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Associé, Droit immobilier, Toronto
La performance plutôt robuste du secteur immobilier canadien en 2019 s’est maintenue en 2020, jusqu’à ce que la pandémie de COVID-19 frappe. La COVID-19 a eu des répercussions différentes sur les divers marchés immobiliers, et pour différentes raisons. Même si le secteur immobilier du commerce de détail a subi d’importantes répercussions négatives, le secteur immobilier industriel semble avoir été relativement épargné. Le jury en est encore à analyser les effets de la COVID-19 sur le secteur des immeubles de bureaux.
Le secteur immobilier du commerce de détail
C’est le secteur du commerce de détail qui a été le plus durement touché. Ce secteur montrait déjà des signes d’essoufflement avant l’apparition de la COVID-19, en raison du ralentissement de l’arrivée de nouveaux participants sur le marché canadien et de la poursuite de la migration des acheteurs vers le cybercommerce. La COVID-19 a affecté de façon dramatique et presque instantanée le secteur immobilier du commerce de détail, lorsque les divers ordres de gouvernement ont ordonné la fermeture des centres commerciaux à l’échelle du pays, en mars dernier. Certaines provinces leur ont permis de rouvrir en mai, d’autres ne l’ont fait qu’en juillet. Ces fermetures ont eu des répercussions importantes et immédiates :
- Les locataires ont immédiatement tenté d’obtenir un soutien au loyer pour compenser la perte soudaine de revenus qu’ils subissaient. Ils se sont vite rendu compte que l’« assurance contre les pertes d’exploitation » ne s’appliquerait probablement pas, que leurs baux n’étaient pas résiliables pour cause d’impossibilité d’exécution et que même si la pandémie de COVID-19 constituait un cas de force majeure, leurs baux pouvaient tout de même exiger que le loyer soit acquitté, quelles que soient les difficultés économiques éprouvées. Les litiges à l’égard des obligations en matière de loyer se sont rendus jusque devant les tribunaux, comme il en est fait état ci-dessous.
- Au début, les propriétaires ont exigé que les loyers soient payés conformément aux modalités des baux. Cependant, une fois arrivée la vague de demandes d’exonération de loyer et de défauts de paiement de loyer, et compte tenu de l’ampleur constatée des perturbations subies par le secteur du commerce de détail, les propriétaires ont changé leur fusil d’épaule, et les ententes à court terme de report de loyer sont devenues la norme.
- Le gouvernement du Canada a mis du temps à réagir, mais il a fini par instituer le programme Aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial (AUCLC), qui a fait l’objet de critiques plutôt acerbes. L’AUCLC offrait une aide ciblée aux propriétaires de PME qui avaient perdu au moins 70 % de leurs revenus en raison de la COVID-19. Le programme exigeait qu’un propriétaire dépose une demande de prêt non remboursable pouvant atteindre 50 % du loyer brut dû par le locataire, pour la période visée (au début, ce fut de mars à juillet 2020, mais la période a été prolongée jusqu’en septembre 2020). L’AUCLC exigeait également que le locataire verse 25 % du loyer brut exigible, et que le propriétaire renonce à 25 % du loyer brut pour la même période. La participation à ce laborieux programme a donc été lente à démarrer, quoiqu’elle ait fini par augmenter sa cadence. En octobre 2020, le gouvernement a annoncé la mise en place du programme de Subvention d’urgence du Canada pour le loyer (SUCL), qui remplace l’AUCLC. Malheureusement, au moment d’écrire ces lignes, peu de détails sur ce nouveau programme de secours ont été publiés.
- Même si les mesures susmentionnées ont allégé certains effets négatifs de la pandémie de COVID-19, un nombre important de locataires de commerces de détail se sont vus forcés de se prévaloir de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) ou de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI). Dans le cadre de ces processus, les locataires cherchaient à résilier une partie ou la totalité de leurs baux ou à renégocier leur loyer (ou les deux), alors que les propriétaires négociaient pour garder ouverts le plus de magasins possible afin de préserver leurs biens immobiliers commerciaux.
