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Application de la loi en matière de valeurs mobilières : une victoire et de puissants outils pour les organismes de réglementation

Auteur(s) : Lawrence E. Ritchie, Shawn Irving

9 décembre 2015

De 2012 à 2014, les organismes de réglementation des valeurs mobilières canadiens ont introduit 27,5 % moins d’instances et ont réglé 22,2 % moins de cas. Dans ce contexte, l’évolution de la situation en 2015 (y compris la décision tant attendue dans l’affaire Finkelstein, ainsi que le projet de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario [CVMO] d’instaurer un programme de dénonciation, et la nouvelle possibilité de règlement à l’amiable sans contestation) pourrait témoigner d’un changement dans l’application de la loi en matière de valeurs mobilières au Canada.

Norme de preuve pour les affaires de délits d'initiés et de divulgation d'information sur le marché

Après une longue période au cours de laquelle les organismes de réglementation des valeurs mobilières canadiens ont plus ou moins réussi à intenter des poursuites pour des actes répréhensibles commis sur les marchés financiers, y compris les revers essuyés en 2014 dans Jowdat Waheed and Bruce Walter [PDF], et dans Walton v. Alberta (Securities Commission) [PDF], la CVMO a remporté une importante victoire dans l’affaire Finkelstein en 2015. Bien qu’elle fasse maintenant l’objet d’un appel, cette décision semble prometteuse pour les organismes de réglementation qui intenteront des procédures administratives à l’encontre de personnes qui auraient prétendument commis des délits d’initié et divulgués de l’information sur le marché.

Dans l’affaire Finkelstein, le Groupe consultatif de la CVMO a jugé que l’avocat torontois Mitchell Finkelstein et quatre conseillers en placements avaient enfreint la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario en commettant des délits d’initié et en divulguant de l’information sur le marché. Dans sa décision, la CVMO a souligné qu’en tant qu’avocat, Finkelstein était dans une situation spéciale par rapport aux émetteurs assujettis. À titre d’associé dans un cabinet d’avocats de Bay Street, il a abusé de son rôle crucial de « contrôleur d’accès » en divulguant des renseignements confidentiels.

Dans bien des causes de délit d’initié et de divulgation d’information privilégiée, seuls les malfaiteurs eux-mêmes sont directement au courant des communications relatives aux renseignements pertinents. Il est donc rare que l’on puisse établir la preuve directe d’un délit d’initié et de divulgation, et que l’on puisse intenter avec succès une poursuite contre les auteurs. Dans l’affaire Finkelstein, le Groupe consultatif de la CVMO a surmonté cette difficulté en s’appuyant sur des éléments de preuve circonstancielle pour déduire que des renseignements importants non accessibles au public avaient été partagés et reçus, ce qui lui a permis de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que des violations à la Loi sur les valeurs mobilières avaient eu lieu. Cet assouplissement de la norme en matière de preuve a permis au personnel de la CVMO d’obtenir des condamnations dans l’affaire Finkelstein, mais il s’ensuit que les organismes de réglementation doivent être prudents et s’assurer de prendre des mesures de protection procédurales appropriées lorsqu’ils intentent un recours administratif.

La CVMO a eu gain de cause dans d’autres contextes administratifs (plutôt que criminels) en s’appuyant sur des preuves circonstancielles, comme dans le cas de Finkelstein. Une conclusion semblable avait été établie dans l’affaire Agueci et al. [PDF], qui a également été portée en appel (Osler représente l’un des appelants). Cependant, les avis sont partagés sur la question de savoir dans quelle mesure il est permis d’avoir recours à la preuve circonstancielle relativement aux lois sur les valeurs mobilières en général au Canada et dans quelles situations il est possible de s’en servir.

