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Dans quelles circonstances une société peut-elle refuser une proposition d’actionnaire?

Auteur(s) : Andrew MacDougall, Daniel Stysis

Le 28 novembre 2022

De plus en plus, les sociétés ouvertes du Canada sont appelées à considérer les demandes d’actionnaires cherchant à faire inclure leurs propositions aux questions à l’ordre du jour de leurs assemblées annuelles. Plus tôt cette année, la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Fraser c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2022 QCCS 1138 (l’« arrêt Fraser ») a donné l’assurance que les tribunaux feraient preuve de pragmatisme pour déterminer si une société peut refuser de joindre une proposition d’actionnaires à ses documents de sollicitation de procurations.

La présente mise à jour décrit les règles relatives aux propositions d’actionnaires prévues par la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »), y compris les circonstances dans lesquelles une société peut refuser une proposition. Elle reflète les modifications apportées récemment aux règles relatives aux propositions d’actionnaires prévues par la LCSA et son règlement d’application qui sont entrées en vigueur le 31 août 2022 et qui sont résumées dans la mise à jour d’Osler intitulée Voter contre l’élection d’un administrateur, nouveau délai pour les propositions d’actionnaires et autres modifications de la LCSA en vigueur, publiée le 28 septembre 2022.

Bien que la présente mise à jour examine les règles régissant la soumission des propositions d’actionnaires en vertu de la LCSA, des dispositions similaires existent dans les lois provinciales sur les sociétés par actions.

Soumission d’une proposition d’actionnaire en vertu de la LCSA

  • Qui – Une proposition peut être soumise par un ou plusieurs détenteurs inscrits ou véritables propriétaires détenant collectivement, pendant au moins six mois avant la soumission de la proposition :
    • soit 1 % ou plus des actions avec droit de vote le jour où la proposition est soumise[1];
    • soit des actions avec droit de vote d’une valeur d’au moins 2 000 $ CA à la fermeture des bureaux le jour précédant celui où l’actionnaire soumet la proposition[2].
  • Preuve – Si la preuve de l’admissibilité n’a pas été fournie, la société peut l’exiger dans les 14 jours suivant la réception de la proposition, que l’auteur de la proposition doit fournir dans les 21 jours suivant la demande de la société[3].
  • Quand – Une proposition peut être soumise pendant la période de 60 jours qui commence le 150e jour précédant l’anniversaire de la dernière assemblée annuelle des actionnaires (la « période de soumission autorisée »)[4].
  • Renseignements sur l’auteur de la proposition – Une proposition doit être accompagnée des renseignements suivants : i) le nom et l’adresse de l’auteur de la proposition et ii) le nombre d’actions qu’il détient et les dates de leur achat[5].
  • Longueur – La proposition et l’exposé à l’appui de celle-ci, combinés, doivent comporter tout au plus 500 mots[6].

 Règles régissant la réponse de la société à une proposition 

  • Circulaire de sollicitation de procurations – Si, relativement à une proposition, les conditions relatives à la soumission d’une proposition d’actionnaires mentionnées ci-dessus sont remplies et que la société ne peut pas se prévaloir de l’une ou l’autre des exemptions mentionnées ci-dessous pour opposer son refus, la société doit joindre la proposition à la circulaire[7].
  • Exposé à l’appui de la proposition – Si l’auteur de la proposition le demande, la société doit joindre à la circulaire un exposé établi par celui-ci à l’appui de sa proposition[8].
  • Exemptions – La société peut refuser de joindre une proposition ou un exposé à l’appui de celle-ci à une circulaire pour diverses raisons. Elle n’a pas besoin d’obtenir l’autorisation d’un tribunal pour refuser une proposition. Elle doit seulement i) aviser l’auteur de la proposition de son intention de l’omettre de la circulaire et ii) fournir les motifs de son refus dans les 21 jours suivant la réception de la proposition[9]. Toutefois, l’auteur de la proposition dont la proposition est refusée peut contester la décision devant le tribunal et lui demander, entre autres, d’empêcher la tenue de l’assemblée des actionnaires[10].

