Organisateurs(trice)
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Associée, Services financiers, Toronto
Invité(e)
Partenaire corporatif, Frankfurt Linklaters LLP
Plus tôt cette année, le Conseil de l’Union européenne a adopté deux nouvelles directives qui formeront les pierres angulaires du pacte vert pour l’Europe et auront des répercussions d’une portée considérable. De nombreuses entreprises canadiennes qui exercent des activités en Europe ou font partie d’une chaîne de valeur mondiale qui livre des produits ou des services en Europe seront touchées par ces changements.
Dans cet épisode, Lisa Mantello, associée du groupe des services financiers et bancaires d’Osler, accueille Ulrich Wolff, avocat en droit des sociétés du cabinet Linklaters à Francfort, pour discuter de la manière dont la nouvelle directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises et la nouvelle directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité marquent un « changement radical » dans les enjeux ESG. Ils discutent également des prochaines étapes du processus et de la manière dont les entreprises canadiennes potentiellement touchées peuvent se préparer en vue des nouvelles exigences en matière de conformité.
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JOHN VALLEY : Au premier semestre de 2022, le Conseil de l’Union européenne a conclu des accords concernant deux directives, à savoir la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (la directive CSRD) et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (la directive CSDD), avec des répercussions d’une portée considérable, y compris pour les entreprises canadiennes qui exercent des activités en Europe.
Dans l’épisode d’aujourd’hui, Lisa Mantello d’Osler discute des directives CSRD et CSDD avec Ulrich Wolff de Linklaters. Ulrich Wolff est un associé en droit des sociétés du bureau de Linklaters à Francfort. Il se concentre principalement sur les fusions et acquisitions, et d’autres volets du domaine des transactions, ainsi que sur le conseil aux entreprises en ce qui concerne leur gouvernance et les questions générales touchant les sociétés.
Il fait partie du groupe qui se penche sur les enjeux ESG mondiaux chez Linklaters. Depuis qu’il a étudié à McGill et à l’Université de Montréal, il s’intéresse à tout ce qui concerne le Canada et travaille avec le cabinet sur de nombreux mandats dans le monde entier. Lisa Mantello est associée chez Osler au sein du groupe Services financiers et sa pratique couvre tous les aspects du domaine de la finance. Lisa possède une vaste expérience de la finance en matière de facteurs ESG, au Canada et à l’étranger. La parole est à vous, Lisa.
LISA MANTELLO : Merci beaucoup. Ulrich, merci beaucoup de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous avons cru comprendre que l’Union européenne a récemment pris des mesures en matière d’ESG qui ont une grande portée et qui pourraient s’appliquer aux entreprises canadiennes exerçant des activités en Europe.
ULRICH WOLFF : Oui, merci Lisa. J’aimerais replacer les choses dans un contexte un peu plus large. La directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, que nous appelons CSRD, et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité sont deux nouveaux textes législatifs de l’UE. Ce sont deux pierres angulaires importantes de la mise en œuvre de ce que la Commission européenne appelle le pacte vert pour l’Europe.
Il existe un ensemble d’initiatives qui visent à rendre l’UE carboneutre d’ici à 2015, mais elles vont au‑delà du contrôle des émissions de carbone et touchent à l’ensemble du débat sur la durabilité. Dans les deux cas, elles marquent un changement d’étape dans le paysage des facteurs ESG. Jusqu’à présent, comme beaucoup d’autres pays, l’UE a essayé de réaliser ses objectifs de durabilité en s’appuyant largement sur des instruments à caractère non contraignant, des codes sans caractère obligatoire, la communication d’informations, ce genre de choses.
L’UE est maintenant passée à des directives strictes qui entraîneront des sanctions. Bien entendu, les directives doivent être transformées en législations nationales, mais il s’agit là aussi de règles impératives, et pas seulement d’instruments à caractère non contraignant. Le pacte vert pour l’Europe introduit une nouvelle législation dans de nombreux domaines comme le climat, l’environnement, la rénovation des bâtiments, la biodiversité, l’agriculture et l’innovation.
Pour atteindre l’objectif fixé par la Commission, et c’est là l’essentiel, des sommes considérables de capitaux utilisés pour les industries traditionnelles doivent être réorientées vers des activités plus vertes et plus durables. De plus, les investisseurs sur lesquels la Commission compte pour réorienter ces fonds ont besoin de meilleures informations sur lesquelles s’appuyer pour leurs décisions d’investissement.
