Le 6 juin 2024, le ministre fédéral de la Santé a présenté le projet de loi C-72, Loi concernant l’interopérabilité des technologies de l’information sur la santé et visant à interdire le blocage de données par les fournisseurs de technologies de l’information sur la santé. S’il est adopté, le projet de loi promulguera la Loi visant un système de soins de santé connecté au Canada[1] (la Loi).
Quel est l’objet de la Loi ?
L’objectif visé de la Loi est de faciliter l’ accès aux renseignements électroniques sur la santé, de les utiliser ou de les échanger et d’en interdire le blocage par les fournisseurs de technologies de l’information sur la santé. La Loi reflète également le plan du gouvernement visant à « mettre en place un système de soins moderne et interconnecté, dans lequel les renseignements sur la santé peuvent être consultés en toute sécurité par les patients et partagés entre les fournisseurs, si nécessaire »[2].
Pourquoi la Loi est-elle proposée maintenant ?
Le communiqué de presse du gouvernement du Canada présentant la Loi indique que « [p]ermettre un accès rapide et sécurisé aux renseignements personnels sur la santé est essentiel pour sauver des vies et améliorer les soins de santé pour la population canadienne [, et les] retards dans l’accès aux renseignements personnels sur la santé sont préjudiciables aux patients : ils peuvent entraîner des examens inutiles ou redondants, des temps d’attente et des séjours à l’hôpital plus longs, ainsi que des erreurs de médication ».
De manière générale, il est reconnu que les renseignements sur la santé au Canada sont souvent gérés de manière cloisonnée, les patients et les fournisseurs de soins de santé étant confrontés à des obstacles et à des retards dans l’accès aux renseignements nécessaires à la gestion des soins. Ce manque d’interopérabilité aggrave d’autres problèmes majeurs liés à la prestation des soins de santé, notamment :
- environ quatre millions d’adultes canadiens n’avaient pas de dispensateur de soins de première ligne en 2023[3];
- de nombreux Canadiens dont l’état de santé nécessite une intervention chirurgicale sont inscrits sur des listes d’attente pendant de nombreux mois[4];
- 70 % des Canadiens craignent de ne pas pouvoir bénéficier de soins médicaux de qualité au moment où ils en auront besoin[5].
Quelles sont les principales dispositions de la Loi ?
La Loi vise à accélérer l’adoption de normes communes en matière d’interopérabilité et de données et à permettre un partage sécurisé des renseignements entre les plateformes. Si elle est promulguée, la Loi exigera des « fournisseurs de technologies de l’information sur la santé » ce qui suit :
- Qu’ils assurent l’« interopérabilité » des « technologies de l’information sur la santé » qu’ils vendent ou fournissent, ou pour lesquelles ils octroient des licences;
- Qu’ils s’abstiennent de se livrer au « blocage de données ».
Il est important de noter que la définition du terme « technologie de l’information sur la santé » est large et englobe tout matériel informatique, logiciel ou toute technologie intégrée, ou propriété intellectuelle ou mise à niveau, conçu pour créer, maintenir, utiliser ou échanger des renseignements électroniques sur la santé ou pour y accéder, ou pour appuyer ces activités. Les technologies de l’information sur la santé ne seront considérées comme « interopérables » que si elles permettent à l’utilisateur d’avoir accès aux renseignements électroniques sur la santé et de les utiliser, ou de les échanger avec d’autres technologies de l’information sur la santé, et si elles respectent les normes, les spécifications et les exigences prévues dans des règlements à venir. La définition du terme « blocage de données » est également large et englobe toute pratique ou tout acte qui empêche, décourage ou entrave l’utilisation ou l’échange de renseignements électroniques sur la santé ou l’accès à ceux-ci.
Pourquoi la Loi est-elle importante ?
Si l’objectif d’améliorer l’accès aux renseignements électroniques sur la santé est louable, le champ d’application du régime législatif soulève des questions importantes, notamment les suivantes :
- Plutôt que de reconnaître que l’interopérabilité ne peut être réalisée que par la collaboration entre les fournisseurs de technologies et les entreprises qui les déploient, la Loi impose des obligations uniquement aux fournisseurs.
- Plutôt que de cibler des catégories spécifiques de fournisseurs (tels que les services électroniques d’archives médicales, les fournisseurs de logiciels de gestion pour les médecins, les dentistes et les pharmaciens ou les plateformes de soins de santé virtuelles), la Loi s’applique à un vaste groupe de fournisseurs et pourrait couvrir un large éventail de fournisseurs de technologies qui n’ont jamais été considérés comme faisant partie du système de santé et ne sont pas directement soumis aux lois sur la protection des renseignements personnels sur la santé (tels que les fournisseurs de moniteurs d’activité physique ou d’applications pour téléphones intelligents conçues pour améliorer la santé physique ou mentale d’une personne). La Loi peut également s’appliquer aux fournisseurs de technologies qui ne traitent pas eux-mêmes de renseignements sur la santé, mais qui soutiennent d’autres fournisseurs de technologies qui le font, ainsi qu’aux détaillants de services technologiques standards.
