La bataille remportée par le Canada devant le tribunal de l’ALENA est une victoire pour la souveraineté et le commerce équitable

20 Mar 2017 5 MIN DE LECTURE

L’ALENA traverse une période difficile. Durant l’élection américaine, le président Trump s’en est pris à cet accord afin d’obtenir des votes. Maintenant qu’il est devenu président, il menace de se retirer de celui-ci dans l’espoir de le renégocier et de conclure une meilleure entente avec le Mexique. En tant que troisième membre de l’ALENA, le Canada est entraîné dans ce conflit.

Ce n’est pas la première fois que le Canada est entraîné dans un conflit au sujet de l’ALENA contre son gré. En 2012, une société pharmaceutique des États‑Unis, Eli Lilly, a avisé le gouvernement du Canada qu’elle poursuivait le Canada pour violation de l’ALENA relativement à deux de ses médicaments brevetés. La violation alléguée? Les tribunaux canadiens ont invalidé les brevets en vertu de la législation sur les brevets canadienne. Lilly a allégué que les tribunaux canadiens avaient violé la norme minimale de traitement garantie aux investisseurs étrangers en vertu de l’ALENA et exproprié les investissements de Lilly dans ses deux médicaments, Strattera et Zyprexa.

Beaucoup ont vu dans la poursuite déposée par Lilly devant le tribunal de l’ALENA une façon de se venger de sa défaite devant les tribunaux. Certains critiques ont indiqué qu’il s’agissait d’un moyen détourné de renvoyer devant les tribunaux les causes qu’elle avait perdues et de se servir de l’ALENA pour parvenir à ses fins.

L’affaire Lilly illustre parfaitement ce qui irrite les opposants aux accords commerciaux modernes. En autorisant les investisseurs à intenter des poursuites en dommages-intérêts contre les gouvernements, les accords commerciaux sont perçus comme élevant les droits des investisseurs étrangers au-dessus de la souveraineté nationale. C’est cette question qui aurait pu faire avorter l’AECG conclu avec l’UE en l’absence de compromis. L’affaire Lilly a joué un rôle important dans le dénouement des négociations entourant d’importants accords commerciaux comme l’Accord sur le partenariat transpacifique.

Les partisans de la souveraineté et du commerce équitable peuvent finalement pousser un soupir de soulagement. La semaine dernière, le gouvernement canadien est sorti gagnant de sa bataille de cinq ans contre Lilly. Après que les parties aient engagé des honoraires juridiques de plus de 15 millions de dollars, un tribunal de l’ALENA a déclaré que les réclamations de Lilly n’étaient pas fondées et accordé des dépens d’environ 5 millions de dollars au Canada. La bonne nouvelle est que nous n’avons plus à craindre que les tribunaux du commerce deviennent des tribunaux d’appel supranationaux ayant compétence pour trancher les litiges nationaux en matière de droit de propriété.

L’affaire Lilly repose sur la « doctrine de la promesse » en droit des brevets au Canada, selon laquelle les promesses énoncées dans un brevet doivent être respectées sous peine d’invalidation du brevet. Lilly a fait valoir l’argument selon lequel cette doctrine constitue un tournant majeur par rapport à ce que préconisait le droit des brevets avant l’adoption de l’ALENA et est contraire aux lois d’autres pays. Le tribunal s’est montré d’un autre avis, refusant de mettre en doute l’interprétation donnée par les tribunaux canadiens au droit des brevets pré-ALENA et indiquant que les modifications apportées au droit des brevets étaient complémentaires et en évolution.

La partie de la décision du tribunal la plus lourde de conséquences est celle qui a trait aux circonstances dans lesquelles les décisions des juges peuvent être contestées en vertu de l’ALENA. Le tribunal a refusé de fermer la porte à la possibilité qu’un changement radical dans les lois nationales puisse donner lieu à une violation de l’ALENA. Cependant, le tribunal a établi un seuil de responsabilité élevé et déclaré que les décisions judiciaires peuvent donner droit à une contestation de l’ALENA uniquement dans des circonstances très exceptionnelles où on peut clairement prouver qu’il y a eu comportement abusif et choquant.

La victoire du gouvernement a été retentissante. Par exemple, le tribunal a déclaré que, selon toute norme plausible, les décisions canadiennes attaquées n’étaient ni arbitraires ni discriminatoires. Le tribunal a plutôt déclaré que la doctrine de la promesse canadienne est rationnellement liée à des objectifs politiques légitimes visant à tracer une ligne entre spéculation et invention dans l’évaluation des brevets.

Il reste à voir comment réagira le gouvernement américain à la décision Lilly. L’administration Obama avait déposé un mémoire auprès du tribunal en vue de contester l’application de l’ALENA aux décisions judiciaires. Cependant, le président Trump semble n’avoir aucun scrupule à contester les décisions de « soi‑disant juges », que ce soit par tweet ou autrement.

Par ailleurs, la décision du président américain de se retirer de l’Accord sur le partenariat transpacifique semble partiellement fondée sur les recours extraordinaires dont disposent les investisseurs privés. La poursuite déposée par Lilly contre le Canada constitue précisément le danger que le président américain, entre autres, veut éradiquer des accords sur le commerce « libre et équitable » futurs. L’échec essuyé par Lilly devrait renforcer la confiance envers le cadre de réglementation actuel des droits des investisseurs.

Le Canada n’a pas encore eu le luxe de choisir ses batailles en matière d’ALENA. Le gouvernement a défendu la souveraineté judiciaire contre Lilly et il doit maintenant faire valoir le libre-échange auprès du président Trump. Le temps dira si le Canada saura naviguer dans la renégociation de l’ALENA avec autant d’adresse qu’il s’est défendu contre Lilly. Entre-temps, les Canadiens peuvent pousser un soupir de soulagement collectif et se dire que leur système judiciaire non élu et indépendant n’est pas à la merci des sociétés étrangères.