Auteurs(trice)
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Associé, Litiges, Toronto
Coprésident national, Toronto
Associé, Droit des sociétés, Toronto
Dans ce bulletin d'Actualités
- La CVMO a invoqué sa large compétence dans l’octroi de réparations, lorsqu’elle a infirmé la décision de la TSX d’approuver un placement privé dans le contexte d’une course aux procurations.
- Une analyse contextuelle est-elle nécessaire pour déterminer si un placement privé « influe considérablement sur le contrôle », ou suffit-il d’établir que l’opération a donné lieu à une détention d’actions par 20 % des actionnaires?
- Les litiges en cours devant les tribunaux et les organismes de réglementation des valeurs mobilières mettent en lumière les possibilités d’une recherche du forum le plus favorable.
La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) a récemment publié les motifs pour lesquels elle a infirmé une décision de la Bourse de Toronto, qui approuvait conditionnellement un placement privé, dans le contexte d’une course aux procurations. Comme nous l’avions décrit dans un précédent bulletin d’Actualités Osler, la TSX avait approuvé l’émission de près de 10 % d’actions ordinaires d’Eco Oro Minerals Corp. (Eco Oro) à certains actionnaires existants (les actionnaires favorables) qui appuyaient le conseil d’administration en place, à peine huit jours avant la date de clôture des registres aux fins d’une assemblée des actionnaires demandée pour remplacer le conseil d’administration d’Eco Oro.
Dans sa décision, la CVMO soulignait qu’au moment de l’approbation de l’émission d’actions, la TSX ignorait, ou n’avait pas reconnu, le fait qu’Eco Oro avait fait l’objet d’une course aux procurations et que des actionnaires dissidents avaient demandé la tenue imminente d’une assemblée des actionnaires. La CVMO a également précisé que ces faits n’avaient pas été communiqués par écrit à la TSX à la suite de la demande d’approbation par Eco Oro dans le Formulaire 11 – Avis de placement privé (Formulaire 11), et que la demande d’Eco Oro a été traitée comme une affaire banale, étant donné que la TSX n’était pas au courant de la course aux procurations.
Les motifs exposés par la CVMO ont donné lieu à plusieurs interprétations et questions importantes, notamment celles-ci :
1. Signification d’« influer considérablement sur le contrôle »
La décision de la TSX d’autoriser l’émission d’actions, et la décision de la CVMO d’infirmer la décision de la TSX tournaient largement autour du fait que l’émission d’actions « influait considérablement sur le contrôle » d’Eco Oro, ou non. L’approbation des actionnaires est nécessaire, aux termes du Guide à l’intention des sociétés de la Bourse de Toronto, si l’émission d’actions « influe considérablement sur le contrôle » d’un émetteur. À la suite de l’émission d’actions, les actionnaires favorables verraient le contrôle global des votes d’Eco Oro passer d’environ 41 % à 46 %, et la CVMO a conclu que l’émission d’actions « pourrait raisonnablement faire pencher la balance en faveur de la direction ».
Se fondant sur le Formulaire 11 présenté par Eco Oro, la TSX a conclu que l’émission d’actions « n’influerait pas considérablement sur le contrôle » d’Eco Oro, et que l’approbation des actionnaires n’était donc pas requise. En infirmant la décision de la TSX, la CVMO a statué que la TSX n’a pas droit à la déférence, étant donné que la TSX n’a pas examiné à fond la course aux procurations courante en rendant cette conclusion. De plus, la CVMO a rejeté l’argument selon lequel l’émission d’actions n’influait pas considérablement sur le contrôle, même dans le contexte d’une course aux procurations, en se fondant sur la théorie du « contrôle durable » (c.-à-d. que l’examen des effets de l’émission d’actions sur un vote transitoire à une prochaine assemblée est inapproprié et que la TSX devrait se concentrer sur la question de savoir si un bassin de 20 % d’actionnaires a été créé ou non, ou si une convention de vote parmi les actionnaires détenant 20 % des actions a été mise en vigueur). La CVMO a plutôt déclaré que « l’intérêt public exige une évaluation établissant si l’émission d’actions par un émetteur inscrit vise à protéger la direction en cas de course aux procurations ».
