Auteurs(trice)
Associé, Concurrence, commerce international et investissement étranger, Toronto
Associé, Concurrence, commerce et investissement étranger, Toronto
Sociétaire, Concurrence, commerce et investissement étranger, Toronto
Le samedi 22 mars dernier, quelques heures avant le déclenchement des élections, le gouvernement fédéral a annoncé une consultation de 30 jours sur « les mesures commerciales qui pourraient être prises pour se protéger contre la menace de détournement des produits d’acier de pays tiers vers le marché canadien découlant des récentes mesures commerciales prises par les États-Unis ».
Contexte
D’une part, l’annonce était prévisible. En 2018, le Canada a tenu des consultations sur d’éventuelles mesures de sauvegarde concernant sept catégories de produits d’acier importés (tôles lourdes, barres d’armature pour béton, produits tubulaires pour le secteur de l’énergie, tôles minces laminées à chaud, acier prépeint, fil en acier inoxydable et fil machine), peu après que la première administration Trump a imposé des tarifs douaniers de 25 % sur l’acier importé aux États-Unis (y compris l’acier canadien) en vertu de l’article 232 de la loi des États-Unis intitulée Trade Expansion Act of 1962.
À l’époque, le secteur canadien de l’acier s’était inquiété de la menace que le détournement des exportations de pays tiers des États-Unis vers le Canada pouvait lui poser. À la suite de ces consultations, le gouvernement canadien avait imposé des mesures de sauvegarde provisoires sur ces sept catégories de produits d’acier (bien qu’il n’ait pas communiqué la « conclusion préliminaire » (preliminary determination) et les « preuves évidentes » (clear evidence) requises par l’accord de l’OMC sur les sauvegardes, intitulé Agreement on Safeguards).
En 2019, le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) a estimé que des mesures de sauvegarde au-delà de la période provisoire (200 jours) étaient justifiées pour deux de ces catégories de produits importés (tôles lourdes et fil en acier inoxydable), mais pas pour les cinq autres. La première administration Trump a ensuite accepté de suspendre les tarifs douaniers au titre de l’article 232 sur les importations d’acier en provenance du Canada, de huit autres pays et de l’Union européenne. Toutefois, la deuxième administration Trump a levé ces suspensions, avec effet au 12 mars 2025. Il est donc à craindre que le secteur canadien de l’acier demande à nouveau au gouvernement de prendre des mesures à l’encontre des importations en provenance de pays tiers.
D’autre part, les mesures que le gouvernement canadien se propose de prendre, et les pays contre lesquels il pourrait les prendre, sont moins clairs cette fois-ci. Il est à noter que l’annonce du 22 mars ne mentionne pas les « sauvegardes ».
Mesures de sauvegarde
Les mesures de sauvegarde constituent une exception, aux termes de l’accord de l’OMC, à l’interdiction faite aux membres d’imposer des restrictions quantitatives sur les importations ou d’augmenter les droits sur ces importations au-delà des « taux consolidés » (bound rates) qu’ils ont acceptés. Un pays membre de l’OMC peut prendre une mesure de sauvegarde – une restriction temporaire des importations telle que des droits supplémentaires ou des restrictions quantitatives – pour protéger l’un ou l’autre de ses secteurs d’activité contre tout préjudice grave découlant ou susceptible de découler d’une augmentation imprévue des importations. Le seuil de preuve pour l’imposition d’une mesure de sauvegarde est élevé, et les sauvegardes « définitives » (definitive) ou « finales » (final) ne peuvent être imposées qu’à l’issue d’une enquête du type de celle que le TCCE a menée en 2018-2019.
La question de savoir si le Canada pourrait atteindre ce seuil de preuve reste ouverte, surtout que la mesure que l’administration Trump a prise le 12 mars n’a consisté qu’à supprimer la suspension de ses tarifs douaniers sur l’acier au titre de l’article 232 pour certains pays. La grande majorité des pays producteurs d’acier étaient déjà et sont toujours soumis à ces tarifs douaniers, et ce depuis 2018.
En outre, comme le secteur canadien de l’acier est le plus grand utilisateur des lois canadiennes sur les recours commerciaux, les importations d’acier au Canada en provenance d’un large éventail de pays font l’objet d’importantes mesures antidumping et compensatoires et, comme il l’a reconnu dans son annonce du 22 mars, le Canada a déjà imposé en représailles des surtaxes de 25 % sur les produits d’acier américains et maintient une surtaxe de 25 % sur les produits d’acier (et d’aluminium) chinois depuis le mois d’octobre dernier. Enfin, il y a peu de preuves à ce jour que le Canada subisse une augmentation des importations ou une menace de détournement d’acier en provenance des huit autres pays et de l’Union européenne à la suite des mesures commerciales américaines.
Le gouvernement canadien pourrait préférer ne pas se soumettre aux contraintes de procédure et de preuve qu’une mesure de sauvegarde comporte (et qu’il a acceptées en tant que pays membre de l’OMC), car il dispose des outils législatifs nécessaires pour imposer des mesures commerciales unilatérales en dehors du cadre des mesures de sauvegarde. Quoi qu’il en soit, toute autre mesure que le Canada prendrait serait fort probablement contestée devant l’OMC par ses partenaires commerciaux, qui pourraient imposer des mesures de représailles contre des secteurs clés de son économie, tels que l’agriculture. La prise d’une telle mesure témoignerait également, à l’égard des règles du commerce international, d’une ambivalence qui contrasterait avec la politique suivie de longue date par le Canada.
En outre, les autres pays soumis aux tarifs douaniers sur l’acier au titre de l’article 232 depuis le 12 mars, soit l’Argentine, l’Australie, le Brésil, la Corée du Sud, le Japon, le Mexique, le Royaume-Uni, l’Ukraine et l’Union européenne, sont des pays avec lesquels le Canada a conclu des accords de libre-échange (à l’exception du Brésil et de l’Argentine, avec lesquels le Canada a tenté, par intermittence, d’en négocier un). De nombreux accords de libre-échange sont assortis de dispositions qui limitent avec précision les mesures de sauvegarde qui peuvent être prises, ce qui pourrait lier davantage les mains du Canada. En outre, la plupart de ces pays sont susceptibles d’être parties à une stratégie de diversification des échanges, dans le cadre de laquelle, face au protectionnisme de « l’Amérique d’abord », le Canada pourrait leur demander d’ouvrir encore davantage leurs marchés aux exportations autres que d’acier en provenance du Canada.
Conclusion
Compte tenu de ce qui précède, nous pensons que le gouvernement – quels que soient les résultats des prochaines élections fédérales – devra faire preuve de prudence dans l’adoption de toute nouvelle mesure commerciale concernant l’acier, et trouver un juste équilibre entre la demande de protection du secteur canadien de l’acier contre d’éventuelles perturbations dans les volumes d’importation et l’urgent besoin d’accroître les échanges et l’accès aux marchés avec ses partenaires commerciaux, autres que les États-Unis.