- Plutôt que de se concentrer sur les technologies déployées dans le cadre de la prestation de services de santé, la Loi s’applique à toute personne qui fournit une technologie d’information sur la santé, indépendamment de la manière dont elle est déployée ou de la personne qui la déploie, et s’étend aux technologies de l’information sur la santé utilisées par les particuliers pour accéder à leurs propres renseignements.
- Plutôt que de viser des catégories ou des types d’interopérabilité prescrits, la Loi introduit une exigence générale selon laquelle les fournisseurs de technologies de l’information sur la santé doivent permettre une interopérabilité universelle avec toutes les autres technologies de l’information sur la santé.
- Plutôt que de viser les organisations qui fournissent des services technologiques, en raison de l’étendue de la définition de « fournisseur de technologies de l’information sur la santé », la Loi pourrait également s’appliquer aux fournisseurs de services de santé, y compris les hôpitaux publics et les cliniques médicales, ainsi qu’à d’autres intermédiaires qui fournissent des technologies à d’autres fournisseurs de soins de santé.
La façon dont la Loi pourra être mise en pratique n’est pas claire. Tant que des normes et des spécifications d’interopérabilité internationalement reconnues n’auront pas vu le jour, la Loi risque d’entraîner le retrait de nombreux fournisseurs de technologies de l’information sur la santé du marché canadien, et le refus des fournisseurs de services de santé de mettre des services technologiques à la disposition d’autres fournisseurs de soins de santé.
La Loi s’appliquera-t-elle dans tous les territoires du Canada?
La Loi ne s’appliquera que dans les provinces ou territoires dont les lois, selon le gouverneur en conseil, ne prévoient pas d’exigences qui soient substantiellement similaires à celles établies sous le régime de la Loi. Bien qu’il s’agisse d’un mécanisme inhabituel pour l’application des lois fédérales, il est similaire à l’approche adoptée pour la loi canadienne en matière de protection de la vie privée, soit la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE).
Quelles seront les sanctions en cas de refus de se conformer à la Loi ?
Le ministre de la Santé sera responsable de l’application Loi, ce qui signifie que Santé Canada sera probablement l’autorité gouvernementale chargée de son application. Étant donné que le gouverneur en conseil pourra prendre des mesures établissant un régime de sanctions administratives pécuniaires, les organisations qui contreviennent à la Loi seront passibles d’amendes.
Que faire ensuite?
En plus de suivre l’évolution du projet de loi C-72 tout au long du processus législatif, les fournisseurs de services de santé et les fournisseurs de technologies de l’information sur la santé souhaiteront consulter la Feuille de route commune de l’interopérabilité pancanadienne publiée par Inforoute Santé du Canada en mai 2023[6] et se tenir au courant des efforts déployés aux fins de l’élaboration des normes d’interopérabilité généralement reconnues, ainsi que des lois provinciales ou territoriales pertinentes.
Entre autres :
- les fournisseurs de services de santé voudront tenir compte de la Loi lorsqu’ils prendront des décisions en matière d’approvisionnement et négocieront les contrats aux termes desquels ils se procureront des technologies de l’information sur la santé;
- les fournisseurs de services de santé qui mettent actuellement des services technologiques à la disposition d’autres professionnels de la santé voudront rester informés de l’évolution de la Loi afin de pouvoir ajuster comme il se doit la conception et la stratégie de mise en marché de leurs produits;
- les fournisseurs de technologies qui offrent des services au Canada ou qui prévoient d’entrer sur le marché canadien voudront examiner comment la Loi peut s’appliquer à leur situation, même s’ils ne participent pas directement à la fourniture de services technologiques au secteur de la santé.
[1] Projet de loi C-72, Loi visant un système de soins de santé connecté au Canada, 1re session, 44e législature, 2024 (première lecture le 6 juin 2024).
[2] Communiqué de presse du gouvernement du Canada, 6 juin 2024 – https://www.canada.ca/fr/sante-canada/nouvelles/2024/06/le-gouvernement-du-canada-presente-la-loi-visant-un-systeme-de-soins-de-sante-connecte-au-canada-ameliorer-la-securite-des-patients-et-lacces-a-leu.html.
[3] Institut canadien d’information sur la santé, « Une enquête internationale révèle que le Canada accuse un retard au chapitre de l’accès aux soins de première ligne », daté du 21 mars 2024; disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.cihi.ca/fr/une-enquete-internationale-revele-que-le-canada-accuse-un-retard-au-chapitre-de-lacces-aux-soins-de
[4] Institut canadien d’information sur la santé, « Les temps d’attente pour les interventions prioritaires au Canada, 2024 », daté du 4 avril 2024; disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.cihi.ca/fr/les-temps-dattente-pour-les-interventions-prioritaires-au-canada-2024.
[5] Leger, « Healthcare in Canada », daté du 24 janvier 2024; disponible en ligne à l’adresse suivante : https://leger360.com/healthcare-in-canada/.
[6] https://www.infoway-inforoute.ca/fr/component/edocman/6445-vous-connecter-a-des-soins-de-sante-modernes-feuille-de-route-commune-de-l-interoperabilite-pancanadienne/view-document