La société peut refuser de joindre une proposition pour les motifs suivants :

  • Date de soumission – La proposition est soumise en dehors de la période de soumission autorisée[11].
  • Auparavant, l’auteur de la proposition a fait perdre du temps à la société et aux actionnaires – Si, au cours des deux dernières années, l’auteur de la proposition a demandé à la société de joindre une proposition d’actionnaires à la circulaire mais a omis de la présenter à l’occasion de l’assemblée elle-même, la société peut refuser sa proposition actuelle[12].
  • L’auteur de la proposition a omis de conserver l’actionnariat minimal – Si, au cours des deux dernières années, l’auteur de la proposition a soumis une proposition d’actionnaire mais a omis de maintenir sa participation dans la société jusqu’à la date de l’assemblée des actionnaires à un niveau égal ou supérieur à la participation minimale requise pour soumettre une proposition d’actionnaires, la société peut refuser sa proposition actuelle[13].
  • Non pertinente – S’il apparaît nettement que la proposition n’est pas liée de manière importante aux activités commerciales et aux affaires internes de la société, la société peut la refuser[14]. Toutefois, cette exemption se présente rarement.
  • Propositions concernant des réclamations ou des griefs personnels
  • Propositions à peu près identiques ayant échoué au cours des cinq dernières années
  • Abus des règles relatives aux proposition dans un but de publicité

Nous examinons les trois dernières exemptions plus en détail ci-dessous.

Exemption – propositions concernant des réclamations ou des griefs personnels

L’alinéa b) du paragraphe 137(5) de la LCSA prévoit une exemption si :

il apparaît nettement que la proposition a pour objet principal de faire valoir, contre la société ou ses administrateurs, ses dirigeants ou les détenteurs de ses valeurs mobilières, une réclamation personnelle ou d’obtenir d’eux la réparation d’un grief personnel

En vertu de cette exemption, les tribunaux analysent la proposition dans son ensemble et évaluent le comportement et les communications de l’auteur de la proposition pour déterminer l’objet principal de la proposition elle-même[15]. En particulier, les tribunaux évaluent la mesure dans laquelle la proposition concerne principalement une réclamation ou un grief personnel de l’actionnaire [TRADUCTION LIBRE] « par opposition à des questions d’intérêt général pour les actionnaires »[16]. Le seuil permettant de conclure qu’il apparaît « nettement » que la proposition a un tel objet principal est relativement élevé[17]. Les tribunaux ont pris en compte les facteurs suivants :

  • Objet – L’exemption s’applique aux propositions qui concernent principalement des réclamations et des griefs personnels plutôt que la politique ou les activités de l’entreprise. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a souligné que cette exemption ne s’appliquait pas lorsque la proposition contenait simplement [TRADUCTION LIBRE] « un élément d’intérêt personnel »[18]. Pour qu’une proposition soit valablement refusée en vertu de cette exemption, il faut que la proposition n’ait [TRADUCTION LIBRE] « aucun rapport réel ou direct avec les activités commerciales et les affaires internes de la société ou, d’ailleurs, avec le rôle de [l’auteur de la proposition] en tant qu’actionnaire, ni n’en fasse autrement partie intégrante »[19].
  • Nombre de personnes qui l’appuient – Une proposition avec peu de personnes qui l’appuient est plus susceptible de concerner principalement l’intérêt personnel d’un actionnaire par opposition à l’intérêt général des actionnaires et, par conséquent, plus susceptible de concerner principalement une réclamation ou un grief personnel[20].
  • Plaintes similaires – L’absence de preuve de plaintes similaires de la part d’autres actionnaires suggère que la proposition concerne principalement une réclamation ou un grief personnel[21].
  • Procédures parallèles – Les propositions soumises par un actionnaire qui est partie à un litige contre la société ou d’autres sociétés du même secteur sur une question connexe sont plus susceptibles de constituer une tentative de faire valoir une réclamation ou un grief personnel[22].
  • Vindicte – Les propositions qui cherchent à embarrasser ou à ridiculiser la société ou à attirer l’attention sur les erreurs qu’elle a commises et corrigées par la suite sont plus susceptibles d’être considérées comme liées à une réclamation ou à un grief personnel plutôt qu’à une question liée aux politiques de l’entreprise ou à l’intérêt général des actionnaires[23].

