Auteurs(trice)
Associé, Affaires réglementaires, Autochtones et environnement, Calgary
Vice-président, Ouest canadien, Calgary
Les questions autochtones et l’obligation de consulter continuent de faire partie des principaux risques associés à la mise en valeur des ressources au Canada. Bien que les principes juridiques de base qui régissent la consultation des communautés autochtones au Canada soient bien établis, les exigences en matière de consultation pour les promoteurs de projets et la Couronne peuvent être floues en pratique et au moment de l’exécution. Cette situation s’est reflétée dans la récente décision de la Cour d’appel fédérale dans Nation Gitxaala c. Canada, qui a renversé l’approbation du projet Northern Gateway d’Enbridge accordée par le gouvernement fédéral, qui était un système de pipelines de plusieurs milliards de dollars devant relier Edmonton, en Alberta, à Kitimat, en Colombie-Britannique. La décision dans l’affaire Gitxaala a créé de nouveaux obstacles pour le projet Northern Gateway, qui a été rejeté ultimement par le gouvernement fédéral le 29 novembre 2016. En même temps, l’affaire Gitxaalaapporte des éclaircissements utiles relativement à l’obligation de consulter, qui pourraient permettre à d’autres projets d’éviter de subir le même sort à l’avenir.
Gitxaala était le point culminant de plus d’une douzaine de contestations judiciaires soulevées par des groupes autochtones et des organismes environnementaux cherchant à renverser les approbations du gouvernement fédéral pour le projet Northern Gateway aux motifs que : 1) la Commission d’examen conjoint affectée à l’examen du projet a omis d’examiner adéquatement les effets environnementaux et 2) le Canada a omis de consulter adéquatement les peuples autochtones touchés concernant le projet.
Ce litige faisait suite à un processus réglementaire de neuf ans qui avait été entamé en 2005 et qui comportait un an et demi d’audiences publiques devant la Commission d’examen conjoint. En décembre 2013, la Commission d’examen conjoint a publié son rapport recommandant l’approbation du projet, sous réserve de 209 conditions. Le gouvernement fédéral a alors mené des consultations directes additionnelles auprès des groupes autochtones touchés pendant la première moitié de 2014. En juin 2014, le Cabinet fédéral a pris des décrets approuvant le projet et ordonnant à l’Office national de l’énergie de délivrer des certificats permettant au projet d’aller de l’avant. La Cour, dans Gitxaala a annulé ces décrets et les certificats ultérieurs au motif que le gouvernement fédéral avait omis de remplir son obligation de consultation auprès des groupes autochtones avant de délivrer les décrets. La question a été renvoyée au Cabinet aux fins de réexamen et d’autres consultations auprès des Autochtones.
En raison de l’envergure et de l’emplacement du projet ainsi que de la forte opposition locale, le processus réglementaire de Northern Gateway était unique. Au début de 2009, avant que la Commission d’examen conjoint n’ait été nommée ou que des audiences publiques n’aient été tenues, le gouvernement fédéral a publié un plan de consultation de la Couronne portant sur le projet. Ce plan prévoyait cinq phases distinctes de consultation, dont les trois premières se dérouleraient pendant le processus réglementaire. La phase IV se déroulerait suivant la publication du rapport de la Commission d’examen conjoint et comporterait une consultation directe par le gouvernement fédéral pour aborder des préoccupations liées au projet ne faisant pas partie du mandat de la Commission d’examen conjoint. Finalement, la phase V exigerait d’autres consultations concernant les permis et les autorisations spécifiques pour le projet suivant l’approbation du gouvernement fédéral, en supposant que le projet serait approuvé.
La Cour d’appel fédérale a réalisé une analyse factuelle détaillée de chacune des quatre premières phases du processus de consultation (la cinquième phase ne s’était pas encore déroulée) afin de déterminer si la consultation était adéquate. La Cour a conclu que les groupes autochtones avaient eu de multiples occasions de participer au processus réglementaire, et qu’il était approprié que le Canada se fie à ce processus réglementaire pour remplir tous les aspects de son obligation de consultation. La Cour a aussi salué les efforts d’Enbridge pour consulter les groupes autochtones, y compris son important engagement direct auprès des groupes potentiellement touchés et son attribution de fonds pour les aider à participer au processus. Par conséquent, la Cour a conclu que la consultation pendant les trois premières phases du processus de consultation avait été adéquate.
