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La Cour d’appel du Québec déclare inconstitutionnels certains aspects du projet de modèle coopératif de réglementation des marchés des capitaux

Auteur(s) : Lawrence E. Ritchie, W. David Rankin, Robert M. Yalden

12 mai 2017

En réponse à un renvoi du gouvernement du Québec, la Cour d’appel du Québec a conclu que, même si le cadre de gouvernance du régime coopératif en matière de réglementation des marchés des capitaux, tel qu’il est proposé, est inconstitutionnel, le projet de Loi sur la stabilité des marchés des capitaux (la LSMC) du gouvernement fédéral est essentiellement de sa compétence constitutionnelle. [1]

Contexte

En 2011, la Cour suprême du Canada a conclu que le projet de Loi sur les valeurs mobilières, à l’époque, visant à établir un régime de réglementation des valeurs mobilières national administré par un unique organisme de réglementation des valeurs mobilières aurait été inconstitutionnel. [2] Même si la Cour suprême a jugé que le projet de Loi sur les valeurs mobilières empiétait sur les pouvoirs constitutionnels des provinces en matière de droits civils et de droits de propriété, elle a laissé croire en la possibilité d’une législation fédérale ciblée relativement aux valeurs mobilières, abordant des questions qui transcendent les frontières provinciales, telles que les dispositions visant à contrôler le risque systémique et la collecte de données à l’échelle nationale.

À la suite du renvoi de la Cour suprême, en 2014, le gouvernement fédéral et les gouvernements de cinq provinces et d’un territoire ont signé le Protocole d’accord concernant le régime coopératif en matière de réglementation des marchés des capitaux (le PA). Le PA prévoyait la création d’un régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux supervisé par un organisme de réglementation national. Voici les principales composantes du modèle coopératif établi dans le PA :

  • Supervision multiterritoriale : Le modèle serait administré par un seul organisme de réglementation, l’Autorité de réglementation des marchés des capitaux (ARMC), et supervisé par un Conseil de ministres, composé du ministre des Finances du Canada et des ministres responsables de chacune des provinces participantes. Le Conseil des ministres superviserait l’ARMC et approuverait les modifications apportées au cadre législatif et aux règlements d’application. Le PA énonce les mécanismes de vote prévus pour le Conseil des ministres.
  • Loi sur les marchés des capitaux (la Loi uniforme) : Chacune des provinces participantes promulguerait la Loi uniforme visant la réglementation des marchés des capitaux dans cette province. L’administration de la Loi uniforme de chaque province participante serait déléguée à l’AMRC.
  • Loi sur la stabilité des marchés des capitaux (LSMC) : En plus de la Loi uniforme provinciale, le législateur promulguerait la LSMC, dont l’administration serait déléguée à l’AMRC. La LSMC porterait sur le risque systémique, la collecte de données à l’échelle nationale et le droit criminel.

Même si le Québec n’a pas signé le PA, ce protocole d’accord prévoit un mécanisme invitant les gouvernements des provinces non participantes à adhérer au modèle coopératif. Le Québec a contesté la constitutionnalité de ce régime, soutenant qu’il s’agissait d’une modification constitutionnelle déguisée, et a renvoyé deux questions à la Cour d’appel du Québec afin d’obtenir des avis consultatifs :

  1. La Constitution du Canada autorise-t-elle la mise en place d’une réglementation pancanadienne des valeurs mobilières sous la gouverne d’un organisme unique selon le modèle prévu par la plus récente publication du Protocole d’accord concernant le régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux?
  2. La plus récente version de l’ébauche de la loi fédérale intitulée Loi sur la stabilité des marchés des capitaux excède-t-elle la compétence du Parlement du Canada sur le commerce selon le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867?

Les juges majoritaires ont conclu que le modèle dans son ensemble était inconstitutionnel

En réponse à la première question, les juges majoritaires de la Cour d’appel du Québec ont conclu que le modèle coopératif d’ensemble, suivant le PA, serait inconstitutionnel pour deux motifs principaux. Premièrement, les juges majoritaires ont statué que les mécanismes de modification des Lois uniformes entraveraient inconstitutionnellement la souveraineté parlementaire dans les provinces participantes. [3 ]  Selon l’opinion de la majorité des juges, il est inacceptable, sur le plan constitutionnel, que des législatures provinciales soumettent l’exercice de leur compétence législative à un organisme externe, en l’occurrence, le Conseil des ministres. [4]

Les juges majoritaires étaient préoccupés non seulement par le fait que la compétence législative des provinces participantes soit entravée une organisme externe, mais aussi par le fait que des ministres fédéraux (c.-à-d. l’organe exécutif) dictent les modifications statutaires aux organes législatifs de provinces participantes réticentes. [5] De l’avis des juges majoritaires, ce serait contraire aux principes fondamentaux de la Constitution canadienne.