- Et, sur cette toile de fond, les consommateurs, qui avaient été empêchés de faire leurs achats en personne en raison des fermetures, se sont simplement tournés vers le commerce électronique. Cela a vivement accéléré le délaissement de la vente au détail physique et exacerbé les effets négatifs de la pandémie de COVID-19 sur le secteur immobilier du commerce de détail.
Finalement, dans le secteur du commerce de détail, force est de constater l’apparition de conséquences juridiques liées aux baux commerciaux, découlant de la pandémie de COVID-19. Dans une décision récente rendue au Québec, un locataire ayant conclu un bail commercial a eu droit à une exonération de loyer, mais ni en raison d’un cas de force majeure ni d’un recours contractuel prévu par le bail. La Cour a plutôt conclu que le propriétaire n’avait pas respecté la clause de jouissance paisible des lieux, car le locataire n’avait pas pu y avoir accès, étant donné l’ordre de fermeture émis par le gouvernement. La décision fait actuellement l’objet d’un appel. Veuillez consulter notre bulletin d’actualités intitulé « La pandémie de COVID-19 : un premier point de vue des tribunaux québécois sur la possibilité d’invoquer la défense de force majeure dans le contexte immobilier » sur osler.com.
De même, certains locataires ont intenté des procédures à l’encontre de leurs propriétaires, alléguant que les immeubles de commerce au détail n’étaient pas gérés de la meilleure façon qui soit pour permettre aux éventuels clients de se sentir à l’aise de s’y rendre, malgré la pandémie de COVID-19. Les locataires en question soutenaient que la prise de mesures appropriées aurait empêché que les ventes en magasin ne chutent aussi dramatiquement.
Malgré ces obstacles, la plupart des grands centres commerciaux du Canada sont demeurés la propriété d’importantes caisses de retraite, de FPI publiques ou d’autres entités bien financées et bien gérées. En conséquence, nous nous attendons à ce que la plupart de ces centres survivent et qu’ils instaurent simplement des améliorations déjà planifiées, mais plus tôt que prévu. Ces propriétaires pourraient ajouter d’autres services attrayants (p. ex. des restaurants, des cabinets de médecin, des espaces de travail partagés et des gymnases) et peut-être de nouvelles composantes résidentielles, en vue de conserver la clientèle des commerçants de détail.
Le secteur immobilier industriel
À l’extrémité opposée du spectre, l’immobilier industriel semble avoir été relativement épargné par la pandémie de COVID-19. Les taux de disponibilité ont continué de baisser tout au long de 2020 et donc, les loyers ont continué de grimper. En fait, la COVID-19 pourrait avoir fait augmenter la demande de locaux industriels :
- Le passage rapide au commerce électronique a fait augmenter la demande de locaux d’entreposage de la part de détaillants et de fournisseurs de services logistiques, particulièrement aux environs des centres urbains.
- La logistique des chaînes d’approvisionnement a également été affectée, car les niveaux de stocks de 30 jours de la formule « juste à temps » sont remplacés par des niveaux de stocks de 90 jours, « juste au cas », en réaction aux comportements d’achats de panique suscités plus tôt par la pandémie. Cela a contribué à la hausse de la demande de locaux d’entreposage.
Le secteur des immeubles de bureaux
Les effets de la COVID-19 sur le secteur des immeubles de bureaux sont plus difficiles à cerner. Il semble que la grande majorité des employés de bureau aient réussi à s’adapter au télétravail; il y a eu peu d’effets négatifs immédiats sur les locataires de bureaux, et donc sur le secteur des immeubles de bureaux. Contrairement à ce qui s’est produit dans le secteur du commerce de détail, il n’y a pas eu de demandes désespérées à grande échelle d’exonération de loyer de la part de locataires de bureaux ni d’ententes de soutien au loyer de la part des propriétaires de bureaux. À ce jour, aucun programme de soutien au loyer gouvernemental n’a été créé pour le secteur des immeubles de bureaux. Cependant, les répercussions sur ce secteur pourraient avoir été simplement retardées. Avant la pandémie, les taux d’inoccupation se situaient à des creux historiques dans la plupart des centres urbains au Canada, à l’exception de Calgary, et il était de plus en plus difficile de trouver de grands blocs de locaux à bureaux. Mais la situation est en train de changer.