Dorénavant, les Formulaires 11 présentés à la TSX par des émetteurs en quête de l’approbation d’un placement privé dans le contexte d’une course aux procurations et d’autres situations contestées seront probablement examinés de plus près. La CVMO a souligné qu’il était important que les faits déterminants figurent dans les documents écrits échangés entre les émetteurs et la TSX, plutôt que de simplement faire l’objet de discussions, et que, dans le contexte d’un vote serré lors de l’élection d’un conseil d’administration, « la TSX devrait généralement exercer son pouvoir discrétionnaire pour exiger un vote privilégiant le traitement équitable des actionnaires, ainsi que la qualité et l’intégrité des marchés financiers de l’Ontario ». Dorénavant, il faudra probablement plus de temps pour obtenir l’approbation de la TSX, qui sera plus souvent conditionnelle au fait qu’il y ait, ou non, un intervalle entre l’annonce et la conclusion.
2. Interprétation large de la compétence par la CVMO
Une proportion importante de la décision est consacrée à la compétence de la CVMO. Avant cette décision, le recours pour faire annuler une opération ou pour priver un actionnaire du droit de vote était habituellement porté devant un tribunal, et non une commission. Dans sa décision, la CVMO s’est appuyée sur le pouvoir de rendre « toute décision qu’elle [la CVMO] considère appropriée » dans le contexte de l’examen d’une décision de la TSX. Eco Oro en a appelé de la décision du Tribunal auprès de la Cour divisionnaire de l’Ontario.
Bien que la CVMO ait fondé sa décision sur une disposition de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario qui prévoit l’examen des décisions de la TSX, la CVMO a également précisé qu’en la présence ou l’absence d’une décision de la TSX, une personne peut invoquer la compétence en matière d’intérêt public aux termes de la législation ontarienne sur les valeurs mobilières, en se fondant sur l’Avis 62-202 relatif aux mesures de défense contre une offre publique d’achat (l’Avis 62-202). Le renvoi à l’Avis 62-202 est révélateur, car il existe maintenant une jurisprudence à l’égard du recours aux placements privés dans le contexte d’offres publiques d’achat contestées, la plus récente étant la décision Dolly Varden, décrite dans le bulletin d’Actualités d’Osler publié le 28 octobre 2016.
Dans la décision Eco Oro, la CVMO précisait que, même si l’Avis 62-202 porte sur les offres publiques d’achat, « la protection de l’intérêt public dans la défense de l’équité envers les actionnaires s’étend manifestement à une course équitable en matière de contrôle, soit au moyen d’un processus de sollicitation de procurations pour des assemblées d’actionnaires contestées, soit au moyen d’une offre publique d’achat ».
Étant donné le recours de plus en plus répandu aux courses aux procurations sur le marché canadien au cours des dernières années, la reconnaissance par la CVMO du fait que cette méthode de rechange pour acquérir le contrôle d’une entreprise soulève des questions de politiques semblables à celles que soulève une offre publique d’achat marque une étape importante.
3. La CVMO est disposée à débrouiller la situation
Forte de l’approbation de la TSX, Eco Oro a émis des actions sans obtenir l’approbation de ses actionnaires. La CVMO devait établir le bien-fondé d’une réparation, le cas échéant, étant donné que l’émission d’actions avait eu lieu, notant que « l’annulation d’opérations, même selon les instructions d’actionnaires, ne peut pas être prise à la légère ».
La CVMO a précisé que les facteurs suivants sont pertinents dans la détermination du fait qu’il soit dans l’intérêt public ou non qu’une opération conclue soit annulée :
- le fait de savoir si l’émetteur a accordé, à ceux qui allaient probablement s’objecter à l’émission d’actions, l’occasion de présenter leurs objections au décideur avant la conclusion de l’opération, y compris par la publication d’un communiqué suffisamment à l’avance de la conclusion;
- le fait de savoir si les personnes directement touchées par l’annulation de l’opération ont procédé à l’opération en connaissant les probabilités d’objections;
- le fait de savoir si les personnes directement touchées par l’annulation de l’opération ont eu l’occasion d’être entendues ou de présenter des commentaires;
- le fait de savoir s’il est possible d’annuler l’opération dans les circonstances.
