Détermination de la juste valeur marchande des participations des dirigeants dans le cadre de rachats au Canada Détermination de la juste valeur marchande des participations des dirigeants dans le cadre de rachats au Canada

22 octobre 2025 13 MIN DE LECTURE

Alors que les sociétés de capital-investissement s’en remettent généralement au conseil d’administration pour fixer le prix de rachat des participations des dirigeants lors du départ de l’un d’eux, il existe d’autres mécanismes d’évaluation qui peuvent être mieux adaptés dans certaines circonstances.

Introduction

Lors des acquisitions de capital-investissement au Canada, les dirigeants ont l’habitude de « transférer » (roll) la totalité ou une partie de leur participation dans la société de portefeuille, ou de se voir attribuer une participation significative dans celle-ci, souvent à hauteur de 20 % de sa capitalisation après l’opération. Ces incitatifs à base de participations constituent, pour les sociétés de capital-investissement (SCI), un outil essentiel leur permettant d’attirer, de maintenir en poste et de motiver les dirigeants occupant des fonctions clés.

Lorsqu’un dirigeant quitte une société de portefeuille, la SCI détient généralement par contrat le droit de racheter les participations du dirigeant (le droit de rachat) et, dans certaines circonstances, le dirigeant peut avoir également le droit de vendre tout ou partie de ses participations (le droit de vente). Dans ces situations, le prix de rachat est généralement déterminé en fonction de la juste valeur marchande (JVM) des participations au moment du départ. Pour les sociétés fermées, où il n’existe pas de marché public permettant d’établir un prix objectif, les parties doivent convenir d’une méthode pour évaluer la JVM. Les trois méthodes les plus courantes sont les suivantes :

  1. Évaluation par le conseil d’administration
  2. Évaluation par un évaluateur tiers indépendant
  3. Évaluation fondée sur une formule basée sur des paramètres financiers prédéterminés

Constituant un aspect crucial et souvent très négocié des régimes d’actionnariat des dirigeants, la détermination du prix de rachat a des conséquences importantes tant pour les dirigeants que pour la SCI. La méthode choisie influera non seulement sur les résultats financiers, mais aussi sur l’efficacité du processus de rachat, la probabilité de litiges et la stabilité de la relation entre la SCI et les dirigeants.

Facteurs déclenchant le rachat des participations des dirigeants

Les questions relatives à l’évaluation et au rachat des participations des dirigeants, qu’elles prennent la forme d’attributions incitatives (telles que des options d’achat d’actions, des droits à la plus-value des actions, des actions assujetties à des restrictions, des unités d’actions assujetties à des restrictions ou des actions fictives) ou de participations de transfert (rollover interests) et de coïnvestissement acquises aux côtés de la SCI, surviennent généralement lorsque le droit de rachat ou le droit de vente prévus par contrat deviennent susceptibles d’exercice à la suite de la cessation d’emploi d’un dirigeant. En règle générale, le prix de rachat dépend de trois variables :

  1. la nature du droit exercé (droit de rachat ou droit de vente)
  2. la forme des participations visées (attributions incitatives ou participations de transfert ou de coïnvestissement)
  3. la question de savoir si le départ du dirigeant peut être considéré comme un « départ en bons termes » ou un « départ en mauvais termes »

Dans les situations où le droit de rachat est exercé à l’égard d’attributions incitatives, le prix de rachat est généralement lié aux circonstances entourant le départ du dirigeant. Dans le cas d’un départ en mauvais termes (tel qu’un licenciement pour une cause juste et suffisante ou une démission sans « motif valable »), le dirigeant vendeur n’a généralement droit qu’à la somme la moins élevée entre les suivantes :

  1. la somme qu’il a initialement versée pour sa participation, le cas échéant
  2. la JVM de sa participation au moment du rachat

Dans ces circonstances, le dirigeant est effectivement privé de toute plus-value réalisée par la société de portefeuille pendant que celle-ci était détenue par la SCI et dissuade les départs en mauvais termes.

À l’inverse, dans le cas d’un départ en bons termes (tel qu’un licenciement sans cause juste et suffisante, un départ à la retraite, un décès ou une invalidité permanente), le dirigeant a généralement droit à la fois :

  1. au remboursement des coûts (le cas échéant) liés aux attributions dont les droits ne sont pas acquis
  2. au paiement de l’intégralité de la JVM des attributions incitatives dont les droits sont acquis, ce qui permet au dirigeant de toucher la plus-value qu’il a contribué à créer

Dans les situations où le droit de rachat est exercé à l’égard de participations de transfert ou de coïnvestissement, selon ce qui est généralement prévu par contrat, le prix de rachat correspond à la JVM, peu importe les circonstances du départ. Étant donné que ces participations sont rachetées à même le capital de risque du dirigeant au moment du rachat, les SCI reconnaissent généralement que le dirigeant devrait participer à la plus-value même s’il quitte l’entreprise en mauvais termes.

