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La Cour suprême du Canada confirme la légalité des clauses restrictives dans un contexte commercial

Auteur(s) : David Stamp, Silvana Conte, Gerard Kennedy, Jean-François Forget

17 septembre 2013

Dans Payette c. Guay inc., la Cour suprême du Canada a confirmé à l'unanimité la validité des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation figurant dans un contrat établi dans la foulée de la vente d'une entreprise. Dans cette décision, on établit une distinction entre une clause restrictive négociée dans un contexte commercial et une clause adoptée dans le contexte d'un emploi, ce dernier contexte se caractérisant souvent par un pouvoir de négociation inégal. Cette décision constitue une bonne nouvelle pour les entreprises de partout au pays qui tentent de faire appliquer de telles clauses pour protéger leurs intérêts.

Parmi les principaux points découlant de cette cause, citons les suivants :

  • Les tribunaux sont conscients de la nécessité de protéger la survaleur et la loyauté rattachées à la vente d'une entreprise;
  • la durée appropriée des clauses restrictives, la nature des activités et le territoire visé par celles-ci peuvent varier considérablement en fonction de la nature d'une entreprise;
  • au Québec, le vendeur qui chercher à se soustraire à l'application d'une clause restrictive dans un contexte commercial a le fardeau de démontrer que cette clause est inapplicable.

Bien que la cause ait été jugée aux termes du Code civil du Québec, la Cour a aussi appliqué des principes de common law aux fins de son analyse et cela en a fait une cause d'intérêt national. 

Les faits

Guay inc. (Guay) est une entreprise de location de grues. En 2004, cette entreprise a acheté des actifs qui appartenaient au Groupe Fortier, une autre entreprise du secteur de la location de grues. Le Groupe Fortier appartenait à Yannick Payette (Payette) et son associé, et était exploité par eux. Pour assurer une transition sans heurt, les deux associés ont convenu de travailler pour Guay inc. durant les six mois suivant la vente. Le contrat de vente prévoyait aussi la possibilité qu'ils continuent à travailler pour Guay dans le futur au-delà de cette période de temps. Toujours en vertu de ce contrat, Payette devait être assujetti à des ententes de non-sollicitation et de non-concurrence pendant cinq ans à compter de la date où il cesserait de travailler pour Guay.

Payette a continué de travailler pour Guay durant plus de quatre ans après la période de transition de six mois, d'abord en vertu d'un contrat de durée déterminée puis selon les modalités d'un contrat de durée indéterminée, avant de se faire renvoyer sans motif. Sept mois plus tard, il a commencé à travailler chez un concurrent de Guay. Quelques jours après l'entrée en fonction de Payette chez ce concurrent, sept des employés les plus expérimentés de Guay sont aussi allés travailler à cet endroit. Peu de temps après, la Cour supérieure du Québec a accueilli une requête en injonction interlocutoire de Guay Les modalités de cette ordonnance ont ensuite été renouvelées jusqu'à la tenue de l'audience sur le fond.

Lors de cette audience, la Cour supérieure du Québec a refusé d'accorder une injonction permanente en vertu de laquelle Payette aurait été sommé de se conformer aux clauses restrictives. En appel, la Cour d'appel du Québec a infirmé la décision et délivré une injonction permanente en vertu de laquelle elle a ordonné à Payette de respecter les clauses durant une période de cinq ans débutant au moment où il avait cessé de travailler pour Guay.

La décision de la Cour suprême du Canada

La Cour a reconnu que l'applicabilité d'une clause restrictive varie selon que cette clause se rattache à la vente d'une entreprise ou à un contrat de travail. Dans le premier cas, l'acheteur se trouve aussi à acquérir la  survaleur de l'entreprise, et les employés ou les vendeurs pourraient s'approprier cette survaleur s'ils commençaient à se faire concurrence entre eux. Bien que des problèmes semblables se posent souvent dans le contexte d'un emploi, les principes juridiques appliqués dans le contexte de la vente d'une entreprise sont différents, entre autres parce qu'il y a moins de chances qu'un déséquilibre de pouvoir survienne dans le contexte d'une vente d'entreprise.

