Auteurs(trice)
Le 5 janvier 2022, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté une requête en autorisation d’intenter une action collective en valeurs mobilières sur le marché secondaire en vertu de la partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières dans l’affaire Poirier c. Silver Wheaton Corp. et al, 2022 ONSC 80[1]. Pour justifier sa décision, la juge Akbarali invoque les critères élevés imposés par les tribunaux au stade de l’autorisation et confirme le rôle important des tribunaux à titre de contrôleur pour déterminer si une action collective proposée peut présenter une possibilité raisonnable d’avoir gain de cause. À ce sujet, la décision réitère l’obligation du tribunal d’« effectuer un examen raisonné de la preuve afin de s’assurer que l’action peut être fondée » [Traduction libre].
Contexte
La plaignante, acheteuse de valeurs mobilières sur le marché secondaire, affirmait que Silver Wheaton Corp. (désormais Wheaton Precious Metals Corp.) (Wheaton Canada ou la société) a omis de présenter adéquatement une charge fiscale dans ses états financiers et divulgations publiques et a, par conséquent, induit en erreur les participants à l’action collective putative quant à la probabilité que la société soit exposée à une charge fiscale éventuelle des suites d’une vérification continue de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Bien que la société ait en tout temps divulgué la possibilité d’une nouvelle cotisation de l’ARC et d’autres charges fiscales potentielles, la plaignante soutient que l’évaluation de ce risque par la direction était indûment « optimiste ». [Traduction libre] La plaignante a prétendu que le public a pu réellement comprendre la nature et l’étendue du risque seulement après la publication d’un communiqué de presse par Wheaton Canada annonçant une proposition de l’ARC, et elle cite la chute du cours de l’action après cette annonce comme preuve de cette divulgation prétendument inadéquate.
La nouvelle cotisation éventuelle de Wheaton Canada, qui a, par la suite, fait l’objet d’un long pourvoi en matière fiscale, a été ultimement résolue en faveur de la société[2]. Par conséquent, les énoncés prospectifs publics de la société, notamment sa confiance continue dans ses structures fiscales internes, ont été finalement validés. Néanmoins, les représentants proposés de la plaignante ont par la suite demandé l’autorisation d’intenter une action collective en vertu de la partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières contre Wheaton Canada et deux de ses hauts dirigeants sur la base d’allégations de présentation inexacte de l’information dans les documents d’information publics et les états financiers de la société. La plaignante a cherché à faire certifier une action collective en valeurs mobilières en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières et une poursuite en vertu de la common law pour négligence et présentation inexacte faite par négligence.
Les motifs de la juge Akbarali
Dans sa décision, la juge Akbarali a penché du côté de la société puis a rejeté la requête, alléguant que la plaignante ne s’est pas acquittée adéquatement du fardeau de la preuve pour étayer qu’il est raisonnablement possible que l’action soit réglée au moment du procès en sa faveur.