Lorsqu’il est accordé aux dirigeants, le droit de vente se limite généralement aux départs en bons termes. Dans la pratique, la méthode d’évaluation des participations de transfert et de coïnvestissement correspond généralement à celle qui s’applique en cas de rachat dans le cadre de départs en bons termes; dans ces cas, le prix de rachat correspond à la JVM.

Méthodes d’évaluation de la JVM

Si, pour le rachat des participations des dirigeants, la JVM constitue la norme opérationnelle, les parties doivent convenir de la méthode pour l’évaluer. Lors du choix de la méthode, l’objectif premier doit être d’adopter une méthode qui soit pratique à mettre en œuvre, qui puisse être défendue en cas de litige et qui soit apte à refléter de manière cohérente et précise l’évolution de la valeur de la société au fil du temps[1].

Évaluation par le conseil d’administration

Dans la plupart des cas de rachat de participations de dirigeants, c’est le conseil d’administration de la société de portefeuille qui, agissant « de bonne foi », évalue la JVM. Cette méthode est largement privilégiée en raison de son efficacité et de sa rentabilité, en particulier dans le cas de rachats de routine ou de faible valeur où le coût du recours à un évaluateur externe serait disproportionné.

Les conseils d’administration sont généralement bien placés pour assumer ce rôle, car ils ont habituellement accès aux modèles internes, aux projections et aux données de marché de la SCI, ce qui leur permet d’établir une valeur réaliste et défendable sans avoir recours à des conseillers externes. Les conseils d’administration peuvent également favoriser la cohérence en veillant à ce que la même méthodologie soit appliquée pour toutes les attributions, toutes les émissions ultérieures et tous les rachats. Cette continuité permet aux parties prenantes de suivre facilement l’évolution de la valeur des participations des dirigeants au fil du temps et garantit que les variations du prix de rachat reflètent le rendement réel de la société de portefeuille, plutôt que des changements de méthodologie. Un cadre stable et prévisible réduit également le risque de litiges, car il permet de se prémunir contre les impressions que la méthodologie a changé ou qu’une nouvelle méthodologie susceptible d’être perçue comme injuste ou intéressée a été introduite.

Cette méthode est souvent privilégiée par les SCI, car elle permet aux administrateurs nommés par les SCI d’exercer une influence significative sur le processus d’évaluation.

Évaluation par un tiers indépendant

Dans certains cas, les parties peuvent convenir qu’un tiers indépendant, tel qu’un cabinet d’experts-comptables ou d’évaluateurs, se chargera d’évaluer la JVM. Cette méthode d’évaluation de la JVM est généralement considérée comme étant la méthode la plus objective et la plus fiable de toutes. Une évaluation effectuée par un expert qualifié possédant des compétences reconnues et conforme aux pratiques reconnues sur le marché fournit au conseil d’administration et à la SCI une base solide pour défendre le résultat s’il est contesté ultérieurement. L’externalisation de ce processus peut également réduire le risque de confrontation directe entre la SCI et un dirigeant sortant, contribuant ainsi à préserver les relations de travail avec le reste de l’équipe de direction.

Les évaluations indépendantes sont souvent privilégiées par les dirigeants, car elles atténuent les craintes qu’un conseil d’administration contrôlé par des administrateurs nommés par la SCI puisse sous-évaluer les titres de participation au détriment des dirigeants sortants. Le recours à un tiers impartial rassure les dirigeants sur le fait que leurs participations sont évaluées de manière objective et équitable, ce qui est particulièrement important en cas de départs litigieux ou lorsque des sommes importantes sont en jeu.

En outre, dans certains cas, le conseil d’administration peut ne pas disposer de l’expertise, des ressources ou de l’accès aux données de marché dont il a besoin pour évaluer la JVM en interne. Dans de tels cas, il peut être non seulement prudent, mais aussi nécessaire, de recourir à un évaluateur tiers pour garantir que l’évaluation soit à la fois défendable en cas de contestation et plus susceptible d’être acceptée par les dirigeants et la SCI[2].

Toutefois, les évaluations par des tiers peuvent entraîner des coûts supplémentaires importants, qui peuvent être disproportionnés dans le cas des rachats de faible valeur. Le processus a également tendance à prendre beaucoup de temps, car les cabinets externes doivent souvent élaborer des modèles d’évaluation propres à la société et aux circonstances du rachat, plutôt que de s’appuyer sur des modèles internes existants ou les données déjà conservées par le conseil d’administration. Enfin, l’externalisation peut réduire la transparence, car les hypothèses et les méthodologies qui sous-tendent l’analyse ne sont pas toujours entièrement visibles pour les dirigeants ou la SCI.

Évaluation fondée sur une formule

Dans certains cas, les parties s’appuient sur une formule prédéterminée pour déterminer le prix de rachat des participations des dirigeants. En règle générale, ces formules sont définies dans les contrats pertinents et sont liées à un paramètre financier, tel que le multiple du BAIIA des douze derniers mois de la société de portefeuille, ou font référence au chiffre d’affaires, au résultat net ou aux flux de trésorerie.