Le Code civil du Québec

Dans le cadre de la réforme du Code civil du Québec de 1994, la législature du Québec a introduit des dispositions visant à rectifier le déséquilibre entre le pouvoir économique d'un employeur et celui d'un employé. En particulier, les clauses de non-concurrence se rattachant à des contrats de travail ont été assujetties à des restrictions afin que l'on n'interdise pas injustement aux employés de gagner leur vie. Cette protection ne s'applique qu'aux contrats de travail.

La Cour suprême a dû d'abord déterminer si les clauses restrictives avaient été établies dans le contexte d'un contrat de vente d'actifs ou d'un contrat de travail. La Cour a adopté une approche contextuelle pour rendre cette décision et elle a examiné tant l'intention des parties que la formulation des clauses contestées.

Après avoir tenu compte des faits liés à cette cause, la Cour a soutenu que tant la formulation des clauses que le contexte factuel de l'acceptation de telles obligations étayaient la conclusion voulant que les clauses de non-concurrence et de non-sollicitation ne pouvaient être dissociées du contrat relatif à la vente d'actifs. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour a statué que le fait d'avoir passé un contrat de travail distinct n'impliquait pas que les clauses restrictives devaient être interprétées selon les règles qui régissent les contrats d'emploi. De plus, la Cour a aussi indiqué que la mention d'une cessation d'emploi en tant que point de départ de la période de non-concurrence n'avait pas pour effet d'associer la clause restrictive à un contrat de travail.

Le caractère raisonnable des clauses

La Cour suprême a ensuite examiné la question de savoir si les clauses de non-concurrence et de non-sollicitation étaient raisonnables.  La Cour a indiqué que dans un contexte commercial, il incombe au vendeur d'établir que les clauses n'étaient pas raisonnables. Pour évaluer le caractère raisonnable des clauses, les facteurs suivants ont été pris en considération : le prix de vente, la nature des activités de l’entreprise, l’expérience et l’expertise des parties, le fait que celles-ci ont eu accès aux services de conseillers juridiques et autres professionnels, et les circonstances liées aux négociations.

Payette n'a pas réussi à s'acquitter du fardeau de la preuve en l'espèce. Le fait qu'il a reconnu dans l'entente en cause que les clauses étaient raisonnables n'a pas été déterminant. Mais il s'agit d'un facteur dont on a tenu compte pour évaluer la validité des clauses. Bien que « la très grande majorité » des activités du Groupe Fortier avaient lieu dans la grande région de Montréal, le fait que la clause s'appliquait à tout le Québec ne l'a pas rendue déraisonnable en raison de la nature particulière de l’industrie de la location de grues, notamment le fait que les grues sont mobiles.

En ce qui concerne la clause de non-sollicitation, la Cour a soutenu qu'elle était applicable malgré l'absence de limites territoriales. Bien qu'il soit nécessaire d'appliquer de telles limites dans le cas d'une clause de non-concurrence, cela ne vaut pas pour une clause de non-sollicitation. Cela s'explique entre autres par les raisons suivantes : l'application de la clause de non-sollicitation à un éventail plus restreint d'activités; le fait que des limites s'appliquant à cette clause peuvent être facilement établies en analysant les employés et les clients cibles; et le constat selon lequel les clients ne sont plus assujettis à des contraintes d'ordre géographique dans une économie moderne.

Conclusion

Cette décision confirme l'importance de protéger les intérêts légitimes de l'acheteur dans le contexte d'une vente d'entreprise en tirant profit de l'applicabilité des clauses restrictives. Évidemment, cela ne soustrait pas ces clauses à des examens judiciaires. Cette cause forme aussi un complément intéressant à la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Martin v. ConCreate USL Limited Partnership, publiée plus tôt cette année (et analysée dans les Actualités Osler du 7 février 2013). Dans cette décision, la Cour a jugé que les clauses restrictives adoptées dans le cadre de la vente d'une entreprise étaient inapplicables même si elles étaient peut-être de plus courte durée. Mais cela était imputable à des modalités inhabituelles faisant partie de ces clauses et à cause desquelles il n'était pas possible de fixer une durée limite claire. Or les faits donnent à penser qu'il n'y avait pas de tel problème dans l'affaire Payette c. Guay.

 

Par Silvana Conte, David Stamp, Jean-François Forget, Gerard Kennedy