Cependant, pour ce qui est de la phase IV, la majorité des juges ont caractérisé la consultation du Canada comme une occasion « brève, précipitée et inadéquate ». La Cour a notamment constaté que i) le Canada avait omis d’analyser de façon approfondie de nombreuses préoccupations particulières soulevées par les groupes autochtones, ou de fournir une réponse directe aux demandes précises de renseignements, y compris les demandes de renseignements concernant l’évaluation par le Canada du niveau de consultation qui était dû; ii) les coordonnateurs des consultations de la Couronne avaient mal interprété les positions de plusieurs groupes dans les rapports qui avaient été présentés au Cabinet; et iii) les coordonnateurs des consultations de la Couronne n’avaient été chargés que de recueillir des renseignements auprès des groupes autochtones dans les délais prescrits et n’avaient pas le pouvoir de prendre des décisions pour le compte du gouvernement. La Cour a constaté que ce dernier aspect des consultations de la Couronne écartait un dialogue bilatéral véritable sur des questions d’importance pour les groupes autochtones.
La majorité de la Cour a indiqué qu’il aurait fallu peu de temps et d’efforts organisationnels au Canada pour entreprendre un dialogue véritable sur les sujets d’une extrême importance pour les peuples autochtones, mais que cela ne s’était pas fait. Par conséquent, la majorité a conclu que la consultation du Canada n’avait pas été adéquate et que l’obligation de consultation n’avait pas été satisfaite.
Le juge Ryer a exprimé une opinion dissidente, déclarant que, dans le contexte du processus d’approbation du projet en général, la réalisation des consultations de la phase IV avait été adéquate. Le juge Ryer aurait rejeté toutes les demandes et tous les appels contestant le projet.
Le gouvernement fédéral et Enbridge ont annoncé publiquement en septembre qu’ils n’avaient pas l’intention d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel fédérale auprès de la Cour suprême du Canada. Le 29 novembre 2016, le gouvernement fédéral a annoncé que le projet Northern Gateway avait été officiellement rejeté.
Bien que la décision Gitxaala ait été l’un des derniers obstacles qui ont ultimement mis un terme au projet Northern Gateway, plusieurs aspects de la décision Gitxaala seront bénéfiques aux projets futurs qui feront naître l’obligation de consultation auprès des peuples autochtones :
- Gitxaala confirme que le processus réglementaire peut jouer un rôle important dans l’exécution de l’obligation de consultation, et que les processus suivis par la Commission d’examen conjoint et le promoteur de Northern Gateway étaient acceptables. Ces indications s’avéreront très utiles pour les organismes de réglementation et les promoteurs dans le cadre de projets futurs.
- La majorité et le juge dissident ont tous rejeté les contestations relativement à l’examen des effets environnementaux, affirmant que le Cabinet fédéral jouit d’une vaste discrétion pour examiner les problèmes économiques, environnementaux et culturels dans sa décision d’approuver ou non d’importants projets de pipeline. Cet aspect de la décision devrait rendre la contestation des approbations de projets futurs pour des motifs environnementaux plus difficile.
- Bien que les détails dans Gitxaala soient particuliers aux circonstances uniques du projet Northern Gateway (et du plan de consultation à cinq phases de la Couronne), la décision donne des directives utiles aux gouvernements sur la manière de mener des consultations directes auprès des groupes autochtones afin de s’assurer que de véritables consultations ont lieu.
- Malgré le fait que la majorité des juges dans l’affaire Gitxaala aient conclu que les consultations du Canada n’étaient pas adéquates, ils ont signalé que des consultations adéquates auraient pu être menées dans les mêmes délais et qu’il ne devrait pas prendre beaucoup plus de temps pour remédier aux irrégularités. Cela suggère que de véritables consultations n’exigent pas nécessairement des prolongations aux processus de consultation existants du Canada.
D’après notre expérience, la satisfaction des exigences juridiques de consultation auprès des Autochtones nécessite une stratégie robuste et un bon plan d’exécution pour assurer la conformité, de même qu’une discipline rigoureuse permettant de s’assurer que les différentes parties responsables des consultations remplissent ces obligations. La décision dans l’affaire Gitxaala donne des indications utiles aux promoteurs et aux gouvernements au sujet de ce qui est requis pour satisfaire aux exigences juridiques en matière de consultation auprès des Autochtones, et au sujet des pièges qui doivent être évités pour s’assurer que les approbations des projets résistent à l’examen judiciaire.