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Associé, Litiges, Toronto
La Cour d’appel de l’Ontario a récemment commenté un domaine complexe de la compétence en matière d’appel : les ordonnances définitives et interlocutoires étroitement liées. La question s’est posée dans l’affaire Martin v. 11037315 Canada Inc. 2021 ONCA 246, où le juge de la Cour supérieure a rendu des ordonnances à la fois définitives et interlocutoires découlant de la même requête. En règle générale, les appels d’ordonnances interlocutoires ne peuvent être interjetés que devant la Cour divisionnaire avec autorisation, tandis que les appels d’ordonnances définitives peuvent être interjetés devant la Cour d’appel. Il peut en résulter des appels distincts devant des tribunaux différents, découlant de la même procédure. Cependant, qu’en est-il d’une affaire comme l’affaire Martin, où l’on peut soutenir que les ordonnances interlocutoires et définitives sont étroitement liées?
Le partage des compétences entre des ordonnances interlocutoires et des ordonnances définitives est l’une des questions les plus contrariantes des débats en appel. Identifier la bonne voie d’appel à partir de différents aspects d’une ordonnance est d’une complexité notoire et les conséquences d’une erreur peuvent être importantes. La compétence en matière d’appel est prévue par la loi, et aucun appel ne peut être interjeté devant un tribunal n’ayant pas compétence. Il existe plusieurs mécanismes dans la Loi sur les tribunaux judiciaires pour soulager les parties des conséquences d’une erreur (comme le transfert de l’appel au tribunal ayant compétence), mais l’application de ces dispositions dépend des circonstances.
L’affaire Martin est potentiellement significative en tant qu’autre affaire récente traitant des ordonnances définitives et interlocutoires étroitement liées. Il existe un courant jurisprudentiel selon lequel la Cour d’appel peut avoir une compétence d’appel sur des ordonnances définitives et interlocutoires combinées – à condition qu’elles soient suffisamment liées – sans exiger que l’appelant demande l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour divisionnaire. L’affaire Martin est au moins la quatrième affaire s’appuyant sur ce courant jurisprudentiel depuis mars 2020 (Abbasbayli v. Fiera Foods Company 2021 ONCA 95; 2099082 Ontario Limited v. Varcon Construction Corporation 2020 ONCA 202; et Cooper v. The Laundry Lounge, Inc. 2020 ONCA 166).
Contexte de l’affaire Martin
Dans l’affaire Martin, il était question d’un différend immobilier. La Cour supérieure a exercé sa compétence en équité essentiellement pour redonner à une propriétaire l’avoir propre qu’elle possédait dans sa maison, avoir propre qu’elle a perdu après que les appelants (des sociétés à numéro) avaient obtenu une ordonnance de saisie par jugement par défaut. Aux fins des questions de compétence, il y avait trois catégories d’ordonnances visées par le recours :
- une ordonnance annulant le jugement par défaut saisissant la maison (interlocutoire);
- des ordonnances pour la vente de la maison et pour le versement du produit de la vente de façon à ce que la propriétaire récupère son avoir net, déduction faite du solde hypothécaire et d’autres obligations (définitives); et
- une ordonnance rejetant une requête en modification des ordonnances fondée sur un « fait nouveau » (interlocutoire).
Les appelants ont interjeté appel devant la Cour d’appel contre ces ordonnances, sans demander l’autorisation à la Cour divisionnaire de faire appel des ordonnances interlocutoires. Cela a créé un problème potentiel de compétence, que la juge Sarah Pepall a soulevé auprès des avocats. Même si les parties étaient satisfaites de procéder devant la Cour d’appel, leur consentement ne peut conférer une compétence d’appel.
Paragraphe 6(2) de la Loi sur les tribunaux judiciaires
La situation en cause dans l’affaire Martin est potentiellement traitée par les dispositions relatives au renvoi de la Loi sur les tribunaux judiciaires, mais il y a des limites à ces pouvoirs. En vertu du paragraphe 6(2), la Cour d’appel a compétence pour entendre et juger un appel qui est du ressort de la Cour divisionnaire, si un autre appel relatif à la même instance est du ressort de la Cour d’appel et est porté devant cette dernière. Lorsque la Cour d’appel a compétence en vertu de cette disposition, le pouvoir d’exercer cette compétence est discrétionnaire.
