Changements dans les lois et pratiques canadiennes en matière de marques de commerce à partir du 1er avril 2025 Changements dans les lois et pratiques canadiennes en matière de marques de commerce à partir du 1er avril 2025

28 mars 2025 14 MIN DE LECTURE

D’importantes modifications apportées à la Loi sur les marques de commerce et au Règlement sur les marques de commerce du Canada, qui entrent en vigueur le 1er avril 2025, ont des répercussions importantes pour les propriétaires de marques de commerce et les parties aux procédures devant la Commission des oppositions des marques de commerce et la Cour fédérale[1]. Les modifications en question mettent en œuvre certains aspects de la Stratégie en matière de propriété intellectuelle de 2018 du gouvernement du Canada et visent à accroître l’efficacité des litiges en matière de marques de commerce, à empêcher les pratiques abusives et à souligner l’importance de l’emploi comme fondement du maintien et de la revendication des droits sur les marques de commerce au Canada[2]. Le présent bulletin donne un aperçu des changements et de certaines de leurs répercussions pratiques.

Pour comprendre toute l’étendue des modifications législatives et de leurs répercussions, veuillez communiquer avec un membre du groupe Propriété intellectuelle d’Osler.

Aperçu des changements

Les modifications apportées à la Loi sur les marques de commerce, L.R.C., 1985, ch. T-13 (la Loi), et au Règlement sur les marques de commerce, DORS/2018-227 (le Règlement), octroient au registraire des marques de commerce (le registraire) de nouveaux pouvoirs que celui-ci peut exercer en lien avec des marques officielles et dans le cadre des procédures devant la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission). Elles ont également une incidence sur les droits des parties en lien avec les litiges en matière de marques de commerce devant la Cour fédérale. Conformément aux modifications corrélatives qui sont déjà entrées en vigueur, les modifications à venir ne s’appliqueront qu’aux demandes de marque de commerce qui ont été annoncées le 17 juin 2019 ou après cette date[3].

Nouveaux pouvoirs du registraire

À compter du 1er avril 2025, le registraire disposera d’un pouvoir accru en matière de prise de décision en lien avec les marques officielles et dans le cadre des litiges relatifs aux marques de commerce et aux indications géographiques.

Marques officielles

En vertu des modifications, le registraire aura le pouvoir de supprimer des marques officielles du registre le registre canadien des marques de commerce. Une marque officielle s’entend de tout insigne, écusson, marque ou emblème adopté et employé par une autorité publique au Canada (telle qu’une organisation gouvernementale)[4]. Une fois accordée, une marque officielle empêche toute personne d’adopter, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de la marque officielle ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec elle, quels que soient les produits et services qui y sont associés. Une marque ressemblant à une marque officielle ne peut être enregistrée et employée qu’avec le consentement du propriétaire de la marque officielle, qui n’est nullement obligé de donner un tel consentement. Contrairement aux marques de commerce déposées, les marques officielles n’ont pas besoin d’être renouvelées et peuvent donc exister indéfiniment.

En raison de l’étendue de la protection accordée aux marques officielles, il est difficile pour les demandeurs de surmonter les objections soulevées par le registraire lorsqu’une autorité publique refuse de donner son consentement à l’enregistrement. Dans de telles circonstances, les parties ont généralement dû recourir à la Cour fédérale pour obtenir une mesure déclaratoire ou une révision judiciaire à l’égard de la décision relative à l’avis public d’adoption.

Les modifications à venir offriront désormais aux demandeurs une troisième voie pour surmonter l’obstacle posé par une marque officielle : le registraire aura le pouvoir de supprimer une marque officielle lorsque son propriétaire n’est pas une autorité publique ou n’existe plus[5]. En outre, le registraire pourra entreprendre, de sa propre initiative, un examen du statut d’autorité publique du propriétaire[6].

Le fait d’octroyer au registraire le pouvoir de réexaminer la légitimité du statut d’autorité publique d’une entité procure aux parties un moyen moins onéreux de contester les marques officielles que les examinateurs de marques citent pour s’opposer à l’enregistrement. Le Bureau des marques de commerce mettra en place un procédé permettant au registraire de tenir compte des renseignements fournis par une partie requérante pour déterminer si un avis devrait être envoyé au titulaire de la marque officielle pour lui demander de fournir la preuve de son statut d’autorité publique[7].

