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Associé, Droit des sociétés, Toronto
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Sociétaire, Droit des sociétés, Toronto
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Des opinions divergentes ont été exprimées sur les approches à privilégier pour répondre aux nombreuses préoccupations en matière de gouvernance d’entreprise, entre autres celles visant à déterminer si les assemblées virtuelles des actionnaires des sociétés ouvertes sont un avantage ou un inconvénient pour la démocratie actionnariale. De plus, le débat demeure ouvert concernant la pertinence pour les sociétés ouvertes de remplacer les auditeurs en fonctions depuis de nombreuses années et l’analyse de l’éventuel avancement des principes de diversité, d’équité et d’inclusion (la « DEI »).
Les discussions autour de ces enjeux aideront à définir les pratiques des émetteurs canadiens en 2025. Les intervenants sur le marché doivent avoir une compréhension aiguisée des enjeux de gouvernance d’entreprise et adapter leurs pratiques en conséquence. Ils devront également être prêts à prendre part à d’autres discussions, alors que le milieu poursuit sa réflexion sur la « meilleure » approche à adopter.
Les actionnaires ont leur mot à dire sur le format des assemblées des actionnaires
La pandémie de COVID-19 a considérablement accéléré l’utilisation des technologies, notamment pour la tenue des assemblées des actionnaires sans qu’il soit nécessaire de se réunir en personne. Les assemblées en mode virtuel uniquement sont rapidement devenues la tendance, qui marquait, disait-on, une nouvelle ère pour la démocratie actionnariale. Les avantages sur le plan de la sécurité, de l’efficacité et des économies de coûts ont été applaudis, ainsi que l’approche avant-gardiste et respectueuse pour l’environnement. Même si la pandémie est chose du passé, de nombreux émetteurs tiennent toujours leurs assemblées en mode virtuel uniquement. Pendant la saison des assemblées annuelles de 2024, 54 % des sociétés de l’indice composé S&P/TSX 60 ont tenu leurs assemblées en mode virtuel comparativement à 15 % en personne et à 31 % en mode hybride.
Malgré la popularité croissante des assemblées virtuelles, plusieurs voix critiques se sont élevées, dont celle de la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance, pour exprimer leur crainte que certains émetteurs aient recours aux assemblées en mode virtuel uniquement pour limiter la parole des actionnaires. Ces critiques soulignent également les effets négatifs des assemblées en mode virtuel sur la capacité des actionnaires à exercer leurs droits et à faire entendre leur voix directement auprès des conseils d’administration. L’une des préoccupations exprimées concerne la capacité des émetteurs à modérer efficacement les questions et les commentaires soumis par voie électronique. Par exemple, cette année, une importante société minière (en anglais) a été accusée d’utiliser le format virtuel pour procéder à une reformulation importante des questions des actionnaires et omettre le contenu susceptible de causer de l’embarras.
Pendant la saison des assemblées annuelles de 2024, le MÉDAC, un organisme québécois engagé dans la remise en question des pratiques du milieu des affaires, a présenté plusieurs propositions d’actionnaires visant à interdire la tenue d’assemblées des actionnaires en mode virtuel uniquement. Sept des douze propositions soumises au vote par les actionnaires ont été adoptées. Toutefois, dans bien des cas, les résultats à l’issue des votes étaient serrés, ce qui démontre que les actionnaires sont divisés sur le caractère excessif d’une interdiction des réunions en mode virtuel uniquement.
Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont maintenu leurs indications datant de la période pandémique concernant la tenue d’assemblées des actionnaires en mode virtuel uniquement. Ces indications sont flexibles, mais soulèvent des points liés à la divulgation et à la participation dont les émetteurs devraient tenir compte. Pendant la saison des assemblées annuelles de 2024, l’Institutional Shareholder Services (l’« ISS ») a recommandé aux actionnaires de voter contre la modification des règlements permettant à une société de tenir des assemblées en mode virtuel uniquement, et pour la saison des assemblées annuelles de 2025, l’ISS propose la modification de ses instructions de vote qui, si elles sont adoptées, donnerait lieu à des recommandations de vote contre les règlements qui donnent au conseil d’administration le pouvoir discrétionnaire de tenir des assemblées des actionnaires en mode virtuel uniquement sans justification convaincante. Cette constatation est préoccupante, surtout si l’ISS recommande de voter contre d’autres modifications des règlements au motif que ceux en vigueur autorisent la tenue des assemblées des actionnaires en mode virtuel uniquement. Dans ses instructions de vote aux assemblées annuelles en 2025, la société Glass Lewis confirme qu’elle n’a pas formulé de recommandation de vote reposant uniquement sur le format retenu pour les assemblées des actionnaires, mais que, selon les instructions de vote actuellement en vigueur, dans les situations particulièrement graves où un conseil d’administration n’a pas répondu aux préoccupations légitimes et publiques des actionnaires concernant le format de l’assemblée des actionnaires, elle peut recommander de voter contre la réélection du président du comité de gouvernance ou d’autres administrateurs imputables.