Comme principal avantage, cette méthode offre clarté et prévisibilité. En déterminant à l’avance comment la JVM sera évaluée, les parties réduisent le risque de litiges à propos des hypothèses ou des méthodologies à appliquer. Cette méthode permet également de réduire les coûts, car il n’est généralement pas nécessaire de faire appel à un évaluateur indépendant pour chaque rachat, sauf peut-être pour vérifier les calculs. Cela évite d’avoir à négocier ou à faire appel à un tiers chaque fois.

Cependant, les méthodes d’évaluation fondées sur des formules sont parfois critiquées pour leur rigidité excessive. Elles supposent une relative stabilité du modèle d’affaires de la société et peuvent ne pas tenir compte de changements importants, tels que le lancement de nouveaux produits, l’évolution de la réglementation ou des acquisitions ou cessions majeures. Dans de tels cas, la formule peut ne plus refléter avec précision les véritables moteurs de la valeur.

Questions relatives à la gouvernance d’entreprise

Quelle que soit la méthode d’évaluation adoptée, le conseil d’administration reste responsable en dernier ressort de la supervision du processus d’évaluation et de l’approbation officielle du prix de rachat et de l’opération connexe, que ce soit par le biais d’une réunion du conseil d’administration ou d’une résolution écrite.

Ce faisant, les administrateurs sont liés par leurs obligations fiduciaires. Ils doivent agir de bonne foi et avec le soin et la diligence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente. En outre, en vertu du droit des sociétés au Canada, les administrateurs ne peuvent déléguer les décisions relatives aux rachats d’actions, sauf si une convention unanime des actionnaires en dispose autrement (voir l’alinéa 115(3)e) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions). Les administrateurs doivent donc faire preuve de jugement et de diligence lorsqu’ils approuvent le processus d’évaluation et le prix de rachat en résultant. En plus d’approuver le prix d’achat, et même lorsqu’il a recours à un évaluateur externe, le conseil d’administration a toujours l’obligation de s’assurer que l’évaluateur est véritablement indépendant et qualifié, que l’étendue des travaux et la méthodologie sont appropriées et que le processus est mené de manière équitable et transparente. 

Afin de protéger à la fois leurs propres intérêts et ceux de la société, les administrateurs devraient conserver des registres détaillés de leur processus décisionnel. Lorsque les circonstances le justifient, par exemple lorsque le sujet est particulièrement complexe ou dépasse leur expertise, ils devraient également envisager d’obtenir des conseils indépendants ou des évaluations d’experts.

Méthodes d’évaluation privilégiées

La méthode d’évaluation privilégiée reflète souvent le pouvoir de négociation relatif des parties et leurs profils de risque respectifs.

Sociétés de capital-investissement

Les SCI privilégient généralement les évaluations effectuées par les conseils d’administration. Puisque, souvent, la SCI a des représentants au sein du conseil d’administration, cette méthode lui confère une plus grande marge de manœuvre et lui permet de faire correspondre les résultats à ses objectifs généraux. Elle offre également des avantages pratiques, tels que des coûts réduits et une efficacité accrue, en particulier dans le cas des rachats de routine où le recours à un évaluateur externe peut ne pas être justifié.

Membres de la direction

Les cadres dirigeants, les fondateurs et les autres parties prenantes de la direction détenant des participations importantes insistent généralement pour que soit utilisée une méthode d’évaluation plus objective et indépendante, comme une évaluation fondée sur une formule prédéterminée ou une évaluation effectuée par un tiers. Ces méthodes limitent le pouvoir discrétionnaire, favorisent la transparence et donnent aux dirigeants une plus grande confiance dans le fait que leurs intérêts ne seront pas compromis par une sous-évaluation. En revanche, les cadres subalternes et les petits actionnaires n’ont souvent pas le pouvoir de négocier de telles protections et sont plus enclins à accepter les évaluations effectuées par le conseil d’administration sans vérifier ni contester le processus.

Méthodes hybrides

Dans la pratique, même lorsque le conseil d’administration conserve son pouvoir discrétionnaire, il arrive souvent qu’il complète son analyse au moyen d’une formule prédéterminée ou d’une évaluation externe. Cette méthode hybride permet de garantir que les évaluations sont défendables, de faire en sorte que la confiance règne parmi les parties prenantes et de démontrer que le conseil d’administration a agi avec diligence et de bonne foi.

Conclusion

De manière générale, lors de rachats de participations de dirigeants, la JVM est soit évaluée par le conseil d’administration, évaluée par un évaluateur tiers indépendant ou évaluée selon une formule prédéterminée. Dans la pratique, on fait appel à une méthode d’évaluation qui intègre des éléments provenant des diverses méthodes, et on a souvent recours à des formules ou à des évaluations externes pour étayer ou corroborer la valeur retenue par le conseil d’administration.

Quelle que soit la méthode employée, le processus d’évaluation doit être soigneusement documenté, être mené de manière équitable et mis en œuvre d’une manière conforme aux obligations légales et fiduciaires des administrateurs.


[1] Hugessen Consulting, « Navigating Long-Term Incentives for Private Companies », octobre 2024.

[2] « Responsabilités des administrateurs au Canada » [PDF], Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l., octobre 2014.