Ils ont donc besoin d’informations pertinentes, fiables et, surtout, comparables sur le climat et la durabilité. Et c’est de cela qu’il s’agit. Le contexte politique cherche à rendre plus transparent et plus fiable l’investissement dans les industries ou activités durables.
La directive CSRD qui concerne la publication d’informations a une politique sœur, la directive CSDD, qui est la directive sur le devoir de vigilance. À l’origine, elle a été conçue pour être la directive sur la gouvernance de la durabilité des entreprises, donc pour traiter de questions de gouvernance. La proposition que nous avons actuellement sur la table, qui n’est pas encore définitive, mais qui devrait entrer en vigueur à peu près dans sa version actuelle, couvre le devoir de vigilance et la planification pour l’ensemble de la chaîne de valeur d’une entreprise.
La proposition cherche à faire progresser le respect des droits de la personne et la transition vers une économie verte et elle tente de créer, une fois encore, des conditions de concurrence équitables pour les entreprises au sein de l’UE. Il est important de savoir que tout cela est lié à ce que l’on appelle le règlement Taxonomie de l’UE. Il s’agit d’un règlement vraiment fastidieux, car il établit un système de classification qui est au cœur de tout, et chaque partie du pacte vert revient au système de classification de la taxonomie uniforme qui est conçu pour produire des informations et une nomenclature cohérentes, lutter contre l’écoblanchiment et présenter un portrait plus clair afin que les investisseurs puissent faire des choix.
LISA MANTELLO : Merci beaucoup, Ulrich, c’était une très bonne vue d’ensemble. De toute évidence, il s’agit d’un grand pas dans la législation ESG en Europe. Pour en revenir à la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, pouvez-vous nous dire à qui elle s’applique et qui en subira les répercussions?
ULRICH WOLFF : Tout d’abord, en tant que concept, la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises n’est pas tout à fait nouvelle puisque déjà en 2017, les grandes entreprises de l’UE en particulier devaient rendre compte des risques importants qui existaient en relation avec certains aspects non financiers de leurs activités, en particulier en ce qui concerne les préoccupations environnementales.
Maintenant, l’UE a accepté le texte définitif d’une directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises qui modifiera ces règles et en étendra la portée. La directive CSRD devrait entrer en vigueur d’ici à la fin de 2022, c’est-à-dire très bientôt. Elle devra ensuite être transposée dans des législations nationales, à l’instar de toutes les directives qui ne sont pas directement applicables comme des règlements, et tous les États membres devront se plier à cet exercice.
La directive CSRD étend considérablement les obligations de publication d’informations et en élargit de manière très significative la portée lorsqu’il s’agit de déterminer quelles sont les entreprises qui doivent publier les informations. Son application et son entrée en vigueur se feront en plusieurs étapes. Le 1er janvier 2024, les grandes entreprises d’intérêt public qui doivent déjà faire rapport en vertu de la directive existante sur la publication d’information non financière devront publier les informations en se soumettant aux nouvelles règles.
Puis, à compter de janvier 2025, les organisations qui ne sont pas actuellement tenues de publier ces informations et qui deviendront assujetties à la directive CSRD devront commencer à publier ces rapports. En gros, il s’agit des entreprises répondant aux critères suivants : un montant total de 20 millions d’euros affiché au bilan, un chiffre d’affaires net de 40 millions, et un nombre moyen d’employés au cours de l’exercice supérieur à 250. Nous parlons ici d’entreprises de l’UE.
Puis en 2026, les petites sociétés cotées dans l’UE seront ajoutées aux entreprises visées par le champ d’application de la directive. Enfin, à compter de janvier 2028, et c’est ce qui est le plus important pour les entreprises canadiennes et nord-américaines, les entreprises non européennes générant un chiffre d’affaires net de 150 millions d’euros dans l’UE, ou celles qui ont au moins une filiale générant un tel chiffre d’affaires, commenceront à être visées par la directive.
LISA MANTELLO : Merci Ulrich. Alors, comment les entreprises qui ne sont pas établies dans les pays de l’UE seront-elles affectées par la directive?
ULRICH WOLFF : En fait, il y a des effets directs et indirects. Si ces entreprises ont une filiale ou une succursale dans l’UE et que cette filiale ou succursale ou un groupe d’entre elles dépassent ce résultat sur une base consolidée, à savoir le seuil de 150 millions au titre du chiffre d’affaires, la filiale devra alors publier les informations à partir de 2028, comme je l’ai mentionné.
Pour être franc, il est actuellement difficile de savoir s’il suffit de publier des rapports sur la durabilité au niveau de la filiale ou du groupe basé dans l’UE ou s’il est nécessaire de publier toutes les données et les rapports sur la durabilité sur une base consolidée pour l’ensemble du groupe.