Par exemple, la décision rendue par la Cour d’appel de l’Alberta en 2014 dans l’affaire Walton, pour laquelle la Cour suprême du Canada a refusé d’accorder une permission d’en appeler, donne à penser qu’il faut plus qu’une simple preuve circonstancielle pour respecter la norme de preuve nécessaire à l’obtention d’une condamnation. Cette décision est davantage alignée sur les décisions rendues récemment aux États-Unis. Alors que dans l’affaire Finkelstein, les initiés en aval ont été déclarés coupables de délits d’initiés, ce ne fut pas le cas dans United States v. Newman and Chiasson [PDF], car le tribunal américain semble avoir imposé à la poursuite un plus lourd fardeau de preuve, soit celui de démontrer que les initiés secondaires savaient que l’initié primaire avait reçu un avantage personnel inacceptable, et pas seulement que l’initié primaire avait divulgué des renseignements importants qui n’étaient pas accessibles au public. La Cour suprême des États-Unis a récemment refusé d’entendre l’appel de cette décision logé par le gouvernement fédéral. La possibilité d’un changement de cap découlant de l’affaire Newman et la jurisprudence contradictoire en la matière au Canada donnent à penser qu’il y a lieu de demander à la cour d’appel de réexaminer la question et d’y apporter des éclaircissements.

Implications du programme de dénonciation proposé pour la culture de la conformité

La CVMO espère que les efforts qu’elle a déployés pour appliquer la loi seront rehaussés par son projet de Programme de dénonciation, qui vise à inciter au signalement de violations de la Loi sur les valeurs mobilières, en offrant des récompenses pécuniaire aux dénonciateurs. Le programme, qui n’en est encore qu’à l’étape de projet, tient compte des commentaires formulés par le public à l’égard de sa proposition précédente.

Alors que le programme proposé par la CVMO serait le premier du genre au Canada, les États-Unis disposent déjà d’un tel programme créé par la loi intitulée Dodd-Frank Act. Au cours de l’exercice de 2015, la Securities Exchange Commission (SEC) a reçu près de 4 000 signalements de dénonciateurs, soit une hausse de 30 % par rapport à l’exercice de 2012. Par contre, les signalements reçus de l’étranger accusent une légère baisse : la SEC ayant reçu 421 signalements au cours en 2015, soit une diminution de 6 % par rapport à 2014. Parmi les signalements reçus de l’étranger au cours de l’exercice de 2015, 49 émanaient du Canada, deuxième source de dénonciation en importance auprès de la SEC, après le Royaume-Uni.

Pour être admissibles à une récompense pécuniaire, les dénonciateurs dans le cadre du programme de la CVMO devraient détenir des renseignements probants et détaillés dont ne dispose pas déjà l’organisme de réglementation, et les renseignements fournis devraient permettre à la CVMO d’intenter une poursuite. La nouvelle proposition étend également l’admissibilité aux dénonciateurs coupables et, dans certaines circonstances, aux employés qui occupent des fonctions dans les domaines de la conformité, de la surveillance et de la vérification, par exemple, 120 jours après qu’ils ont signalé la situation au moyen des canaux internes appropriés.

Si les renseignements fournis mènent à l’imposition d’une sanction pécuniaire ou à un paiement volontaire de plus de 1 million de dollars, le dénonciateur aurait droit à une récompense pouvant représentant entre 5 % et 15 % du total des sanctions ou des paiements, jusqu’à concurrence de 5 millions de dollars en récompense. Ce plafond des récompenses, qui était de 1,5 million de dollars, a été rehaussé à la suite des commentaires du public, mais aux États-Unis il n’existe pas de plafond. Au cours de l’exercice de 2015, la SEC a versé plus de 37 millions de dollars américains de récompenses à huit dénonciateurs, pour une récompense moyenne de plus de 4,6 millions de dollars américains. Dans l’une de ces causes, la SEC a versé plus de 30 millions de dollars américains à un seul dénonciateur. Le programme envisagé par la CVMO vise à éviter les récompenses d’une telle ampleur en établissant une échelle des récompenses proportionnellement plus modeste ainsi qu’un plafond de récompenses.