Deuxièmement, les juges majoritaires ont conclu que les mécanismes de vote proposés, selon lesquels le Conseil des ministres approuverait les règlements adoptés en vertu de la LSMC fédérale, seraient inconstitutionnels. [6] Comme les ministres provinciaux prendraient part à ces décisions, les juges majoritaires craignaient que cela ne donne aux provinces participantes un droit de veto contre les initiatives fédérales visant à contrôler le risque systémique. [7]

De l’avis des juges majoritaires, le fondement constitutionnel d’une réglementation fédérale relative au risque systémique sur les marchés des capitaux repose sur la nécessité d’une intervention fédérale pour s’attaquer au risque systémique en tant que question nationale qui ne peut pas être résolue à l’échelle provinciale parce que l’exercice d’un veto provincial, ou le défaut d’une province de participer au régime, mettrait celui-ci en péril. Selon les juges majoritaires, accorder un droit de veto aux provinces participantes saperait ce fondement constitutionnel et rendrait la LSMC inconstitutionnelle.[8]

Les juges majoritaires concluent que la LSMC serait constitutionnelle, de façon autonome, avec certaines réserves

En réponse à la seconde question, les juges majoritaires ont conclu que la LSMC, de façon autonome, serait constitutionnelle si elle abordait le risque systémique et la collecte de données à l’échelle du pays, sous réserve du retrait des dispositions touchant le rôle et les pouvoirs du Conseil des ministres. Les juges majoritaires ont retenu que le caractère véritable de la LSMC (examinée de façon autonome) est de « promouvoir la stabilité de l’économie canadienne par la gestion des risques systémiques liés aux marchés des capitaux ». [9] S’appuyant sur le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières de 2011 de la Cour suprême, les juges majoritaires ont conclu que le Parlement canadien a la compétence requise pour adopter la Loi fédérale, dans ce but principal, [10] à condition que les articles qui concernent le rôle et les pouvoirs du Conseil des ministres soient retirés. De l’avis des juges majoritaires, si l’intégrité de ces pouvoirs était maintenue, la LSMC dans son ensemble serait inconstitutionnelle. [11]

Opinion du juge Schrager

Le juge Schrager, J.C.A., donnant sa propre opinion, a conclu que l’ébauche de Lois uniformes et la LSMC étaient des lois provinciales et fédérale valides, respectivement. [12] Le juge Schrager n’était pas d’accord avec les juges majoritaires, selon lesquels les dispositions de la LSMC portant sur le rôle et les pouvoirs de l’AMRC rendaient la LSMC constitutionnellement invalide. [13] Cependant, le juge Schrager ne s’est pas prononcé sur la question plus vaste de savoir si le modèle coopératif présenté dans le PA serait, dans son ensemble, constitutionnel. Même si le juge Schrager était d’avis que certains aspects du PA pouvaient constituer une délégation illégale du pouvoir législatif ou l’abandon de la souveraineté parlementaire, [14] la validité constitutionnelle du Protocole d’accord lui-même ne pouvait pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire dans le renvoi. [15]

Conséquences

Même si le gouvernement du Québec s’est empressé de qualifier de victoire les conclusions de la Cour d’appel du Québec, il est peu probable que cette décision constitue le fin mot de l’histoire en ce qui concerne le régime de réglementation coopératif. La décision des juges majoritaires est axée sur le rôle de gouvernance du Conseil des ministres, en ce qui concerne la modification des lois et l’établissement de règles. On peut imaginer que ces mesures pourraient être révisées dans le PA afin de tenir compte des préoccupations de la Cour, sans miner l’essentiel du cadre de gouvernance. De plus, cette décision est frappante, dans son affirmation très nette du fait que l’approche proposée par le gouvernement fédéral en matière de réglementation du risque systémique dans la LSMC pourrait être empruntée si elle était séparée des dispositions de gouvernance contestées.

La législation visant la création du cadre du modèle coopératif, y compris l’ébauche de la LSMC, ne sont pas encore finalisées ni déposées au Parlement ou dans les législatures provinciales. Par conséquent, les parties bénéficient d’une vaste marge de manœuvre pour effectuer les révisions appropriées afin de pouvoir aller de l’avant en ce qui concerne le cadre coopératif. Par ailleurs, le gouvernement fédéral pourrait, s’il le désire, porter les questions concernant le projet de modèle de gouvernance devant la Cour suprême du Canada, soit au moyen d’un appel relatif au renvoi du Québec, soit au moyen d’un renvoi direct à la Cour suprême. Si cela se produisait, les avis consultatifs de la Cour suprême l’emporteraient et guideraient l’avenir de tout projet de modèle coopératif.

 

[1]       Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2017 QCCA 756 [arrêt de la QCCA].

[2]       Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, [2011] 3 R.C.S. 837.

[3]       Arrêt QCCA, par. 55, 61.

[4]       Arrêt QCCA, par. 55.

[5]       Arrêt QCCA, par. 64-65.

[6]       Arrêt QCCA, par. 56.

[7]       Arrêt QCCA, par. 56, 87-88.

[8]       Arrêt QCCA, par. 91-97.

[9]       Arrêt QCCA, par. 114-128.

[10]     Arrêt QCCA, par. 125, 131-135.

[11]     Arrêt QCCA, par. 137-138, 140.

[12]     Arrêt QCCA, par. 146. Le juge Schrager ne pouvait cependant pas statuer, dans un sens ou dans l’autre, sur la validité de la Loi uniforme, en l’absence de loi constitutive de l’AMRC (qui n’était pas encore disponible au moment du renvoi) (par. 210).

[13]     Arrêt QCCA, par. 147.

[14]     Arrêt QCCA, par. 146. De plus, l’ébauche de loi fédérale créant l’AMRC n’avait pas été déposée devant la Cour.

[15]     Arrêt QCCA, par. 174.