À compter de 2024, les émetteurs qui ne tiennent pas leurs assemblées des actionnaires en mode hybride perdront des points au classement dans le rapport du Board Games du Globe and Mail.
Les auditeurs en fonctions depuis de nombreuses années sous la loupe
La reconduction du mandat des auditeurs déjà en fonctions était autrefois une question de routine lors des assemblées annuelles des sociétés ouvertes. Si aucun enjeu comptable majeur n’est constaté ou si les honoraires pour les services non liés à l’audit ne sont pas plus élevés que ceux liés à l’audit, les sociétés peuvent généralement compter sur un fort appui en faveur de la reconduction du mandat de leurs auditeurs. Toutefois, les choses sont en train de changer. Dans la vaste majorité des sociétés de l’indice composé S&P/TSX 60, plus de 95 % des actionnaires votent en faveur de la reconduction du mandat des auditeurs et les auditeurs en fonctions depuis un nombre d’années moins élevées obtiennent un pourcentage de votes plus élevé que ceux en poste depuis plus longtemps. En effet, lorsque le nombre d’années en fonctions est précisé, tous les auditeurs qui ont reçu plus de 99 % des votes en 2024 occupaient leurs fonctions depuis 15 ans ou moins, tandis que ceux qui occupaient leurs fonctions depuis 18 ans ou plus ont reçu 95 % ou moins des votes.
Les intervenants sur le marché doivent avoir une compréhension aiguisée des enjeux de gouvernance d’entreprise et adapter leurs pratiques en conséquence.
Pendant la saison des assemblées annuelles de 2024, plusieurs émetteurs ont reçu des propositions d’actionnaires demandant au conseil d’administration de remplacer les auditeurs indépendants en fonctions depuis de nombreuses années. Les membres du conseil en faveur de la rotation des cabinets d’audit font valoir qu’une relation de longue date peut compromettre l’indépendance et le scepticisme professionnel des cabinets d’audit qui occupent ces fonctions depuis de nombreuses années. Ils affirment que la rotation périodique du cabinet d’audit est le meilleur moyen de poser un regard neuf et libre de toute influence sur l’audit des résultats financiers de la société.
Toutefois, les défenseurs des auditeurs en fonctions depuis de nombreuses années font valoir les coûts non négligeables associés à l’intégration de nouveaux auditeurs et soulignent que des auditeurs en fonctions depuis de nombreuses annéesont acquis au fil des ans une expertise en phase avec les besoins du client et une connaissance institutionnelle, qui leur permet de mieux évaluer les pratiques de la société. Ils soulignent par ailleurs que la rotation de l’associé responsable de la mission d’audit est un facteur important dans l’évaluation de l’indépendance des auditeurs.
En 2024, le Centre canadien pour la qualité des audits [PDF] a réaffirmé sa position selon laquelle une surveillance rigoureuse et une évaluation périodique du cabinet d’audit conduisent à une décision plus éclairée quant à la nomination d’un cabinet d’audit que le fait de se fier de manière arbitraire à la durée du mandat des auditeurs. Le Centre est également d’avis qu’un vote contre le comité d’audit et le cabinet d’audit sur la base de la durée du mandat des auditeurs pourraient avoir des conséquences inattendues, entre autres conduire à une diminution de la qualité globale des audits sur les marchés financiers et exposer les investisseurs à un risque injustifié.
Un nouveau facteur important vient enrichir le débat, c’est-à-dire que les conseillers en matière de procuration font de plus en plus souvent des observations sur les auditeurs en fonctions depuis de nombreuses annéesdans leurs recommandations de vote. Toutefois, la durée du mandat n’est que l’un des facteurs pris en considération aux fins des recommandations de vote sur la reconduction du mandat des auditeurs.
L’approche en matière de diversité, d’équité et d’inclusion face à une remise en question grandissante
Depuis quelques années, la diversité au sein des conseils d’administration des sociétés, plus généralement, les questions de DEI sont de plus en plus controversées. Ces controverses se sont intensifiées depuis que la Cour suprême des États-Unis a statué que les programmes d’admission au Harvard College et à l’Université de la Caroline du Nord, qui considéraient les origines raciales comme l’un des nombreux critères de sélection des nouveaux étudiants, enfreignaient la Equal Protection Clause (la clause sur l’égale protection des lois) prévue dans la Constitution des États-Unis. Au cours des derniers mois, plusieurs grandes marques du secteur du commerce de détail (en anglais) aux États-Unis ont annoncé qu’elles mettaient fin à leurs programmes de DEI et qu’elles n’associeraient plus la rémunération des dirigeants à des critères de diversité.
