Récemment, dans l’affaire Barré c. CDPQ Infra inc., la Cour supérieure du Québec a rejeté une demande d’autorisation d’exercer une action collective relative aux inconvénients causés par la construction du Réseau électrique métropolitaine (le « REM »), statuant que les critères énoncés aux paragraphes 575 (2°) et 575 (4°) du Code de procédure civile (« C.p.c. ») n’étaient pas remplis. La Cour a ainsi rappelé toute l’importance et la pertinence de son rôle de filtrage au stade de l’autorisation d’une action collective. Dans cette affaire, la Cour a conclu à l’absence de faute des parties défenderesses quant aux mesures d’atténuation proposées durant les travaux, ainsi qu’à l’absence de recours fondé sur les troubles du voisinage. De plus, n’ayant pas de cause d’action personnelle à faire valoir contre l’une ou l’autre des défenderesses, la requérante ne pouvait être en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres du groupe. Finalement, la Cour a noté une grave déficience au niveau de la description du groupe proposée, la qualifiant de circulaire, et donc d’inacceptable.
Contexte
Pour résumer brièvement le contexte, la requérante demandait l’autorisation d’instituer une action collective à l’encontre de cinq défenderesses, soit CDPQ Infra inc., le Projet REM s.e.c., le Réseau de transport métropolitain faisant affaires sous la raison sociale « exo », l’Autorité régionale de transport métropolitain ainsi que la Procureure générale du Québec, aux droits du ministère des Transports et du Gouvernement du Québec (les « Défenderesses »).
Cette demande d’autorisation visait plus spécifiquement le projet de construction du REM, lequel devrait entraîner l’interruption partielle du service de trains de banlieue sur la ligne Deux-Montagnes et sur la ligne Mascouche, et ce notamment en raison d’une fermeture temporaire mais prolongée du tunnel sous le Mont-Royal.
Afin de pallier les inconvénients devant être occasionnés par la fermeture éventuelle de ce tunnel, les Défenderesses ont annoncé des mesures d’accommodements. Celles-ci étaient considérées comme étant nettement insuffisantes par la requérante, car elle craignait de voir son temps de déplacement quotidien, et celui des membres du groupe proposé, multiplié par deux. Ainsi, les mesures d’accommodements annoncées occasionneraient, selon elle, des inconvénients et un préjudice à venir incontestables.
Les conclusions recherchées au fond étaient principalement la condamnation in solidum des Défenderesses pour responsabilité avec et sans égard à la faute. La Cour a cependant rejeté la demande d’autorisation à l’encontre de toutes les Défenderesses.
Motifs et conclusions
D’emblée, dans le cadre de l’analyse du deuxième critère de l’article 575 C.p.c. (soit celui de l’apparence de droit), la Cour a reproché à la requérante d’avoir ajouté dans son plan d’argumentation un argument fondé sur l’article 16 de la Loi sur la protection du consommateur, lequel n’était supporté par aucun fait dans sa demande d’autorisation. Celle-ci ne peut pas être modifiée par des moyens détournés au moment de communiquer le plan d’argumentation. Selon la Cour, rien dans la demande d’autorisation ou dans le syllogisme proposé ne permettrait d’établir la responsabilité de l’une ou l’autre des défenderesses sur une base contractuelle.
Toujours dans le cadre de son analyse du deuxième critère, la Cour supérieure a analysé la question de la responsabilité pour faute extracontractuelle (prévue à l’article 1457 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») à la lumière des allégations invoquées dans la demande d’autorisation. La requérante invoquait principalement que le projet comportait de graves inconvénients qui n’étaient pas atténués convenablement par les Défenderesses. Or, la Cour en vient à la conclusion que cette dernière ne démontrait pas, et ce même sommairement, la faute reprochée. En effet, le fait par les Défenderesses d’élaborer et de coordonner des mesures d’atténuation ne saurait être fautif en soi. Une faute civile ne saurait être démontrée en reprochant aux autorités publiques de ne pas en faire suffisamment. Ainsi, rien ne permet de conclure que les Défenderesses, par action ou omission, se comporteraient de manière à nuire aux usagers du service de trains de banlieue.
La demande d’autorisation invoquait également la responsabilité sans faute des Défenderesses pour les troubles de voisinage qu’ils occasionneraient à la requérante et aux autres membres du groupe proposé, en vertu de l’article 976 C.c.Q. À cet égard, la Cour a noté que la requérante ne résidait même pas dans le voisinage de la ligne de trains Deux-Montagnes. Les problèmes soulevés par cette dernière n’avaient donc pas de lien suffisamment étroit avec son lieu de résidence. La Cour ne pouvait alors pas autoriser une action collective sur cette base.
En ce qui concerne le quatrième critère de l’article 575 C.p.c. (celui relatif à la qualité du représentant proposé), la Cour conclut sur la base de l’analyse qui précède que la requérante n’avait pas de cause d’action personnelle à faire valoir contre l’une ou l’autre des Défenderesses, en plus du fait qu’elle ne saurait être considérée comme une « voisine » telle qu’elle le laissait entendre dans sa demande d’autorisation.
La demande en autorisation de l’action collective a dès lors été rejetée, deux des critères de l’article 575 C.p.c. n’ayant pas été remplis. Au surplus, la Cour a pris soin d’ajouter qu’une lacune fatale affectait la description du groupe proposée. En effet, cette dernière ne décrivait pas le groupe des membres de façon claire et objective en raison de son caractère circulaire, ayant pour conséquence qu’une personne ne pouvait comprendre facilement si elle faisait partie de ce groupe ou non. Ainsi, cela ne respectait pas le droit d’exclusion, qui est un principe fondamental en matière d’actions collectives.
Commentaire
Nous saluons cette décision, laquelle vient établir des limites aux obligations que les pouvoirs publics pourraient avoir en ce qui a trait à la fourniture des services de transport public, et ce, malgré le caractère essentiel de ces services. La Cour note que le REM est probablement le plus gros projet d’infrastructures en cours au Québec, et que cela comporte nécessairement son lot de dérangements et d’aléas pour les usagers et les citoyens. La Cour prend d’ailleurs soin d’établir une distinction avec les inconvénients pouvant être occasionnés par des arrêts de services ponctuels des transports publics, liés par exemple à des problèmes avec l’équipement, lesquels peuvent entraîner la responsabilité des parties concernées.[1] L’autorisation de l’action collective dans l’affaire Barré aurait effectivement pu avoir des répercussions négatives importantes quant à la responsabilité des pouvoirs publics à l’occasion des travaux d’entretien ou de construction des infrastructures, notamment routières.
Cette décision apporte ainsi un équilibre entre l’intérêt public de voir la construction et l’entretien d’infrastructures pouvant profiter à un grand nombre d’usagers, et les inconvénients malheureux, mais nécessaires pouvant être causés par ces grands travaux. Elle nous rappelle également que malgré un processus d’autorisation d’actions collectives au Québec qualifié de souple, avec un simple fardeau de démonstration et de logique pouvant être assez facilement satisfait, ce processus doit tout de même permettre d’écarter les demandes manifestement mal fondées en fait ou en droit, comme cela a été le cas en l’espèce. On note d’ailleurs qu’au cours des derniers mois, plusieurs juges (incluant ceux de la Cour d’appel) n’ont pas hésité à rejeter des demandes d’actions collectives jugées mal fondées.
[1] À cet égard, la Cour fait la distinction avec l’autorisation de l’Action collective accordée dans l’affaire Konstas c. Réseau de transport métropolitain (Exo), 2020 QCCS 1099