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Le vote consultatif sur la rémunération revient en force : trois rejets au cours d'une même semaine

Auteur(s) : Andrew MacDougall

6 mai 2015

Au cours d'une même semaine, trois rejets de la politique de rémunération ont remis les pratiques de rémunération sous les projecteurs, démontrant ainsi que les investisseurs utilisent encore les votes consultatifs pour exprimer leur insatisfaction à l'égard des pratiques de rémunération des sociétés.

En 2014, le niveau d'appui aux votes sur la rémunération au Canada avait augmenté et aucun vote ne s'était soldé par une opposition. Cette tendance s'est nettement inversée la semaine dernière lorsque trois sociétés n'ont pas réussi à faire approuver leur politique de rémunération : Barrick Gold Corporation (73,4 % contre), Yamana Gold Inc. (62,73 % contre) et la Banque canadienne impériale de commerce (56,84 % contre). C'est la deuxième fois que Barrick Gold ne réussit pas à faire approuver sa politique de rémunération; elle détient l'honneur discutable d'avoir enregistré le plus faible taux d'appui des actionnaires au Canada (14,8 % en 2013) et d'occuper aussi le deuxième rang (26,6 % en 2015).

Les pratiques de rémunération continuent d'être scrutées à la loupe, et c'est pourquoi il est important pour les employeurs de tenir compte des intérêts variés des parties concernées et des réactions possibles lorsque vient le temps de fixer les niveaux de rémunération et de les divulguer.

Les raisons de la colère des actionnaires

Les circonstances ayant déclenché les résultats du vote consultatif varient.

Barrick Gold Corporation

N'ayant pas réussi à obtenir l'appui des actionnaires pour son programme de rémunération en 2013, Barrick Gold a adopté une série de mesures incluant une plus grande interaction avec les actionnaires et la nomination de six administrateurs en 2014. De plus, les salaires ont été gelés et les montants des primes ont été réduits en attendant l'adoption des nouvelles pratiques, y compris des fiches de rendement pour fixer la rémunération des dirigeants, l'utilisation d'unités d'actions qui seront acquises au terme de trois ans et les exigences en matière d'actionnariat. Bien que ces mesures n'aient pas réussi à satisfaire tous les actionnaires institutionnels, elles ont été suffisantes pour renverser la vapeur en 2014, lorsque Barrick Gold a obtenu un taux d'appui de 80,3 % à son vote consultatif sur la rémunération.

Le résultat du vote de 2015 semble refléter un mécontentement à l'égard de la rémunération incitative en espèces versée aux dirigeants de Barrick, plus particulièrement à son président, alors que le prix de l'action a continué de reculer au cours de l'année, en termes absolus et par rapport aux indices aurifères. Malgré l'utilisation de fiches de rendement pour déterminer la rémunération de la haute direction, les investisseurs continuent de croire que les décisions liées à la rémunération sont prises en grande partie sur une base discrétionnaire. Également, un pourcentage maximal du salaire de base a été fixé pour les primes de la plupart des dirigeants, ce qui a donné lieu à des paiements représentant jusqu'à 286 % du salaire de base. Toutefois, aucun plafond n'a été fixé pour la prime du président, qui s'est élevée à 380 % du salaire de base.

Yamana Gold Inc.

Les investisseurs ont critiqué Yamana Gold non seulement parce que la rémunération incitative a été accordée en grande partie de manière discrétionnaire, mais également parce que la rémunération touchée par les dirigeants n'a pas été communiquée adéquatement. Yamana a conclu une importante transaction en 2014, soit l'acquisition conjointe avec la société Mines Agnico Eagle de la Corporation minière Osisko. Certains des hauts dirigeants qui ont participé à la transaction ont touché d'importantes primes en espèces et ont reçu des primes incitatives à base d'actions liées au rendement des actifs d'Osisko. Ces montants ont été déclarés en tant que prime supplémentaire et ne figuraient pas au tableau sommaire de la rémunération de la circulaire d'information de Yamana Gold pour son assemblée annuelle de 2015. Peu d'explications ont été fournies au sujet du montant de ces primes. De plus, les investisseurs ont estimé que d'autres primes incitatives à court terme ont été fixées de façon discrétionnaire puisque la circulaire d'information n'établissait pas un lien clair entre le rendement et la prime incitative. Les investisseurs ont également critiqué les primes incitatives « à long terme », qui sont entièrement acquises après deux ans seulement et dont le tiers est acquis dès l'octroi.

