façon dont ces modifications législatives et réglementaires seront mises en œuvre au cours des années à venir influencera certainement le climat pour les investissements étrangers au Canada, bien que l’ampleur et la teneur de cette influence restent à voir.