Mise à jour importante : Le 8 juin 2022, la Cour d’appel de l’Ontario a publié une décision unanime accueillant l’appel de l’employé dans la décision Rahman dont il est question dans cet article. Le juge Gillese écrit :
[Traduction] [24] À mon avis, le juge des requêtes a commis une erreur de droit lorsqu’il a permis que des considérations relatives au niveau de compétences de Mme Rahman et à son accès à des conseils juridiques indépendants, associées à l’intention subjective des parties de ne pas contrevenir à la LNE, l’emportent sur les termes clairs des clauses de licenciement des contrats d’emploi. En permettant que des considérations subjectives déforment le libellé de ces clauses ou prévalent sur celui-ci, le juge des requêtes a commis une erreur de droit pouvant être isolée, sujette à examen selon la norme de la décision correcte… C’est le libellé d’une clause de licenciement qui détermine si elle contrevient à la LNE…
Les termes clairs de la décision de la Cour d’appel semblent jeter un doute important sur le niveau de compétences des parties comme facteur pertinent afin de déterminer l’opposabilité de la clause de licenciement d’un contrat de travail.
Deux décisions récentes – et divergentes – des tribunaux de l’Ontario viennent rappeler aux employeurs que les contrats de travail négociés (même lorsque l’employé est assisté d’un avocat) ne sont pas à l’abri d’un examen judiciaire minutieux.
Pour situer le contexte, le point de départ de l’analyse judiciaire effectuée en Ontario est la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Wood c. Fred Deeley Imports Ltd., 2017 ONCA 158 (Wood). Dans cette affaire, la Cour a souligné l’importance de l’emploi et la vulnérabilité des employés en situation de licenciement en énumérant les éléments ci-après devant être pris en considération pour interpréter et évaluer le caractère exécutoire des clauses de licenciement :
- Lors de la passation des contrats de travail, le pouvoir de négociation des employés est généralement inférieur à celui des employeurs.
- De nombreux employés ne sont probablement pas familiers avec les normes d’emploi énoncées dans la Loi sur les normes d’emploi de 2000 (LNE) et les obligations que cette loi impose aux employeurs. Par conséquent, ils ne chercheront peut-être pas à contester les clauses de licenciement illégales.
- La LNE est une loi à visée réparatrice, destinée à protéger les intérêts des employés. Pour cette raison, les tribunaux devraient privilégier une interprétation qui [Traduction] « encourage les employeurs à se conformer aux exigences minimales » de la LNE et [Traduction] « étend ses protections au plus grand nombre possible d’employés » par rapport à une interprétation qui ne le fait pas.
- Les clauses de licenciement doivent être interprétées de manière à encourager les employeurs à rédiger des contrats de travail conformes aux exigences de la LNE. Si la seule conséquence que subissent les employeurs qui rédigent une clause de licenciement non conforme à la LNE est une ordonnance de mise en conformité, ils seront peu ou pas du tout incités à rédiger une clause de licenciement conforme à la loi lors de la création du lien d’emploi.
- Une clause de licenciement ne réfute la présomption de préavis raisonnable que si son libellé est clair. Les employés devraient savoir, au début de leur emploi, quels seront leurs droits à la fin de celui-ci.
- Devant une clause de licenciement susceptible de recevoir différentes interprétations raisonnables, les tribunaux devraient retenir celle qui avantage le plus l’employé.
Application des directives données par l’arrêt Wood avec des résultats différents
À la fin de l’année dernière, la Cour supérieure de justice de l’Ontario s’est penchée sur les directives données dans l’arrêt Wood précité dans les affaires Rahman c. Cannon Design Architecture Inc., 2021 ONSC 5961 (Rahman), et Livshin c. The Clinic Network Canada Inc., 2021 ONSC 6796 (Livshin). Malgré la similarité des faits dans ces deux affaires, les conclusions des décisions Rahman et Livshin ont été différentes quant à l’importance à donner au fait que le contrat avait été passé avec une partie avertie représentée par un conseiller juridique.
Dans l’affaire Rahman, Mme Rahman demandait un jugement sommaire déclarant son congédiement injustifié à la suite de la cessation de son emploi. Mme Rahman occupait un poste de niveau raisonnablement élevé et, avant son embauche, avait mené des négociations avec son employeur potentiel qui avaient permis d’améliorer sensiblement les modalités de son contrat de travail. En particulier, elle avait obtenu des conseils juridiques avant l’embauche au sujet des clauses de licenciement du contrat dont elle avait fait valoir au procès qu’elles étaient nulles pour cause de non-respect des exigences minimales de la LNE.
La Cour supérieure de justice n’a pas été de cet avis. Le juge Dunphy a estimé que le contrat prévoyait en [Traduction] « termes clairs et non ambigus » que le montant de l’indemnité que recevrait Mme Rahman ne serait pas inférieur aux exigences minimales de la LNE en cas de licenciement. En outre, en tant que [Traduction] « femme avertie et expérimentée », Mme Rahman avait à la fois négocié avec succès les modalités de son contrat de travail et obtenu des conseils juridiques ciblés concernant ses droits à cet égard. Dans les circonstances, le juge Dunphy a conclu qu’aucun fondement ne permettait de conclure que la situation de Mme Rahman lorsqu’elle a examiné et signé son contrat de travail correspondait aux préoccupations décrites dans l’arrêt Wood. Sous réserve de tout litige subsistant entre les parties aux termes du contrat valide, l’action a été rejetée.
Le juge Black, qui a entendu l’affaire Livshin un mois après l’affaire Rahman, devait également se pencher sur le caractère exécutoire d’une clause de licenciement du contrat de travail du demandeur. Toutefois, alors que les faits étaient similaires, le juge Black est arrivé à une conclusion opposée. Comme Mme Rahman, M. Livshin était une partie avertie, représentée par un avocat, qui a signé son contrat de travail à l’issue d’une série de négociations. Au procès, certaines clauses du contrat de M. Livshin ont été contestées pour de prétendues violations de la LNE. En particulier, M. Livshin a fait valoir que la clause de [Traduction] « licenciement pour motif valable » était d’une portée trop large pour satisfaire à la norme rigoureuse imposée par la LNE et que, conformément à l’arrêt Waksdale c. Swegon North America Inc. 2020 ONCA 391 (dont il a été question dans un billet précédent), cela rendait les autres clauses de licenciement du contrat inexécutoires.
Le juge Black a donné raison à M. Livshin en concluant que les clauses de licenciement du contrat de ce dernier violaient la LNE et étaient inexécutoires. Le fait que M. Livshin était une partie avertie représentée par un avocat lors des négociations ayant mené à la signature de son contrat ne pouvait changer la conclusion. Faisant référence à Wood, le juge Black n’a vu [Traduction] « aucune raison pour laquelle la clause [de licenciement] en question devait être rédigée d’une manière qui, à première vue, contrevenait à la LNE. » Le jugement a été rendu en faveur du demandeur.
Points à retenir
Les décisions Rahman et Livshin indiquent clairement que les tribunaux de l’Ontario continueront d’examiner les contrats de travail avec diligence – et dans les moindres détails techniques – afin de vérifier leur conformité à la LNE. Les employeurs qui cherchent à recruter des talents dans un marché concurrentiel doivent garder à l’esprit que même les employés avertis représentés par un conseiller juridique peuvent contester le caractère exécutoire de la clause de licenciement de leur contrat de travail.
Si vous avez des questions sur ces décisions, ou si vous avez besoin d’aide pour rédiger ou réviser des contrats de travail avant, pendant ou après des négociations avec des candidats à un emploi ou des employés existants, veuillez communiquer avec un membre de l’équipe Osler.