Nouvelles ordonnances disponibles dans le cadre des procédures devant la Commission

À partir du 1er avril 2025, le registraire aura le pouvoir de rendre des ordonnances de confidentialité, d’adjuger des frais et de gérer les procédures devant la Commission visées par les articles 11.13 (opposition à une indication géographique), 38 (procédure d’opposition) et 45 (procédure d’annulation) de la Loi[8]. Plusieurs projets d’énoncé de pratique rendus publics fournissent des détails sur l’application des nouvelles dispositions de la Loi et du Règlement[9].

Ordonnances de confidentialité

Les modifications à venir permettront au registraire de rendre des ordonnances de confidentialité à tout moment avant la production des éléments de preuve dans le cadre d’une procédure devant la Commission[10]. À l’heure actuelle, tous les éléments de preuve présentés dans le cadre d’une procédure devant la Commission sont rendus publics[11]. Cela peut poser problème, car les parties peuvent être amenées à produire des éléments de preuve incomplets ou insuffisants en vue de se prémunir contre la communication non souhaitée de renseignements sensibles sur le plan commercial.

Pour décider s’il rendra une ordonnance de confidentialité, le registraire doit tenir compte de l’intérêt public à l’égard de la publicité des débats judiciaires[12] et a fait part de son intention d’appliquer les critères pour rendre une ordonnance de confidentialité définis par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Sierra Club[13] et Sherman[14]. Il incombe à la partie requérante de démontrer ce qui suit :

  1. la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important
  2. l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque
  3. les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs[15]

Une fois l’ordonnance de confidentialité rendue, le registraire peut la modifier ou l’annuler à tout moment au cours de la procédure[16]. En cas d’appel d’une ordonnance de confidentialité rendue par le registraire qui est interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi devant la Cour fédérale, l’ordonnance peut être exécutée comme telle dès lors qu’elle a été dûment déposée à cette cour[17].

Il reste à voir à quelle fréquence le registraire rendra des ordonnances de confidentialité dans le cadre des procédures devant la Commission. Le registraire a indiqué qu’il estimait que ces ordonnances seraient exceptionnelles, parce qu’elles entraînent un écart par rapport au principe de publicité des débats judiciaires et que, pour la plupart des procédures, le caviardage des documents ou la description des éléments de preuve de manière générale seront suffisants pour une décision juste[18].

Adjudication des frais

En vertu de nouveaux articles de la Loi et du Règlement, le registraire pourra adjuger des frais contre une partie dans le cadre d’une procédure devant la Commission, mais seulement après qu’une décision finale a été rendue[19].

L’adjudication des frais vise à réduire les comportements inefficients et à inciter les parties à faire avancer de manière efficiente la procédure devant le registraire. Elle ne vise pas à empêcher une partie de participer pleinement à une procédure ou d’avoir une représentation zélée, et elle n’est pas dictée par le succès (c’est-à-dire qu’une partie qui obtient gain de cause peut être sanctionnée par des frais)[20]. Le montant des frais sera adjugé en fonction des droits prescrits pour débuter la procédure en question au moment de l’ordonnance du registraire[21].

Le registraire ne peut adjuger des frais que dans les circonstances suivantes :

  • si une partie adopte un comportement déraisonnable qui entraîne indûment des retards ou des dépenses[22]
  • si une partie qui a produit une demande d’audience retire sa demande moins de 14 jours avant la date prévue de l’audience[23]
  • si la demande d’enregistrement d’une marque de commerce est rejetée au motif qu’elle a été produite de mauvaise foi (dans le cas d’une procédure d’opposition seulement)[24]
  • si des frais ont été adjugés relativement à une demande divisionnaire qui a été produite le jour où la demande initiale a été annoncée ou après ce jour (dans le cas d’une procédure d’opposition seulement)[25]

L’Énoncé de pratique sur l’adjudication des frais donne des exemples de comportements qui peuvent être considérés comme « déraisonnables »[26]. Le registraire n’adjugera des frais que dans des « circonstances exceptionnelles » et il n’envisagera d’en adjuger dans le cadre d’une procédure qu’à la demande d’une partie. Conformément au principe que les parties doivent connaître la loi avant d’agir, l’énoncé de pratique indique les circonstances dans lesquelles le registraire n’adjugera pas de frais dans le cadre des procédures en cours (en date du 1er avril 2025)[27].