Ainsi, dans le cas d’une entreprise canadienne ayant des filiales dans l’UE, est-ce que l’entreprise canadienne dans son ensemble et toutes ses filiales dans le monde doivent publier des informations aux termes de la directive ou pouvons-nous le faire uniquement au niveau du sous-groupe européen? Le texte n’est pas encore tout à fait clair et la Chambre de commerce des États-Unis a déjà abordé publiquement cette question dans une lettre adressée aux institutions de l’UE. De plus, il pourrait y avoir ou non d’autres éclaircissements indiquant à quel niveau la publication d’informations doit être effectuée.
LISA MANTELLO : J’espère vraiment qu’il y aura des éclaircissements parce qu’évidemment, pour les entreprises non européennes, il y aura une très grande différence selon que la publication doit s’effectuer au niveau de la filiale ou au niveau du groupe.
ULRICH WOLFF : Tout à fait. Et cela façonnera la réaction des entreprises, mais c’est pourquoi je pense que nous devrions soulever la question relativement tôt et que nous devrions suivre cette discussion de très près, à la fois en tant que conseillers et en tant que responsables de la publication d’informations, notamment sur la durabilité. Mais je pense que peu importe si elle dépasse ou non le seuil de 150 millions d’euros, une entreprise de l’UE pourrait être assez rapidement affectée par les exigences de publication des informations, car même si elle n’est pas directement visée, ses filiales dans l’UE pourraient l’être, dans la mesure où elles ont un chiffre d’affaires suffisamment important.
Et bien sûr, si vous avez une filiale européenne qui est inscrite à la cote d’une bourse de l’UE, vous serez assujetti à la directive à partir de 2024. À mon avis, le plus important c’est qu’indirectement, vous serez assujetti à la directive en tant qu’élément de la chaîne de valeur des entreprises de l’UE qui pourraient être tenues de publier les informations. N’oubliez pas que si une entreprise européenne présente un rapport, elle a besoin de toutes sortes d’informations sur les questions de durabilité.
De plus, si une partie de sa chaîne de valeur se trouve au Canada ou en Amérique du Nord ou dans d’autres pays, il lui faudra obtenir les informations, les données et les descriptions pertinentes auprès de sa chaîne de valeur et commencer à inclure des clauses appropriées dans ses contrats de fournisseurs ou dans ses contrats d’approvisionnement pour pouvoir effectivement recueillir ces données. Quoi qu’il en soit, les entreprises non européennes, en raison de la grande puissance commerciale de l’UE, devront se conformer à la directive d’une manière ou d’une autre.
LISA MANTELLO : Il semble que si l’on se met à la place d’une personne qui doit publier des informations et que l’on remonte toute la chaîne de valeur, il ressort de cela qu’un très grand nombre d’entreprises non européennes seront affectées par cette directive.
ULRICH WOLFF : Je pense que vous avez entièrement raison et c’est pourquoi, à mon avis, l’occasion de soulever cette question dans ce balado est tout à fait opportune parce que, comme vous le savez, la mise en œuvre de toutes ces directives provoquera beaucoup de changements internes, notamment dans les processus internes qui doivent être examinés, modifiés et remodelés.
LISA MANTELLO : Donc, maintenant que nous savons que cela pourrait représenter une exigence de publication d’informations très importante tant pour les entreprises de l’UE que pour celles des autres pays, pouvez-vous nous parler plus particulièrement du contenu de ces exigences?
ULRICH WOLFF : Oui, cette exigence a une très vaste portée. La raison pour laquelle l’UE l’a créée, c’est afin de renforcer la transparence et l’ouverture pour les investisseurs sur les marchés européens. Il est évident qu’il s’agit d’un ensemble assez large de choses à faire. Les entreprises visées devront communiquer des informations sur toutes les questions concernant la durabilité relativement à leurs propres activités et surtout, et c’est là un grand changement, pour l’ensemble de leur chaîne de valeur.
La chaîne de valeur, dans la nomenclature utilisée ici, ne se limite pas à la chaîne d’approvisionnement; elle inclut les relations commerciales ascendantes et descendantes. Ainsi, les questions environnementales, sociales et relatives aux employés doivent faire l’objet de rapports. Cela englobe les droits de la personne, la lutte contre la corruption et les relations avec les gouvernements.