Jusqu’à présent, les sociétés canadiennes ne sont pas encore revenues sur leur position publique en matière de DEI. Toutefois, il se pourrait que la diminution d’intérêt pour la diversité de genre au sein des conseils d’administration soit attribuable au recul de l’engagement des entreprises à l’égard des principes de DEI. Selon le rapport d’Osler intitulé Pratiques de divulgation en matière de diversité [PDF], l’année 2024 a été celle de la plus faible augmentation de la proportion de sièges aux conseils d’administration occupés par des femmes depuis 2016, soit une augmentation de seulement 1,3 point de pourcentage, comparativement à une augmentation moyenne chaque année de 2,1 points de pourcentage entre 2015 et 2023.
Dans son rapport, Osler constate également une stagnation des progrès réalisés sur le plan de la représentation des minorités visibles au sein des conseils d’administration des sociétés régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions, 10,2 % des sièges aux conseils d’administration étant occupés par des membres des minorités visibles. Ce pourcentage est le même qu’en 2023. Des progrès limités ont également été accomplis en ce qui concerne la représentation des Autochtones à des postes d’administrateurs. Le peu de progrès réalisés est surprenant. En 2024, l’ISS a commencé à recommander aux actionnaires de voter contre, ou de s’abstenir de voter pour, le candidat à la présidence du comité des mises en candidature, ou son équivalent, de toute société de l’indice composé S&P/TSX 60, dont le conseil d’administration ne compte aucun membre issu de la diversité raciale ou ethnique, à moins que ces sociétés prennent l’engagement d’ajouter au moins un tel membre au plus tard à la prochaine assemblée générale annuelle. Selon le rapport d’Osler, plus du tiers des sociétés de l’indice composé S&P/TSX 60 n’avaient toujours pas nommé d’administrateur issu de la diversité raciale ou ethnique lors de la publication de leur dernière circulaire d’information de la direction.
En 2023, les ACVM avaient proposé d’imposer plusieurs obligations d’information plus étendues en matière de diversité. Nous avons analysé ces modifications dans le bulletin d’actualités Osler du 25 mai 2023. Les progrès ont été lents, les membres des ACVM n’ayant pas réussi à s’entendre publiquement sur l’approche à adopter. Il reste à voir si certains membres des ACVM feront cavaliers seuls en l’absence d’un consensus national plus large.
En l’absence de pressions constantes, que ce soit de la part des actionnaires ou des organismes de réglementation, les avancées sur le plan de la diversité dépendront dans une large mesure de la reconnaissance par les sociétés de la valeur stratégique de la mise en œuvre et de l’amélioration des pratiques en matière de DEI afin de constituer un bassin de cadres supérieurs diversifiés compétents.
Conséquences pour les sociétés ouvertes
L’absence persistante de résolution dans les débats en cours concernant les assemblées des actionnaires en mode virtuel, les auditeurs en fonctions depuis de nombreuses années auprès des sociétés ouvertes et les initiatives de DEI, ces questions continueront à se poser pendant toute la saison des assemblées annuelles de 2025 et probablement après. Les émetteurs peuvent déjà mettre en œuvre certaines mesures en préparation pour la prochaine année.
Il est conseillé aux émetteurs qui souhaitent continuer à tenir des assemblées des actionnaires en mode virtuel, ou qui se réservent la possibilité de le faire, d’adopter les meilleures pratiques à cet égard. Le rapport du groupe de travail multipartite 2020 sur les pratiques touchant les assemblées des actionnaires virtuelles [PDF, en anglais uniquement] décrit un certain nombre de ces pratiques, notamment assurer la transparence des étapes à suivre lors des assemblées pour répondre aux questions des actionnaires, et présenter les questions des actionnaires tel qu’elles ont été formulées, sous réserve des enjeux juridiques ou contraintes de temps.
En savoir plus sur l’équipe de gouvernance d’entreprise d’Osler.
En savoir plusLes émetteurs qui travaillent avec des auditeurs dont la durée du mandat peut être questionnée doivent s’assurer qu’ils disposent d’une politique d’évaluation du travail des auditeurs. Cette politique doit prévoir l’obligation de procéder tous les cinq ans à une évaluation complète du travail des auditeurs. Les émetteurs devraient également ajouter à l’ordre du jour d’une réunion de leur conseil d’administration une discussion sur l’intérêt pour la société de procéder à la rotation des cabinets d’audit. Cette discussion doit tenir compte des résultats de la plus récente évaluation complète, des recommandations du Centre canadien pour la qualité des audits et des résultats du vote des actionnaires. De plus, les émetteurs devraient envisager d’ajouter de l’information au sujet de ces pratiques dans leur circulaire d’information de la direction.
Par ailleurs, les émetteurs devraient revoir leurs politiques et pratiques en matière de DEI afin de s’assurer qu’elles sont conformes aux lois en matière de droits de la personne. Ils devraient également veiller à ce que leurs politiques éliminent les obstacles pour les groupes sous-représentés sans créer par inadvertance des obstacles pour d’autres groupes. De plus, les sociétés devraient s’assurer que leurs communications internes et externes favorisent un environnement inclusif et soutiennent la diversité des points de vue.