Bien que les récompenses accordées en cas de dénonciation aient eu pour effet d’inciter des personnes internes ayant connaissance de violations en matière de valeurs mobilières à dénoncer de telles violations, le fait de relier le montant des récompenses aux sanctions pécuniaires imposées pourrait poser problème, car cela serait incompatible avec les fonctions traditionnelles des organismes de réglementation des valeurs mobilières canadiens en matière de valeurs mobilières, qui sont de protéger les marchés financiers contre les inconduites et perpétuerait cette incompatibilité. La priorité du Programme de dénonciation devrait être d’inciter les sociétés assujetties à une conformité accrue, ce qui est plus conforme aux principes d’application de la loi qui s’inscrivent dans le mandat de la CVMO, plutôt que de punir les inconduites.

Des préoccupations ont également été exprimées quant au fait que ce programme puisse miner les programmes internes des entreprises en matière de signalement et de conformité, en offrant aux employés des mesures incitatives qui auraient pour effet de les faire court-circuiter entièrement ces canaux pour s’adresser directement à la CVMO, dans l’espoir de recevoir une importante récompense. Même si la CVMO dit qu’elle encouragera les employés à utiliser les canaux de signalements de l’entreprise, rien n’oblige ceux-ci à le faire ni à faire la preuve qu’ils ont de bonnes raisons de ne pas les utiliser avant d’être admissibles à une récompense dans le cadre du programme de dénonciation. À notre avis, il est crucial d’imposer cette condition pour que la CVMO puisse favoriser une culture d’entreprise fondée sur la conformité, et l’absence d’une telle exigence pourrait miner le rôle essentiel des procédures internes de conformité et de dépôt de plaintes dans le contrôle de conformité effective de l’entreprise avec les lois sur les valeurs mobilières.

Le risque lié à la confidentialité pose aussi un défi exceptionnel au projet de Programme de dénonciation. Même si la CVMO entend prendre toutes les précautions raisonnables pour préserver la confidentialité de l’identité des dénonciateurs, il est permis de déroger à cette règle de la confidentialité, par exemple lorsqu’il est nécessaire de permettre à une personne accusée d’avoir enfreint la législation sur les valeurs mobilières d’assurer pleinement sa défense, ou lorsque cela est nécessaire à l’atteinte des objectifs de la législation sur les valeurs mobilières. Ces catégories d’exceptions sont extrêmement vastes et vagues. La divulgation de renseignements peut faire progresser l’atteinte des objectifs de la poursuite, mais le risque de dévoilement de l’identité d’un dénonciateur peut également dissuader celui-ci de procéder à un signalement.

Règlements à l’amiable sans contestation : un nouvel élément à la trousse d’outils de mise en application de la loi

Le Programme de dénonciation proposé fait suite à l’introduction du programme de règlement à l’amiable sans contestation en 2014, et s’inscrit dans la tendance récente de garnir davantage la trousse d’outils dont dispose la CVMO pour appliquer la loi. Visant à accroître le pouvoir de mise en application de la loi de l’organisme de réglementation, le programme de règlement à l’amiable permet au présumé contrevenant, dans le cadre de procédures administratives, de conclure un règlement à l’amiable sans qu’il ait à admettre sa culpabilité. En novembre dernier, la CVMO a approuvé un important règlement à l’amiable de 13,5 millions de dollars avec des entreprises liées à TD Waterhouse concernant le paiement de frais excédentaires par les clients, fait que les entités de TD avaient elles-mêmes découvert et signalé. Le règlement avec la TD met en lumière la nécessité que les sociétés assujetties se dotent de solides systèmes internes leur permettant de se conformer aux lois sur les valeurs mobilières, ainsi que le rôle que joue la CVMO dans la protection des épargnants et le maintien de marchés financiers équitables et efficients.

L’issue de l’appel dans l’affaire Finkelstein et la forme définitive que prendra le programme de dénonciation pourraient avoir d’importantes ramifications quant à la mise en application des lois sur les valeurs mobilières au Canada. Même si cela accroît la capacité de mise en application des lois et le taux de succès des poursuites, les organismes de réglementation du Canada devraient prendre garde de ne pas outrepasser leur mandat traditionnel qui consiste à appliquer la loi, en favorisant une approche punitive accrue à l’égard des contrevenants en matière de valeurs mobilières.