Les informations qui doivent être publiées comprennent, par exemple, la quantité de CO2 émise par une entreprise et la manière dont son modèle économique est compatible avec la limitation du réchauffement planétaire, conformément à l’Accord de Paris. Les informations publiées doivent couvrir non seulement les risques de durabilité auxquels l’entreprise est elle-même confrontée, mais aussi les répercussions de ses propres activités sur des objectifs ESG plus larges.
Les risques courus par l’entreprise et les risques créés par l’entreprise représentent ce que l’on appelle la double matérialité. La question qui est largement soulevée est celle des normes selon lesquelles la publication des informations doit s’effectuer. Il existe un Groupe consultatif pour l’information financière en Europe, l’EFRAG, que la Commission a chargé d’élaborer des normes, à savoir des normes européennes de publication d’informations sur les questions de durabilité.
Nous savons tous que d’autres organismes sont en train d’élaborer des normes sur la publication d’informations. L’une des choses que nous devons faire est de déterminer si les normes européennes de l’EFRAG seront des normes distinctes ou si elles feront l’objet d’une coordination avec d’autres organismes de normalisation. Cela n’est pas encore clair.
Si on lit entre les lignes, l’objectif est d’établir des normes européennes qui seront autant que possible harmonisées avec les autres normes relatives à la publication d’informations sur la durabilité. Savoir si cela est réalisable est une autre question. Le problème qui se pose est le suivant : pouvons-nous, pour les entreprises qui pourraient être visées par différentes normes relatives à la publication d’informations, rendre ces normes compatibles de manière à ne pas avoir deux ou trois séries de rapports complètement différents, ce qui aurait pour effet de créer de la confusion et de rendre moins complète la transparence qui est le but de tous ces efforts?
LISA MANTELLO : Ulrich, je réalise que la double matérialité que vous avez mentionnée est un nouveau concept intégré à la directive européenne, mais comment cela se compare-t-il à l’échelle mondiale?
Y a-t-il d’autres pays qui mettent en œuvre des exigences similaires?
ULRICH WOLFF : Cela dépend beaucoup du pays. Jusqu’à présent, chaque pays semble avoir sa propre initiative : le Royaume-Uni a des initiatives en matière de publication des informations, tout comme le Canada et l’Amérique du Nord. Celles-ci sont toutefois passablement différentes. Je pense que ce qui est assez unique, c’est que l’ensemble du tableau devrait être peint aux couleurs des directives européennes en matière de publication des informations. Les entreprises ne devraient pas se limiter à définir leur ambition et le risque que pose pour elles le changement climatique, elles devraient aussi déterminer l’impact de leurs produits sur le climat. Je pense donc que la portée est beaucoup plus grande que ce que je vois dans d’autres pays.
LISA MANTELLO : C’est certainement mon impression. Alors, étant donné que la portée est plus grande et que nous avons établi que cela s’appliquera certainement à certaines entreprises canadiennes, quel conseil donneriez-vous aux entreprises canadiennes sur la façon dont elles peuvent se préparer à cela, la façon dont elles peuvent se préparer à se conformer à la directive?
ULRICH WOLFF : Je pense que la première chose à faire est de suivre les discussions et l’établissement des normes, non seulement par pur intérêt, mais aussi parce que l’UE semble s’être fixé comme objectif de transformer son économie en une économie beaucoup plus durable. L’UE essaie donc, de son propre aveu, d’être à l’avant-garde dans ce domaine.
Souvent, les précurseurs, par exemple en matière de protection des données, deviennent des normalisateurs. Ainsi, les objectifs des normes de l’EFRAG et de la directive sur la publication d’informations peuvent en fait servir d’exemple pour d’autres pays et les lois qui les régissent. En plus de cela, chaque pays aura ses propres rapports. Nous voulons donc éviter de publier des informations dans un pays selon certaines normes et ensuite, en publiant des informations dans un autre pays selon des normes différentes, créer de la confusion et nous exposer à des accusations d’écoblanchiment.
Par conséquent, que ferais-je si j’étais une entreprise canadienne? Je commencerais par m’assurer qu’il existe un processus adéquat de collecte et de publication des données sur la durabilité. Qu’il s’agisse du processus que je devrai éventuellement créer ou des données que je devrai communiquer à mes fournisseurs et partenaires commerciaux.
La mise en place de bons systèmes de publication d’informations prend du temps. Nous constatons chez de nombreux clients que ces derniers commencent très tôt à se demander qui est responsable de la collecte des données et de quelles données il s’agit. Comment peuvent-ils obtenir ces données de tiers? Comment doivent-ils les présenter? Il faut donc s’y prendre tôt. Les entreprises doivent également examiner si leurs différentes divisions peuvent mieux collaborer aux fins de la publication d’informations sur la durabilité.