Dans les circonstances, la CVMO a conclu que les facteurs étaient présents. La CVMO a souligné que « l’annulation éventuelle d’une opération en l’espèce n’impliquerait pas la restitution des produits aux souscripteurs qui auraient fourni les capitaux pour une telle émission à des fins impérieuses de la société, étant donné qu’aucun produit nouveau n’aurait été obtenu. En l’espèce […], le fait d’annuler [l’émission d’actions] et de restituer le montant original des titres aurait peu d’effets pratiques sur Eco Oro et sur les [actionnaires favorables] ». La CVMO a ordonné qu’Eco Oro demande aux actionnaires de ratifier l’émission d’actions, ou d’enjoindre le conseil d’administration d’Eco Oro de l’annuler. Par ailleurs, la CVMO a ordonné au conseil d’administration d’Eco Oro de prendre toutes les mesures nécessaires pour annuler l’émission d’actions, si les actionnaires lui donnent l’instruction de le faire. Enfin, en attendant la ratification par les actionnaires de l’émission d’actions, la CVMO a interdit les opérations sur les actions émises dans le cadre de l’émission d’actions, et elle a ordonné à Eco Oro et au président de toute assemblée d’Eco Oro de ne pas tenir compte de ces actions aux fins du vote à toute assemblée des actionnaires.
Bien qu’inédite, la mesure de réparation de la CVMO en l’espèce repose sur des décisions précédentes dans lesquelles des organismes de réglementation des valeurs mobilières avaient annulé une opération ou amené les parties à agir de manière à préserver la possibilité d’annuler une opération.
4. Des conflits avec les tribunaux de la Colombie-Britannique?
En plus des procédures entamées devant la CVMO, Eco Oro et les actionnaires dissidents ont saisi les tribunaux de la Colombie-Britannique de cette affaire. Cela a donné lieu à des décisions qui peuvent sembler conflictuelles à première vue, mais qui peuvent être conciliées du fait que les tribunaux britanno-colombiens ont tranché sur des questions de droit des sociétés, alors que la CVMO s’est concentrée sur le fait de savoir si la TSX aurait dû exiger le vote des actionnaires pour approuver l’émission d’actions.
La Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté une requête des actionnaires d’Eco Oro visant à faire annuler l’émission d’actions d’Eco Oro, au motif d’un « abus ». Dans les motifs supplémentaires présentés à la lumière de la décision de la CVMO, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a précisé que « la décision de la CVMO et la nôtre divergent », et a reporté l’assemblée des actionnaires d’Eco Oro « afin de donner aux parties l’occasion de prendre les mesures qu’elles jugent appropriées pour résoudre le conflit entre la décision de la CVMO et la nôtre ».
Par la suite, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a annulé la décision de la Cour suprême reportant l’assemblée des actionnaires, en soulignant que « le juge en chambre avait commis une erreur de principe en qualifiant l’ordonnance de la CVMO comme ‘entrant en conflit’ avec la sienne, et que cette erreur avait une incidence sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire quant au report de l’assemblée des actionnaires ». La CVMO a insisté sur le fait que sa décision « n’est pas fondée sur des considérations relatives au droit des sociétés. Notre rôle est de nous assurer que les normes d’inscription, qui doivent être approuvées par la [CVMO] comme étant compatibles avec l’intérêt public, sont administrées comme il se doit ».
Cependant, la CVMO et la Cour suprême de la Colombie-Britannique ont examiné des faits qui se chevauchent et en ont tiré des conclusions différentes quant à la conduite d’Eco Oro. La CVMO a conclu que l’émission d’actions « visait clairement à avoir une incidence importante sur l’assemblée », que toute amélioration du bilan découlant de la conversion partielle avait peu d’effets pratiques positifs pour Eco Oro, que la motivation pour l’émission d’actions était « au mieux, mitigée », et que « la preuve de la motivation tactique sous-jacente au moment de [l’émission d’actions] et de l’accélération de la conclusion est accablante ». Par ailleurs, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu « qu’il n’y a rien, dans la preuve, remettant en question la bonne foi du conseil d’administration qui a procédé à [l’émission d’actions] au moment où il l’a fait. Je ne vois rien d’inapproprié dans le moment de l’émission. »
Ces décisions mettent en lumière le fait que des actes de sociétés qui sont contestés peuvent faire l’objet d’examens qui se chevauchent par les deux instances et par les organismes de réglementation, ce qui est susceptible de donner lieu à des résultats différents. Cela peut donner lieu à la recherche du forum le plus favorable, à la multiplication des litiges, et à une incertitude sur les plans réglementaire et juridique pour les participants au marché.
Dans un article paru dans le Financial Post, Drew Hasselback utilise ce bulletin d'actualités Osler comme référence dans la discussion sur les effets de la décision Eco Oro. Lisez l'article « Eco Oro case shows regulators are willing to ‘unscramble the egg » ici.