Banque CIBC

Les actionnaires ont été surpris de prendre connaissance des généreuses ententes de rémunération de retraite accordées à l'ancien chef de la direction et à l'ancien chef de l'exploitation dans la circulaire d'information pour l'assemblée annuelle des actionnaires de 2015.[1]

L'ancien chef de la direction avait signé une entente d'emploi avec la banque le 1er août 2005, qui a été modifiée en novembre 2009 et renouvelée en mai 2013. Moins d'un an après le renouvellement, à l'occasion de son assemblée annuelle tenue le 24 avril 2014, la banque a annoncé que le chef de la direction comptait prendre sa retraite le 30 avril 2016 et que la date serait arrêtée une fois le successeur trouvé. Puis, le 31 juillet 2014, la banque a annoncé la nomination du nouveau chef de la direction, qui entrerait en fonction le 15 septembre 2014. Le nouveau chef de la direction était le chef du groupe Gestion de patrimoine de la banque, et en raison de sa vaste connaissance des activités de la banque et de la confiance du conseil d'administration en sa capacité de leader, le conseil a décidé d'accélérer le départ à la retraite de l'ancien chef de la direction. De plus, le départ à la retraire de l'ancien chef de l'exploitation avait été annoncé le 27 mars 2014 et devait prendre effet le 31 octobre 2015. Toutefois, le 15 septembre 2014, la banque a annoncé qu'elle s'était entendue avec le chef de l'exploitation pour devancer son départ à la retraite.

La circulaire d'information de la CIBC pour son assemblée annuelle de 2014 avait été rédigée et déposée avant les annonces du 27 mars et du 24 avril 2014 visant les départs à la retraite de l'ancien chef de l'exploitation et de l'ancien chef de la direction, respectivement, et reflétait ainsi les ententes avant leur révision. À la lecture de la circulaire d'information pour l'assemblée annuelle de 2015, les actionnaires ont été surpris de découvrir qu'à la suite de la révision des ententes, les deux anciens dirigeants avaient reçu une rémunération additionnelle de plus de 25 millions de dollars.[2]

Les investisseurs ont également exprimé leurs préoccupations à l'égard du processus de planification de la relève de la banque. En 2014, la banque a déclaré que le Comité de la rémunération et des ressources du personnel de direction et le conseil d'administration passaient en revue annuellement ses plans de relève, y compris celui pour le chef de la direction. À la fin d'avril 2014, le conseil d'administration a déterminé qu'il était souhaitable de conclure une entente de deux ans avec l'ancien chef de la direction, et a décidé tout juste trois mois plus tard que le maintien en poste de l'ancien chef de la direction n'était plus nécessaire.

Conséquences du rejet de la politique de rémunération

Résultats non contraignants – Au Canada, le vote consultatif sur la rémunération se fait sur une base volontaire à titre consultatif et n'est pas contraignant. Bien que chaque société canadienne qui tient un vote consultatif sur la rémunération déclare que son conseil d'administration et son comité de rémunération tiennent compte des résultats du vote dans le cadre de l'examen de la rémunération des dirigeants, la société n'a aucune obligation légale de prendre des mesures à la suite de l'opposition manifestée lors du vote.

Abstention de vote à l'élection du président du comité de rémunération  Un nombre important d'actionnaires de chaque société ont également exprimé leur mécontentement en s'abstenant de voter pour l'élection de certains administrateurs. Dans le cas de Barrick, 25,9 % des actionnaires se sont abstenus de voter lors de l'élection du président du comité de rémunération. Pour ce qui est de Yamana Gold, ce sont 23,22 % des actionnaires qui se sont abstenus de voter lors de l'élection du président du comité de rémunération. À la Banque CIBC, 14,98 % des actionnaires se sont abstenus de voter pour la présidente du Comité de rémunération et des ressources du personnel de direction, même si elle n'est devenue présidente qu'après la prise des décisions sur la rémunération de l'ancien chef de la direction et de l'ancien chef de l'exploitation.

Conséquences sur les prochains votes consultatifs sur la rémunération et sur les votes pour élire les administrateurs – Bien que les sociétés ne soient pas légalement tenues de prendre des mesures à la suite de l'échec du vote consultatif, plusieurs raisons peuvent les inciter à consulter les actionnaires et à déterminer si les changements à leurs pratiques de rémunération sont justifiés. Par exemple, si les cabinets offrant des services consultatifs en matière de procuration ne sont pas satisfaits des mesures prises par la société communiquées dans la circulaire de la prochaine assemblée annuelle, ils recommanderont aux actionnaires de s'abstenir de voter à l'élection des administrateurs qui sont membres du comité de rémunération. MDC Partners Inc., par exemple, a obtenu moins de 70 % de votes approuvant sa résolution relative au vote consultatif en 2013. Insatisfaits des mesures prises par la société à la suite du résultat du vote, en 2014, les cabinets offrant des services de consultation en matière de procuration, Institutional Shareholder Services et Glass Lewis, ont non seulement recommandé aux actionnaires de rejeter la politique de rémunération de MDC Partners Inc., mais également de s'abstenir de voter pour les administrateurs membres du comité de rémunération. Dans le cas de Barrick, comme il s'agissait d'une deuxième opposition lors du vote consultatif sur la rémunération, le vote pour l'élection des membres du comité de rémunération a enregistré un taux élevé d'abstention allant de 24 % à 25,9 %.