Nous constatons souvent que les mêmes questions sont traitées par différentes parties de la même entreprise. Les structures hiérarchiques internes devraient donc être revues. Par ailleurs, et nous y reviendrons dans le cadre de la directive sur le devoir de vigilance, les personnes dans les organes de direction et aux postes à responsabilités au sein d’une entreprise doivent disposer d’une expertise, de connaissances et d’une expérience suffisantes en matière de durabilité. De plus, les entreprises devraient probablement se demander si elles possèdent l’expertise requise et si cette expertise couvre l’ensemble de l’entreprise.
LISA MANTELLO : Oui, j’imagine sans aucun doute que les services de la conformité des entreprises qui seront soumises à ces directives vont accroître leurs effectifs et que les entreprises canadiennes vont chercher à déterminer ce qui constitue l’expertise adéquate et s’assurer qu’elles la possèdent afin de répondre à ces exigences.
Par conséquent, Ulrich, suggérez-vous que les entreprises canadiennes, si elles ont analysé la situation et déterminé qu’elles seront soumises à ces exigences, commencent à s’y préparer dès maintenant? Je pense qu’il est encore possible de faire des commentaires à leur sujet, mais devons-nous supposer qu’il s’agit de leur forme définitive?
ULRICH WOLFF : Je pense que pour la directive sur la publication d’informations, le trilogue a eu lieu et, par conséquent, nous nous attendons à ce que le texte actuel soit exactement celui qui sera promulgué. Pour ce qui est de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, qui a des effets dont la portée est beaucoup plus considérable et qui sont probablement plus directs, je rappelle qu’elle arrivera un peu plus tard.
Toutefois, nous devrions tous nous attendre à ce qu’elle devienne une loi européenne à la fin de l’année. Et puis, bien sûr, il y aura une période pendant laquelle tous les législateurs nationaux devront intégrer dans leurs lois nationales cette directive qui n’est qu’un cadre législatif.
Ultimement, nous saurons où nous en sommes exactement quelque part en 2022. Je pense qu’une fois que la directive sera en place, nous saurons à peu près ce que les gouvernements locaux feront, et nous devrions en fait prendre le temps de mettre en place nos systèmes pour satisfaire nos propres exigences en matière de publication d’informations, en ayant amplement l’occasion de mettre en place ces systèmes, ou d’être prêts à le faire, pour les entités de notre chaîne de valeur qui pourraient exiger des informations de notre part en tant qu’entreprise au Canada.
LISA MANTELLO : Merci, Ulrich, c’est un très bon conseil. Donc Ulrich, vous avez mentionné qu’il existe une directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. C’est la politique sœur de la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises. L’application de la directive sur le devoir de vigilance est-elle la même que celle de la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises?
ULRICH WOLFF : De prime abord, son application est très similaire. À nouveau, on retrouve le chiffre d’affaires de 150 millions nets dans les critères de l’UE, donc le même seuil. Elle va un peu plus loin, car il y a un ensemble de secteurs d’activité qui semblent particulièrement pertinents en matière de durabilité, notamment l’extraction de minéraux et la production alimentaire, pour lesquels le chiffre d’affaires requis n’est que de 40 millions dans l’UE, à condition qu’au moins 50 % du chiffre d’affaires net mondial de l’entreprise concernée soit réalisé dans ces secteurs à haut risque.
Une fois encore, nous ne sommes pas tout à fait sûrs de la manière dont les groupes doivent être considérés dans le contexte de la directive sur le devoir de vigilance. Les indications énoncées dans les considérants semblent suggérer que si ces chiffres d’affaires ont été atteints, alors l’ensemble de l’entreprise, même s’il s’agit d’une société étrangère, entre dans le champ d’application de la directive sur le devoir de vigilance.
Et cela ne signifie pas seulement la filiale basée dans l’UE ou une succursale, mais l’ensemble de l’entreprise mère. Nous pensons donc que cela va un peu plus loin. Il est logique que cela aille un peu plus loin, parce que la directive sur le devoir de vigilance a une influence beaucoup plus directe sur la gestion d’une entreprise ou vise à l’influencer beaucoup plus directement.
C’est donc la même discussion que celle soulevée par la Chambre de commerce des États-Unis. Nous croyons cependant que nous devrons surveiller cette situation et voir si, en fait, l’UE va aussi loin et souhaite que toute la chaîne de valeur, même en dehors de l’UE, soit visée par la directive.
LISA MANTELLO : Donc, cela semble aussi aller potentiellement trop loin, si la directive peut s’appliquer tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
ULRICH WOLFF : Absolument.