Toutefois, le paragraphe 6(2) n’habilite pas la Cour d’appel à accorder l’autorisation d’interjeter appel lorsque la Loi sur les tribunaux judiciaires exige que l’appelant demande l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour divisionnaire comme condition préalable à l’appel. Dans ces circonstances, la Cour d’appel ne peut pas avoir compétence en matière de l’appel tant que la Cour divisionnaire n’a pas elle-même autorisé l’appel. (Voir, par exemple, l’affaire Mader v. South Easthope Mutual Insurance Company 2014 ONCA 714, para. 55.)
Cette limite est particulièrement importante lorsqu’il s’agit d’ordonnances interlocutoires, comme dans l’affaire Martin. L’appel d’une ordonnance interlocutoire d’un juge d’une cour supérieure ne peut être interjeté devant la Cour divisionnaire qu’avec l’autorisation de cette dernière (alinéa 19(1)(b) de la Loi sur les tribunaux judiciaires). Pour fonder la compétence en matière d’appel, l’appelant doit d’abord demander et obtenir l’autorisation de la Cour divisionnaire. Ce n’est qu’alors que l’appel interlocutoire peut être combiné avec un appel déjà devant la Cour d’appel.
Ordonnances définitives et interlocutoires étroitement liées
Nonobstant les limites du paragraphe 6(2), il existe un courant jurisprudentiel qui applique cette disposition aux ordonnances définitives et interlocutoires étroitement liées pour fonder la compétence de la Cour d’appel sans autorisation. Dans l’affaire Martin, la Cour, renvoyant à Lax v. Lax [2004] O.J. No. 1700, a conclu que [TRADUCTION] « l’autorisation d’interjeter appel d’une ordonnance d’un juge de la Cour supérieure n’est pas nécessaire lorsque les questions en litige dans un appel d’une ordonnance ayant des aspects définitifs et interlocutoires sont tellement liées que l’autorisation aurait inévitablement été accordée. »
L’affaire Martin reprend ce courant jurisprudentiel de l’affaire Lax, qui a été suivie dans plusieurs affaires depuis. En incluant l’affaire Martin, la Cour d’appel s’est appuyée sur ce courant jurisprudentiel au moins quatre fois depuis mars 2020. Avant cela, le principe dans l’affaire Lax était cité occasionnellement, mais moins fréquemment.
À première vue, l’arrêt rendu dans l’affaire Lax peut sembler incompatible avec l’idée que la Cour divisionnaire doit accorder l’autorisation d’interjeter appel avant que la Cour d’appel n’ait compétence pour se saisir de l’appel en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur les tribunaux judiciaires. Cependant, le principe dans l’affaire Lax est logique et constitue un moyen pratique de traiter la multiplicité des appels pouvant autrement résulter de la division de la compétence en matière d’appel. Obliger l’appelant à demander l’autorisation de la Cour divisionnaire ajouterait inutilement temps et frais au processus. Il vaut mieux l’éviter, en particulier compte tenu de la pression exercée par la pandémie sur le système judiciaire.
Requête dans l’affaire Martin
Dans l’affaire Martin, la juge Pepall était convaincue qu’il était au moins défendable que la Cour d’appel ait compétence. La question reste toutefois ouverte pour un règlement définitif, car la question immédiate devant la juge Pepall était de savoir s’il fallait permettre aux appelants de poursuivre leur requête en rétablissement de l’appel (que le greffier semble avoir rejetée pour cause de retard). La juge Pepall a permis à la requête de procéder le 28 avril 2021. À l’heure où ces lignes ont été écrites, aucune décision n’avait encore été annoncée.
Autre point de pratique lié à la COVID
L’affaire Martin soulève un important point de pratique durant la pandémie de COVID-19. Des ordonnances formelles n’avaient pas été prises à la Cour supérieure, le juge de première instance ayant renoncé aux ordonnances formelles dactylographiées étant donné la pandémie. Il a plutôt déterminé que ses avenants étaient considérés comme des ordonnances.
Le problème que cela soulève dans une cour d’appel est que l’appel porte sur l’ordonnance et non sur les motifs. L’ordonnance formelle constitue la base de l’appel, et non une formalité, et doit être présentée à la cour d’appel. La juge Pepall a pris note de l’énoncé sur le site Web de la Cour d’appel selon lequel « une ordonnance rendue est requise aux fins d’un appel devant la Cour d’appel de l’Ontario dans une procédure civile ». Elle a recommandé que le personnel du greffe informe les appelants qu’ils doivent obtenir une ordonnance rendue avant l’audition de la requête. C’est un bon conseil pour nous tous.
Cet article a été publié à l’origine dans le Lawyer’s Daily (https://www.thelawyersdaily.ca/), qui fait partie de LexisNexis Canada Inc.