Poursuites des actionnaires – Aux États-Unis, des votes consultatifs sur la rémunération à l'issue négative a incité de nombreux actionnaires à intenter des poursuites en dommages-intérêts contre les dirigeants et les membres du conseil d'administration pour violation de leur obligation de fiduciaire, et contre les dirigeants pour enrichissement injustifié, ainsi que contre les experts-conseils en rémunération qui ont conseillé les administrateurs. La plupart des poursuites se sont révélées infructueuses, bien qu'il y ait eu un règlement dans certains cas donnant lieu au paiement des frais juridiques des demandeurs. En 2012, Citibank a été la première banque américaine à voir son programme de rémunération refusé, avec 65 % des voix exprimées « contre ». Citibank et son conseil d'administration ont été aussitôt poursuivis par de nombreux groupes d'actionnaires demandant des dommages-intérêts, alléguant notamment que le conseil n'avait pas respecté ses obligations de fiduciaire, soit la franchise, la bonne foi et la loyauté, en octroyant une rémunération excessive et injustifiée. Deux des dirigeants de Citibank dont la rémunération a mis le feu aux poudres ont démissionné dans les six mois suivant le vote. Les actionnaires n'ont pas obtenu gain de cause. Les demandeurs ont refusé de poursuivre les procédures en 2013 et une poursuite subséquente pour récupérer 6 millions de dollars en honoraires d'avocats a également été abandonnée. Les avocats des demandeurs sont probablement découragés par le faible taux de succès de ces réclamations, bien que les possibilités de poursuites subsistent. Deux décisions ont été rendues en Ontario concluant que les administrateurs avaient manqué à leur obligation de fiduciaire en accordant une rémunération excessive.[3]

Contrôle réglementaire – Les pratiques de rémunération sont également surveillées par les organismes de réglementation. Les critiques à l'égard de la divulgation d'information sur la rémunération de Yamana Gold pourraient inciter les organismes de réglementation des valeurs mobilières à mener une enquête plus poussée. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) oblige les institutions financières à harmoniser leurs ententes de rémunération avec les principes visant de saines pratiques de rémunération produites par le Conseil de stabilité financière, lesquels visent à s'assurer que la rémunération correspond à une prise de risque prudente. Par exemple, la Banque CIBC devra être prête à se justifier si, dans le cadre d'une enquête, elle doit expliquer comment les ententes avec l'ancien chef de la direction et l'ancien chef de l'exploitation respectaient ces principes.

Conclusion

De nos jours, la divulgation de l'information sur la rémunération des dirigeants est examinée de près par les actionnaires et les organismes de réglementation, et suscite un intérêt médiatique considérable. La critique des pratiques en matière de rémunération d'une société influe sur le moral des employés, les perceptions des clients et la réputation de la société. Dans le contexte actuel, les répercussions de la divulgation de l'information doivent être étudiées attentivement lorsque vient le temps de prendre des décisions en matière de rémunération, et le bien-fondé de ces décisions doit être communiqué clairement pour éviter de surprendre les parties intéressées, plus particulièrement lorsque les décisions peuvent être impopulaires.

 

[1]« This can raise outrage: CIBC’s CEO retirement pay surprises many » (De quoi susciter l'indignation; la rémunération de retraite du chef de la direction de la CIBC en surprend plusieurs), Tim Kaldaze, The Globe and Mail, 1er avril 2015.

[2] L'ancien chef de la direction a droit à une somme additionnelle de 16 666 646 $ en versements du salaire de base et de la rémunération d'encouragement pour la période du 15 septembre 2014 au 30 avril 2016, ainsi qu'à l'augmentation de valeur de son régime de retraite. L'ancien chef de l'exploitation a droit à une somme additionnelle de 8 527,469 $ en versements du salaire de base et de la rémunération d'encouragement pour la période du 15 septembre 2014 au 31 octobre 2015, ainsi qu'à l'augmentation de la valeur de son régime de retraite.

[3]       Unique Broadband Systems, Inc. (Re), 2013 ONSC 2953 révisé 2014 ONCA 538; UPM-Kymmene Corp. v UPM-Kymmene Miramichi Inc. (2002), 214 DLR (4th) 496 (SCJ), confirmé (2004), 183 OAC 310 (CA).