LISA MANTELLO : Étant donné que c’est une possibilité et qu’il semble que de nombreuses entreprises canadiennes seront visées par la directive sur le devoir de vigilance, pouvez-vous nous parler un peu de ces exigences?
ULRICH WOLFF : La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité porte en grande partie sur la gouvernance des entreprises. La bonne nouvelle est que le principal critère de gouvernance d’entreprise, à savoir la responsabilité des administrateurs, est expressément exclu ou uniquement régi pour les entreprises de l’UE. Mais elle impose trois exigences principales.
L’une d’elles est l’obligation de diligence raisonnable en matière d’environnement et de droits de la personne tout au long de la chaîne de valeur. Il ne s’agit pas seulement de la chaîne d’approvisionnement, mais bien de la chaîne de valeur. Vous devez donc déterminer l’incidence de votre processus de production, de votre processus de distribution et de l’élimination de vos biens sur l’environnement ou sur d’autres enjeux liés à la durabilité.
La chaîne de valeur est définie comme la production de biens ou la prestation de services par une entreprise, y compris le développement du produit ou du service, l’utilisation et l’élimination du produit, ainsi que les activités connexes réalisées dans le cadre des relations commerciales établies en amont et en aval de l’entreprise.
Il y a donc de profondes répercussions. La chaîne de valeur comprend les ressources, le transport, la production, le conditionnement, la vente et l’élimination du produit. Les activités de l’entreprise doivent être examinées dans le contexte de sa propre division commerciale, de celui des divisions commerciales des filiales, et par rapport aux relations établies, c’est le terme utilisé dans la directive, c’est-à-dire les relations commerciales d’une certaine durée que l’entreprise entretient avec des fournisseurs et d’autres parties.
La directive inclut des éléments allant des droits de la personne à la diligence raisonnable en matière d’environnement, en passant par l’intégration des politiques de l’entreprise, la détermination des conséquences négatives sur les droits de la personne et l’environnement, et elle prescrit que l’entreprise doit prendre les mesures appropriées pour prévenir ces conséquences et, en fin de compte, y mettre un terme, voire mettre un terme à la relation avec les fournisseurs. Elle oblige également les entreprises à avoir une procédure relative aux plaintes, à soutenir les obligations en matière de présentation de rapports et à prendre les mesures qui s’imposent à cet égard.
LISA MANTELLO : Cela semble donc assez général. Pouvez-vous nous donner quelques exemples de la manière dont ces obligations fonctionneraient, peut-être en faisant référence à des entreprises canadiennes?
ULRICH WOLFF : Eh bien, par exemple, prenons une entreprise canadienne de textile. Elle doit s’assurer, notamment et surtout en incluant des clauses contractuelles avec ses partenaires commerciaux, que ses fournisseurs ailleurs dans le monde ne recourent pas au travail des enfants ou à l’esclavage dans leur propre processus de production.
Et il ne suffit pas de le stipuler dans de belles formules, pour lesquelles la Commission rédigera d’ailleurs des exemples de clauses, comme des clauses de précédent, mais il faut aussi aller sur le terrain et contrôler de manière appropriée que ces clauses sont bel et bien respectées. Cela pourrait se faire par des visites sur place ou par le suivi de ces processus dans le monde entier.
LISA MANTELLO : C’était ma prochaine question. Donc, le simple fait d’indiquer dans une déclaration et un engagement que vous allez vous assurer que vous n’enfreignez pas les lois sur le travail des enfants n’est pas suffisant pour répondre à cette exigence?
ULRICH WOLFF : Non. Vous devez en assurer le suivi, présenter des rapports réguliers et vérifier quelles sont les conséquences réelles. Vous ne pouvez pas vous contenter de demander à votre avocat de l’indiquer dans une jolie clause intégrée à votre contrat de fourniture. Vous devez faire un suivi.
D’autre part, j’ai mentionné que cela concerne les relations établies. Donc ce qui est exclu, c’est l’achat ponctuel. Prenons un exemple comme l’acier. Vous achetez une tonne d’acier quelque part. Cela ne constitue pas une relation établie et continue et la directive semble suggérer que vous n’êtes pas responsable de cet achat ponctuel et que la responsabilité incombe au fournisseur.
LISA MANTELLO : Nous comprenons donc que, comme vous l’avez mentionné, les lois proposées entreront en vigueur au milieu de l’année 2023, ce qui approche rapidement étant donné l’étendue et la portée potentiellement excessive de certaines de ces directives. Quels conseils donneriez-vous aux entreprises canadiennes pour qu’elles se conforment aux exigences du devoir de vigilance?