Exemption – propositions à peu près identiques ayant échoué au cours des cinq dernières années

L’alinéa d) du paragraphe 137(5) de la LCSA prévoit une exemption si[24] :

une proposition à peu près identique figurant dans une circulaire de la direction ou d’un dissident sollicitant des procurations, a été présentée aux actionnaires à une assemblée tenue dans le délai réglementaire précédant la réception de la proposition et n’a pas reçu l’appui nécessaire prévu par les règlements

Les tribunaux déterminent si les propositions sont « à peu près identiques » en examinant [TRADUCTION LIBRE] « leur substance, leur nature ou leur essence, par opposition à leur simple forme, à leur formulation ou au redressement précis demandé »[25]. Plus précisément, les tribunaux tiennent compte i) de l’accent mis sur la présentation de l’auteur de la proposition à l’assemblée précédente[26], ii) de l’accent mis sur le comportement de l’auteur de la proposition avant l’assemblée à venir[27], iii) du contenu de l’exposé à l’appui de la déclaration, et iv) de l’accent mis sur les sites Web ou toute autre communication faite en rapport avec les propositions[28]. À la suite d’une telle analyse, les propositions qui sont considérées comme partageant les mêmes [TRADUCTION LIBRE] « prémisses sous-jacentes et objectif essentiel »[29] sont plus susceptibles d’être à peu près identiques et, par conséquent, d’être valablement refusées par la société.

Exemption – abus des règles relatives aux propositions dans un but de publicité

L’alinéa e) du paragraphe 137(5) de la LCSA prévoit une exemption si :

dans un but de publicité, il y a abus des droits que confère le présent article

Les tribunaux reconnaissent que les propositions confèrent nécessairement un certain degré de publicité à l’actionnaire et à son objectif[30]. Par conséquent, en vertu de cette exemption, les tribunaux évaluent si l’actionnaire a utilisé les règles relatives aux propositions à des fins non prévues ou de manière inappropriée. Les tribunaux ont tenu compte des facteurs suivants :

  • Campagnes visant des changements législatifs ou des enquêtes publiques – Il « n’est pas approprié » de recourir au processus de proposition pour recueillir l’appui du public en faveur d’une campagne visant des changements législatifs ou des enquêtes publiques dans un secteur particulier dont l’actionnaire ou ses conseillers juridiques font la promotion[31].
  • Litiges parallèles – Le recours au processus de proposition pour attirer l’attention sur des litiges entre l’actionnaire et la société ou d’autres sociétés du même secteur constitue probablement une utilisation abusive des règles relatives aux propositions dans un bus de publicité[32].
  • Nombre de propositions – Les actionnaires qui soumettent de nombreuses propositions sont plus susceptibles d’être considérés comme abusant des règles dans un but de publicité[33].
  • Comportement à l’occasion des assemblées – Les actionnaires ayant un comportement abusif ou perturbateur à l’occasion des assemblées d’actionnaires sont plus susceptibles d’être considérés comme abusant des règles dans un but de publicité[34].
  • Utilisation des propositions à d’autres fins non prévues – Le recours aux règles relatives aux propositions à d’autres fins non liées, par exemple [TRADUCTION LIBRE] « comme outil d’interrogatoire préalable »[35], constitue probablement un abus du processus de proposition.

Ce qu’il faut retenir

Les propositions d’actionnaires peuvent être un puissant outil visant à encourager les sociétés à apporter des changements en matière de gouvernance et d’information, mais les auteurs de telles propositions doivent être parfaitement conscients des conditions à remplir pour soumettre une proposition valable. Les sociétés ont la responsabilité d’examiner minutieusement les propositions d’actionnaires qu’elles reçoivent pour s’assurer qu’elles sont conformes aux exigences légales et que les dispositions législatives ne sont pas utilisées à mauvais escient. En plus de satisfaire aux exigences techniques, les actionnaires activistes qui utilisent le mécanisme de proposition d’actionnaire doivent évaluer le risque que leurs propositions, ainsi que le comportement et les communications qui y sont associés, puissent tomber sous le coup des exemptions et entraîner le refus de leur proposition par la société.