Aucune preuve suffisante de la requête
Pour étayer sa demande d’autorisation, la plaignante s’est appuyée sur les déclarations d’un ancien employé d’une filiale de Wheaton Canada et sur deux rapports d’experts portant sur divers enjeux fiscaux et comptables. Puisque les deux experts se sont expressément appuyés l’un sur l’autre et sur la véracité de la preuve recueillie auprès de l’ancien employé, la juge Akbarali a souligné que le dossier de la preuve de la plaignante comprenait trois témoins dont les preuves « s’empilaient comme des tours Jenga instables ». [Traduction libre] Selon son examen de la preuve interconnectée, la juge a conclu que les preuves de la plaignante étaient fondamentalement sans fondement à plusieurs égards importants :
- la preuve fondée sur des faits de la plaignante : Bien que la juge Akbarali ait jugé admissible la preuve fondée sur le témoignage de l’ancien employé, elle ne lui a donné aucun poids, car il n’était « ni crédible ni fiable ». [Traduction libre]
- la preuve fondée sur les rapports d’experts : La juge Akbarali a jugé les deux rapports d’experts présentés par la plaignante comme inadmissibles à plusieurs égards importants, notamment le manque d’expertise pertinente et l’absence d’impartialité. À l’opposé, elle a retenu les avis et opinions d’experts présentés par la société afin de prouver la conformité de la société aux normes comptables applicables. La juge Akbarali a conclu qu’il n’y avait « pas de preuve crédible que Wheaton Canada avait une charge fiscale probable à présenter dans ses états financiers ou que ses états financiers n’avaient pas été préparés en conformité avec les normes comptables applicables. » [Traduction libre]
Aucune rectification publique
Ayant déterminé qu’il n’y avait pas de preuve crédible pour étayer la poursuite en présentation inexacte de la plaignante, la juge Akbarali a également conclu qu’il n’y avait pas eu de rectification publique dans cette affaire. Elle a précisé que la présentation prétendument corrective ne pouvait raisonnablement pas être interprétée comme rectificative, et qu’elle était plutôt entièrement conforme à la présentation précédente.
La juge Akbarali a ajouté que la constatation de l’absence d’une rectification publique n’était pas nécessaire pour arriver à la conclusion qu’il n’est pas raisonnablement possible que l’action soit réglée en faveur de la plaignante. Néanmoins, l’absence de rectification publique appuyait sa conclusion selon laquelle aucune preuve crédible n’étayait la théorie de la plaignante quant à la présentation inexacte des faits. Elle a en outre déterminé que les états financiers en cause ne pouvaient pas représenter un montant de présentation inexacte dans cette affaire.
Selon son analyse, la juge Akbarali a conclu ainsi : « émettre un jugement sur la responsabilité de la direction de présenter adéquatement l’évaluation réelle et, comme il est prouvé rétrospectivement, raisonnable de la charge fiscale potentielle ne favoriserait pas une présentation juste et opportune par les émetteurs publics. Elle susciterait plutôt de la confusion chez les émetteurs publics et une incertitude qui nuirait à la qualité de la présentation de l’information par les émetteurs sur les marchés. » [Traduction libre]
Attestation
Bien qu’elle ait rejeté la demande d’autorisation en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, la juge Akbarali a tenu compte de la demande de la plaignante pour certifier ses recours en common law. Elle a rejeté la demande pour un certain nombre de motifs, principalement sur le fait qu’une action collective n’était pas la procédure à privilégier en raison des nombreuses questions individuelles.
Compte tenu de ce qui précède, la juge Akbarali a rejeté la demande de la plaignante visant l’autorisation de procéder à une action collective en vertu de l’article 138.3(1) de la Loi sur les valeurs mobilières et refusé de certifier les autres réclamations pour faire l’objet d’une action collective sur la base que :
- une action collective n’était pas la procédure à privilégier pour régler les réclamations en common law;
- aucun représentant proposé de la plaignante n’avait de réclamation contre la défenderesse permettant d’instruire une réclamation en vertu de l’article 130 de la Loi sur les valeurs mobilières;
- les réclamations en common law et la réclamation en vertu de l’article 130 ne présentaient pas une cause d’action raisonnable puisque la plaignante n’a pas plaidé des arguments pouvant conclure à une présentation inexacte.
Principaux points à retenir
Cette affaire rappelle que le critère d’autorisation des réclamations en présentation inexacte sur le marché secondaire reste un mécanisme de filtrage efficace et un outil de contrôle solide. De plus, cette décision fait ressortir le fardeau de la preuve imposé aux plaignants souhaitant engager de telles procédures, en particulier en ce qui a trait aux énoncés prospectifs de la direction portant sur les risques futurs. Entre autres choses, l’affaire souligne que le défaut de démontrer adéquatement la présentation d’information inexacte au public, et de présenter des éléments de preuve crédibles, peut réduire à néant les chances de faire autoriser une action collective proposée en valeurs mobilières.