ULRICH WOLFF : Je pense que la première chose importante est de comprendre sa propre chaîne de valeur. Cela signifie qu’il faut savoir qui fournit quoi et d’où vient le produit. Il faut aussi vérifier que des clauses contractuelles appropriées sont incluses dans ces contrats de fourniture et de vente pour s’assurer de pouvoir respecter les normes.
LISA MANTELLO : Alors, Ulrich, quelles sont les principales obligations imposées aux entreprises aux termes de la directive CSDD?
ULRICH WOLFF : Je pense que les principales obligations sont très variées. Les entreprises doivent avoir une stratégie en matière de durabilité, surveiller la stratégie, en évaluer les effets, avoir une procédure relative aux plaintes, et s’assurer que s’il y a des effets indésirables, les problèmes seront résolus.
Il est toutefois intéressant de noter que, dans la directive CSDD, et de manière quelque peu inappropriée, c’est à cet endroit que l’UE a imposé l’obligation de mettre en place un plan d’action climatique parfois appelé plan de transition climatique. Le plan de chaque entreprise doit définir et présenter une stratégie garantissant que le modèle de gestion de l’entreprise est compatible avec la transition vers une économie durable en l’alignant sur l’Accord de Paris, c’est-à-dire la limitation à 1,5 degré de l’augmentation globale de la température.
De plus, il doit contenir un objectif de réduction des émissions de CO2, le cas échéant. Bien sûr, ceci est maintenant conforme aux recommandations du GIEC et indique que ce plan doit être établi. C’est ce que j’ai appelé plus tôt les « règles impératives ». Alors qu’à l’heure actuelle, de nombreuses entreprises se sont engagées, à très juste titre, à atteindre ces objectifs, elles devront désormais, une fois la directive entrée en vigueur, produire un plan de transition climatique.
Pour les entreprises et les filiales basées en Europe, une clause intéressante, l’article 25 de la directive CSDD, stipule que les dirigeants d’entreprises doivent prendre en compte les conséquences de leurs décisions sur l’environnement et les droits de la personne lorsqu’ils prennent ces décisions et déterminent les objectifs de l’entreprise.
Ainsi, grâce à cette directive, les entreprises européennes doivent s’engager clairement à s’éloigner d’une gouvernance purement axée sur l’actionnariat ou sur les intérêts des actionnaires pour se tourner vers les intérêts plus larges des parties prenantes. Pour un avocat qui, comme moi, est spécialisé en droit des sociétés, c’est une innovation très intéressante.
Je dois mentionner qu’il y a toujours un organe administratif qui supervise ce que font les entreprises et qui a la possibilité – et l’obligation – d’imposer des amendes administratives. Il peut donc y avoir des conséquences monétaires. La directive oblige aussi les États membres à s’assurer que la responsabilité civile est imposée sur leur territoire.
LISA MANTELLO : Merci, Ulrich. Je souhaitais toutefois faire un commentaire sur le fait qu’il s’agit plus d’une approche axée sur les parties prenantes en raison des effets sur toutes les parties prenantes par opposition aux effets sur les actionnaires de l’entreprise.
ULRICH WOLFF : Oui, quand on en vient à cette éternelle question, on cherche à savoir si l’objectif de l’entreprise est de faire valoir les intérêts des actionnaires ou s’il est défini par rapport à un intérêt beaucoup plus large des parties prenantes. De plus, la directive, qui s’appliquera essentiellement aux entreprises de l’UE en excluant les entreprises des autres pays, exige que nos législations nationales soient modifiées pour préciser dans la loi sur les sociétés que les objectifs de l’entreprise seront désormais examinés à travers le prisme de larges considérations sur la durabilité.
Elles doivent donc tenir compte du fait qu’il n’est pas seulement utile d’examiner ces facteurs, mais qu’il est indispensable, pour un directeur qui prend une décision, de toujours tenir compte des considérations sur la durabilité au sens large et que cela devienne l’objectif de l’entreprise. Nous sommes donc très loin des concepts de la Chicago Law School sur le capitalisme actionnarial.
LISA MANTELLO : Oui, exactement. [RIRES] OK. Merci, Ulrich. Les directives semblent résolument envisager une approche plus large axée sur ce qui est dans l’intérêt de toutes les parties prenantes, par opposition aux seuls actionnaires. C’est donc très intéressant de voir que c’est la voie qu’elles empruntent.