Pour toute question concernant les propositions d’actionnaires, veuillez communiquer avec les membres de notre équipe de droit des sociétés.


[1] Si la proposition fait état de candidatures en vue de l’élection des administrateurs, conformément au paragraphe 137(4) de la LCSA, le seuil passe à 5 % des actions avec droit de vote.

[2] Règlement sur les sociétés par actions de régime fédéral, 2001 (le « RSARF »), par. 46a).

[3] LCSA, par. 137(1.4); RSARF, art. 47.

[4] LCSA, par. 137(5)(a); RSARF, art. 49.

[5] LCSA, par. 137(1.2).

[6] LCSA, par. 137(3); RSARF, art. 48.

[7] LCSA, par. 137(2).

[8] LCSA, par. 137(3); RSARF, art. 48.

[9] Arrêt Fraser, par. 21.

[10]LCSA, par. 137(8).

[11] LCSA, alinéa a) du par. 137(5).

[12] LCSA, alinéa c) du par. 137(5).

[13] LCSA, par. 137(5.1).

[14] LCSA, alinéa b.1) du par. 137(5).

[15] Arrêt Fraser, par. 58. Pour une autre formulation du critère, se reporter à l’affaire Banque Nationale du Canada c. Weir, 2006 QCCS 278, par. 28 (l’« arrêt Weir de 2006 »).

[16] Arrêt Fraser, par. 57; affaire Koh v Ellipsiz Communications Ltd. 2017 ONSC 3083, par. 28 et 36-39 (l’« arrêt Koh de 2017 »).

[17] Arrêt Koh de 2017, par. 47.

[18] Arrêt Koh de 2017, par. 28.

[19] Dans l’arrêt Koh de 2017, aux paragraphes 37 et 38, le tribunal suggère i) que les propositions fondées sur [TRADUCTION LIBRE] « des questions liées à une action pour congédiement injustifié » ou « des questions visant à fournir un levier dans un litige distinct auquel la société est partie » seraient probablement valablement refusées en vertu de cette exemption, et ii) que les propositions liées principalement à la stratégie d’un actionnaire [TRADUCTION LIBRE] « visant à remplacer les administrateurs afin qu’un dividende soit déclaré » ou à l’intention des actionnaires majoritaires « visant à élire un conseil d’administration qui représente leur point de vue » ne tomberaient probablement pas sous le coup de cette exemption.

[20] Affaire Koh v Ellipsiz Communications Ltd., 2016 ONSC 7345, par. 30 (l’« arrêt Koh de 2016 »), [TRADUCTION LIBRE] « la mesure dans laquelle le plaignant a agi seul ou avec l’appui d’autres personnes partageant les mêmes idées ».

[21] Arrêt Koh de 2016, par. 33, [TRADUCTION LIBRE] « toute preuve d’une quelconque plainte de la part d’actionnaires autres que le demandeur ».

[22] Arrêt Fraser, par. 61, 63 et 67; arrêt Weir de 2006, par. 23.

[23] Arrêt Weir de 2006, par. 13, 23, 35-36.

[24] Pour la période réglementaire et l’appui minimal réglementaire, se reporter à l’article 51 du RSARF.

[25] Arrêt Fraser, par. 36.

[26] Arrêt Fraser, par. 44.

[27] Arrêt Fraser, par. 45-47.

[28] Arrêt Fraser, par. 49.

[29] Arrêt Fraser, par. 42.

[30] Affaire Michaud c. Banque Nationale du Canada, 1997 CanLII 8814, par. 79.

[31] Arrêt Fraser, par. 72.

[32] Affaire Banque Nationale du Canada c. Weir, 2009 QCCS 5688, par. 50 (l’« arrêt Weir de 2009 »).

[33] Arrêt Weir de 2009, par. 55. Dans cette affaire, l’actionnaire a soumis 38 propositions.

[34] Arrêt Weir de 2009, par. 50.

[35] Arrêt Fraser, par. 67 et 72.