Lorsqu’une partie soumet une demande d’adjudication de frais dans le cadre d’une procédure devant la Commission, le registraire fournira les raisons de sa décision relative aux frais dans la décision finale de la procédure[28].

Gestion de l’instance

Dans le cadre d’une procédure « faisant l’objet d’une gestion de l’instance » devant la Commission, le registraire aura un pouvoir accru de contrôler les procédures en rendant toute ordonnance qui favorise le déroulement efficace et efficient des procédures[29]. Le pouvoir de désigner une procédure comme « faisant l’objet d’une gestion de l’instance » entrera également en vigueur le 1er avril 2025[30]. Le registraire a indiqué qu’il n’y aura gestion de l’instance que dans des circonstances exceptionnelles, mais qu’elle pourrait être justifiée dans le cas des demandes divisionnaires en matière d’opposition, des corrections apportées aux demandes prévues au Protocole et des procédures qui font l’objet d’ordonnances de confidentialité[31].

Changements concernant les litiges en matière de marques de commerce devant la Cour fédérale

Deux modifications apportées à la Loi, qui entrent en vigueur le 1er avril 2025, ont une incidence sur les parties à des litiges en matière de marques de commerce devant la Cour fédérale.

Autorisation requise pour produire de nouveaux éléments de preuve en appel

À partir du 1er avril 2025, les parties à un appel devant la Cour fédérale en vertu de l’article 56 de la Loi devront obtenir son autorisation pour produire de nouveaux éléments de preuve en appel[32]. À l’heure actuelle, toute partie qui fait appel d’une décision du registraire a le droit de produire des éléments de preuve supplémentaires devant la Cour fédérale en appel en vertu de l’article 56 de la Loi[33]. Si les nouveaux éléments de preuve sont jugés pertinents, cela déclenche un appel de novo,et la Cour se substitue au registraire pour réévaluer l’instance en tenant compte des renseignements supplémentaires[34]. Ce changement, qui supprime le droit automatique de produire de nouveaux éléments de preuve en appel, vise à encourager les parties à présenter leurs meilleurs éléments de preuve au registraire.

Il n’est pas clair à quel point il sera onéreux d’obtenir l’autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve. La disposition modifiée ne prescrit pas le critère à appliquer, et il appartiendra à la Cour fédérale de déterminer comment ces demandes doivent être traitées et si le critère pour l’autorisation de produire de nouveaux éléments de preuve sera différent selon le type de procédure sous-jacente (par exemple, une procédure d’opposition par rapport à une procédure d’annulation).

Obligation d’emploi dans le cadre des procédures d’application

Dans le cadre des procédures d’application faisant état d’allégations au titre des articles 19, 20 ou 22 de la Loi, le propriétaire d’une marque de commerce déposée devra, à compter du 1er avril 2025, prouver que la marque de commerce déposée a été employée au Canada si la procédure est engagée au cours de la période de trois ans suivant l’enregistrement[35]. Cela empêchera les parties de faire valoir des droits relatifs à un enregistrement de marque de commerce qu’un contrefacteur présumé ne peut pas encore contester en vertu de l’article 45 de la Loi pour radiation pour défaut d’emploi.

Bien que le libellé du nouveau paragraphe 53.2(1.1) de la Loi reflète celui de l’article 45 de la Loi, il n’est pas clair si la Cour appliquera le même critère d’emploi prima facie qui s’applique actuellement aux procédures au titre de l’article 45 ou si, relativement à des allégations de contrefaçon ou de diminution de la valeur de l’achalandage en vertu des articles 19, 20 et 22 de la Loi, elle appliquera un critère plus rigoureux pour évaluer qu’un demandeur a démontré qu’il a employé une marque de commerce récemment déposée.