Maintenant que nous disposons d’une bonne quantité d’informations à propos des deux directives et que nous les comprenons mieux, je réalise que cette question a soulevé pas mal de controverse sur le plan politique en Europe et je comprends maintenant pourquoi. Y a-t-il une chance que l’une ou l’autre des propositions change?
ULRICH WOLFF : Eh bien, je pense que la directive sur la publication d’informations revêt pratiquement sa forme définitive. Ensuite, bien sûr, il faudra voir ce que le processus de transformation apportera et c’est toujours la question qui se pose : certains pays voudront peut-être se surpasser dans leur mise en œuvre, alors que d’autres feront le strict minimum.
Toutefois, je ne pense pas que la directive CSRD, bien qu’elle doive encore être soumise à la révision juridico-linguistique, changera beaucoup. À mon avis, cela va de soi. La directive CSDD, la directive sur le devoir de vigilance, est à un stade beaucoup plus précoce du processus législatif. Le Parlement européen et le Conseil devront l’examiner minutieusement. Cela prendra-t-il du temps? Il est probable qu’il y aura des modifications et qu’elles devront faire l’objet de discussions avec la Commission.
Compte tenu de la sensibilité politique de la proposition et des opinions très divergentes entre les États membres et les institutions de l’UE, ainsi que de l’industrie, je pense que nous devons nous attendre à des négociations assez intenses qui se prolongeront au-delà de l’année prochaine. D’un autre côté, il est intéressant de noter que l’Allemagne et la France ont déjà mis en place des lois nationales sur le devoir de vigilance, ce qui signifie que ces pays ont déjà fait la moitié du chemin.
Nous ne nous attendons donc pas à une grande réticence de la part de l’Allemagne et de la France, mais je pense en effet que les discussions seront intenses. Je crois aussi que tous ceux qui traitent de ces questions dans leurs entreprises ont tout intérêt à leur emboîter le pas. Nous serons heureux de participer à un autre balado lorsque nous en saurons plus.
LISA MANTELLO : Absolument, nous serons à l’affût de ce qui se passe dans le processus législatif en Europe à propos de ces deux directives. Merci beaucoup, Ulrich. C’était très instructif et cela nous donne vraiment un bon aperçu de ce qui se passe en Europe en ce qui concerne la directive sur la publication d’informations et la directive sur le devoir de vigilance. Ces informations ont aussi été très utiles en ce qui a trait à la préparation de nos entreprises canadiennes.
Je dois mentionner à notre auditoire que nous tiendrons également un séminaire en personne sur ce sujet et qu’Ulrich se joindra à nous en personne, alors restez à l’écoute pour plus d’information. Vous pourrez poser vous-mêmes à Ulrich toutes vos questions à ce sujet. Merci beaucoup, Ulrich, ce fut très apprécié.
ULRICH WOLFF : Je vous en prie. Et je suis impatient de venir à Toronto.
[DIFFUSION DE MUSIQUE]
PATRICK WELSH : Merci d’avoir écouté cet épisode du balado Exploration ESG d’Osler. Ce balado est présenté par Osler, Hoskin et Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l., un cabinet d’avocats national de premier plan ayant un objectif unique – votre entreprise. Nous conseillons nos clients à l’égard d’un éventail de questions juridiques nationales et transfrontalières, en nous appuyant sur l’expertise de plus de 400 avocats pour fournir les réponses dont vous avez besoin au moment où vous en avez besoin.
PATRICK WELSH : Pour accéder aux ressources abordées dans l’épisode d’aujourd’hui et pour écouter d’autres épisodes, visitez-nous à l’adresse osler.com. Assurez-vous d’écouter et de vous abonner au balado Exploration ESG sur Apple, Google ou Spotify. À la prochaine, ici Patrick Welsh!
Le contenu de ce balado a une portée générale seulement et ne constitue nullement un avis juridique ou professionnel. Nous vous recommandons d’obtenir des conseils précis en fonction de votre situation. Les opinions exprimées sont celles des invités et des participants et non celles d’Osler, Hoskin et Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l. Pour plus d’informations sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance, veuillez visiter notre site Web à l’adresse osler.com.
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Portant sur l’évolution des exigences réglementaires, sur l’activisme des investisseurs et sur les effets physiques des changements climatiques sur les activités commerciales ainsi que sur d’autres sujets encore, le plus récent balado d’Osler, Exploration ESG, examine les évolutions et les enjeux qui touchent votre entreprise. Aux côtés d’invités bien informés d’Osler et du monde des affaires, John Valley, associé d’Osler, Droit des sociétés et Chef, ESG, guide les auditeurs sur les sujets essentiels auxquels font face les organisations modernes.
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