La récente décision, Asa et al. c. University Health Network (ci-après « Asa »), de la Cour divisionnaire de l’Ontario rappelle aux hôpitaux que leurs décisions internes peuvent faire l’objet d’une révision de la part des tribunaux et que le processus décisionnel de leurs comités doit être équitable et leurs décisions raisonnables. Ces exigences sont bien connues dans le cadre des privilèges hospitaliers que détient le personnel médical. Cependant, cette décision va bien au-delà de ces privilèges.
Dans l’affaire Asa, un certain nombre de chercheurs renommés dans le domaine de l’oncologie endocrinienne ont déposé auprès de la Cour divisionnaire une demande de révision judiciaire d’une décision du chef de la direction de l’University Health Network (ci-après l’« Hôpital ») qui consistait à suspendre temporairement les activités des chercheurs à la suite d’une inconduite en matière de recherche. La décision, prise conformément à la politique de recherche de l’Hôpital, était précédée d’une enquête et d’une procédure d’appel interne dont la première procédure formelle d’examen a été menée par le comité d’enquête de l’Hôpital. Dans le cadre de leur requête en révision judiciaire, les chercheurs ont demandé que la décision soit annulée et réexaminée lors d’une audition orale.
En réponse à cette requête, l’Hôpital a soutenu que la décision du chef de la direction de l’Hôpital ne pouvait pas être réexaminée par la Cour. L’Hôpital a subsidiairement soutenu que si une révision judiciaire de la décision était permise, la décision serait jugée raisonnable et prise selon la norme de contrôle de la raisonnabilité.
La Cour a déterminé que la décision pourrait faire l’objet d’une révision judiciaire soulevant une atteinte à l’intérêt public. Voici les principaux éléments dont s’est servie la Cour soutenant la révision judiciaire de la décision :
- La décision portait sur la capacité des chercheurs à effectuer leurs recherches sur le cancer ayant une incidence sur les protocoles médicaux utilisés dans le traitement du cancer en Ontario;
- La décision portait sur l’une des principales fonctions de l’Hôpital, soit la mise en place et l’exploitation d’installations de recherche et le maintien de programmes de recherche contre le cancer;
- L’Hôpital est un hôpital public régit par la Loi sur les hôpitaux publics;
- La politique de recherche en vertu de laquelle la décision a été prise a été soutenue par trois organismes gouvernementaux.
Ayant conclu que la décision pouvait faire l’objet d’une révision judiciaire, la Cour a examiné si la décision elle-même était raisonnable et si elle avait été prise de manière équitable. La Cour a estimé que le processus en fonction duquel la décision avait été prise était équitable et qu’une audition orale n’était pas requise. Bien qu’il n’y ait pas de processus établi en ce qui a trait à l’enquête et à l’appel interne, le Tribunal a souligné les faits suivants pour conclure que le processus suivi par l’Hôpital était équitable :
- Les chercheurs ont été informés de la nature et de la portée des allégations;
- Les chercheurs ont été informés au moment où les allégations ont été élargies;
- Les chercheurs ont collaboré avec le comité d’enquête et ont participé pleinement à l’enquête notamment en présentant leurs arguments verbalement et par écrit;
- Les chercheurs ont bénéficié de l’aide de conseillers juridiques;
- Les chercheurs ont formulé leurs commentaires sur la version préliminaire du rapport;
- Les chercheurs ont été informés lors de la remise du rapport final, ont contesté la décision, présenté leur appel et donné suite aux arguments.
La Cour a ultimement jugé que la décision était raisonnable en partie : la décision du chef de la direction de maintenir la conclusion du comité de recherche voulant que la non-conformité de l’inconduite en matière de recherche au regard de la politique de recherche était raisonnable. Cependant, la conclusion sur l’inconduite en matière de recherche sous forme de falsification et de fabrication était déraisonnable, faute de preuve à l’appui. La suspension des activités des chercheurs a été renvoyée pour nouvel examen par l’Hôpital à la lumière des conclusions de la Cour.
Au moment de mener des enquêtes internes et de prendre des décisions qui auront une incidence sur le personnel médical et les autres membres du personnel hospitalier, les hôpitaux doivent tenir compte du fait que leurs processus d’enquête et de prise de décisions internes peuvent faire l’objet d’un examen externe, et ce, même si le processus et la décision ne constituent pas un exercice de pouvoir légal. Bien que le niveau d’équité procédurale que se doit de respecter un hôpital dans le cadre d’une enquête ou d’une décision varie selon la nature de l’enquête et de la décision ou des deux, les hôpitaux doivent à tout le moins fournir aux parties faisant l’objet d’une enquête ou d’une possible décision :
- la divulgation complète des allégations;
- la possibilité de participer à toute enquête, notamment en acceptant d'être interrogé et en présentant leurs arguments;
- la possibilité d'être représenté par des conseillers juridiques;
- l'avis d'une décision et les motifs complets de la décision.
Cet article a d'abord été publié dans Hospital News.