Conclusion

Les changements dans la législation canadienne en matière de marques de commerce qui entrent en vigueur le 1er avril 2025 ont des incidences et des répercussions importantes sur les pratiques en la matière. Comme c’est le cas pour toutes les modifications législatives et les changements corrélatifs dans les pratiques, les propriétaires de marques de commerce et ceux qui pratiquent devant la Commission et la Cour fédérale devraient garder ces nouvelles dispositions à l’esprit afin de réduire les risques au minimum, de tirer parti des nouveaux mécanismes procéduraux et de se tenir au courant de l’évolution de la jurisprudence.

Pour plus de détails sur la manière dont ces changements pourraient toucher les pratiques en matière de marques de commerce au Canada, veuillez communiquer un membre du groupe Propriété intellectuelle d’Osler.


[1] Décret fixant au 1er avril 2025 la date d’entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018 [PDF], TR/2025-12, (2025) Gazette du Canada, partie II, p. 887 et suiv. (Loi no 2 d’exécution du budget de 2018) (le décret); Règlement modifiant le Règlement sur les marques de commerce, DORS/2025-19, art. 9 [PDF].

[2] Décret, à la page 889 [PDF].

[3] Loi, alinéa 70(1)a) [PDF].

[4] Loi, ss-alinéa 9(1)n)(iii) [PDF].

[5] Loi, art. 9(3) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[6] Loi, art. 9(4) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[7] Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (2025), Gazette du Canada, partie II, p. 763 et suiv. (Règlement modifiant le Règlement sur les marques de commerce), à la p. 776 [PDF].

[8] Loi, art. 11.13(9) [PDF], 38.1(1) [PDF], 45(4.1) [PDF], 45.1 [PDF] et 65.3 (en sa version modifiée le 1er avril 2025); Règlement, art. 95.2 [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[9] Énoncé de pratique sur l’adjudication des frais; Énoncé de pratique sur les ordonnances de confidentialité; Énoncé de pratique sur la gestion de l’instance.

[10] Loi, alinéas 45.1(1)-(2) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[11] Loi, ss-alinéa 29(1)f) [PDF].

[12] Règlement, par. 95.1(2) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[13] Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 (arrêt Sierra Club).

[14] Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 (arrêt Sherman).

[15] Énoncé de pratique sur les ordonnances de confidentialité, section IV.1.

[16] Règlement, par. 95.1(4) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[17] Loi, par. 45.1(6) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[18] Énoncé de pratique sur les ordonnances de confidentialité, section I.

[19] Loi, par. 11.13(9) [PDF], 38.1(1) [PDF] et 45(4.1) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025); Règlement, par. 58.1(2) [PDF], 74.1(2) [PDF] et 93.1(2) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[20] Énoncé de pratique sur l’adjudication des frais, section I.

[21] Énoncé de pratique sur l’adjudication des frais, section IV.

[22] Règlement, al. 58.1(1)d) [PDF], 74.1(1)b) [PDF], 93.1(1)b) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[23] Règlement, al. 58.1(1)c) [PDF], 74.1(1)a) [PDF], 93.1(1)a) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[24] Règlement, al. 58.1(1)a) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[25] Règlement, al. 58.1(1)b) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[26] Énoncé de pratique sur l’adjudication des frais, section II.3.d.

[27] Énoncé de pratique sur l’adjudication des frais, section VI; Règlement, par. 58.1(3) [PDF], 74.1(3) [PDF] et 93.1(3) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[28] Énoncé de pratique sur l’adjudication des frais, section IV.

[29] Règlement, art. 95.2 [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025). 

[30] Règlement, par. 95.3(1) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[31] Énoncé de pratique sur la gestion de l’instance, section VII.

[32] Loi, par. 56(5) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).

[33] Loi, par. 56(5) [PDF] (dans sa version antérieure au 1er avril 2025).

[34] Clorox Company of Canada, Ltd. c. Chloretec s.e.c., 2020 CAF 76, par. 21.

[35] Loi, par. 53.2(1.1) [PDF] (en sa version modifiée le 1er avril 2025).