- Au cours de la pandémie de COVID-19, les taux d’inoccupation ont plus que doublé, tant dans les locaux loués que sous-loués, en moins de huit mois.
- Le taux croissant d’inoccupation dans le marché de la sous-location indique clairement que de plus en plus de locataires de bureaux procèdent à une rationalisation. On ignore si c’est parce que les entreprises sont en difficulté ou si c’est parce qu’elles se rendent compte qu’elles peuvent réduire la taille de leurs bureaux en instaurant et en maintenant une politique de télétravail.
- La pandémie de COVID-19 a également mené à l’idée que le fait de disposer de multiples bureaux satellites plus petits (le concept de la « structure en étoile ») pourrait être plus sûr. Ce modèle permet à des groupes d’employés de se rendre en voiture à divers bureaux locaux, ce qui semble moins dangereux que de faire se déplacer la totalité d’un effectif, a priori surtout au moyen des transports en commun, à un bureau principal, tous les jours, ce qui augmente les risques de contracter la COVID-19.
Si les taux d’inoccupation continuent d’augmenter, cela pourrait faire subir des pressions à la baisse aux taux de location. Cependant, la croissance continue de la population dans les centres urbains et peut-être une augmentation de la distanciation sociale et une diminution de la densité dans les bureaux pourraient contrebalancer ces effets négatifs.
Conclusion d’opérations immobilières
Par ailleurs, la COVID-19 a eu des effets immédiats sur la conclusion d’opérations immobilières et sur les types d’opérations concernées. Aux premiers temps de la pandémie, le flux d’opérations a soudainement ralenti, avant de retourner à des niveaux normaux. Au début, de nombreux emprunteurs ont eu recours à leur marge de crédit d’exploitation pour disposer de suffisamment de liquidités. De même, plus de clients ont cherché à obtenir des facilités de crédit garanties et non garanties supplémentaires afin d’augmenter les possibilités de liquidités.
De plus, la COVID-19 a posé des défis inédits, dans la conclusion d’opérations. Dans certaines catégories d’actifs (p. ex. les maisons de retraite et les propriétés multirésidentielles), la visite des lieux était soit interdite, soit grandement restreinte, ce qui a beaucoup perturbé les pratiques courantes d’inspection. Plusieurs opérations n’ont tout simplement pas pu être conclues avant que l’acheteur ou le prêteur puisse examiner les lieux en personne. Il est donc devenu courant d’étendre les périodes d’inspection, dans la mesure où la COVID-19 limitait la capacité de l’acheteur à effectuer une vérification normale. Et, bien sûr, les acheteurs étrangers ont également dû composer avec les restrictions aux frontières et les quarantaines de 14 jours exigées avant de pouvoir visiter des propriétés.
En raison des arriérés et des effectifs réduits, ce qui a retardé le financement de prêts assurés par la SCHL et d’autres prêts, on a pu constater une augmentation du financement provisoire et du financement pas le vendeur, exigés pour la conclusion de l’opération.
Sur une note positive, nous avons appris que même des opérations très complexes portant sur de multiples propriétés dans de multiples territoires de compétence entre de multiples vendeurs et prêteurs de plusieurs cabinets d’avocats pouvaient se conclure avec succès, à distance. Les investissements dans la technologie de qualité n’ont jamais été aussi importants.
L’année qui s’achève a été intéressante dans le secteur de l’immobilier commercial où les effets de la COVID-19 vont probablement se répercuter pendant un certain temps.