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Un placement privé maintenu dans le contexte d’une offre hostile

Auteur(s) : Jeremy Fraiberg, Alex Gorka, Robert M. Yalden

9 novembre 2015

Le 3 novembre 2015, la British Columbia Securities Commission (BCSC) a publié les motifs de sa décision dans l’affaire Red Eagle, affirmant que les sociétés cibles pouvaient conclure des placements privés avec un chevalier blanc dans le contexte d’une offre hostile, si le besoin de financement est légitime et si le placement privé ne se veut pas une mesure de défense ayant pour but de contrecarrer l’offre concurrente.

Il est à noter que les motifs tiennent compte des tensions de longue date entre les questions relatives aux obligations fiduciaires prévues par les lois sur les sociétés et le point de vue des autorités en valeurs mobilières sur les mesures de défense. Dans son Document de consultation daté du 14 mars 2013, l’Autorité des marchés financiers du Québec (AMF) a mis en lumière les tensions en question; l’AMF y notait que la décision du Bureau de décision et révision de prononcer une ordonnance d’interdiction d’opérations relativement au placement privé que Fibrek a conclu en faveur d’un chevalier blanc avait incité certains observateurs à suggérer qu’il était temps de réévaluer l’approche des autorités en valeurs mobilières à l’égard des mesures de défense. Toutefois, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ne se sont pas penchées sur les mesures de défense lorsque, plus tôt cette année, elles ont proposé d’apporter des modifications importantes au régime canadien des offres publiques d’achat.

Le 16 juin 2015, Red Eagle Mining Corporation a présenté une offre publique d’achat par voie d’échange d’actions hostile à CB Gold Inc. Ensuite, CB Gold a annoncé un placement privé de 3,5 millions de dollars, qu’elle a subséquemment annulé par suite des procédures intentées par Red Eagle en application de la réglementation.

Le 24 juillet 2015, CB Gold et Batero Gold Corp. ont conclu une convention de soutien aux termes de laquelle Batero a convenu de présenter une offre publique d’achat en espèces et en actions à CB Gold. Au même moment, Batero a convenu de verser 575 000 $ à CB Gold dans le cadre d’un placement privé d’actions à 0,05 $ chacune, ce qui correspondait à la valeur implicite de l’offre de Batero. La Bourse de croissance TSX a approuvé sous condition le placement privé, qui a été conclu ultérieurement le 24 juillet 2015.

Ensuite, Red Eagle a contesté le placement privé devant la BCSC, ainsi que le régime de droits de CB Gold, que celle-ci avait conservé pour faire concorder dans le temps les offres de Batero et de Red Eagle. Dans le cadre de cette contestation, Red Eagle a fait valoir que le placement privé devait faire l’objet d’une ordonnance d’interdiction d’opérations parce qu’il constituait une mesure de défense inappropriée qui violait la législation en valeurs mobilières et était contraire à l’intérêt public.

En rejetant les arguments de Red Eagle, la BCSC a souligné que les autorités en valeurs mobilières faisaient face aux questions suivantes lorsqu’elles examinaient la légitimité d’un placement privé dans le contexte d’une offre publique d’achat hostile :

  • Ces affaires « mélangent » ensemble diverses questions juridiques et réglementaires et créent des tensions entre les questions relatives aux obligations fiduciaires du conseil d’administration de l’émetteur prévues par les lois sur les sociétés (et la considération conséquente à accorder au conseil d’administration en application de la doctrine du jugement d’affaires) et le point de vue des autorités en valeurs mobilières sur les mesures de défense.
  • Puisque les placements privés requièrent l’approbation de la bourse de l’émetteur, un arbitrage réglementaire est toujours possible, puisqu’une demande d’ordonnance d’interdiction d’opérations ou de résolution du placement privé pourrait constituer une révision de la décision de la bourse ou une nouvelle audience, qui sont assujetties à des normes d’examen différentes.
  • Les placements privés conclus soulèvent la question de savoir quels recours sont à la disposition des commissions des valeurs mobilières (par opposition aux tribunaux), qui peut être embrouillée par les difficultés financières de l’émetteur ou le fait que l’émetteur a déjà dépensé le produit tiré du financement.

La BCSC a jugé que, de toute évidence, CB Gold avait besoin du placement privé pour ses activités de financement continues et que le placement privé ne constituait pas une mesure de défense. Elle a également conclu que le placement privé n’avait pas pour effet d’empêcher les actionnaires de CB Gold de remettre leurs actions en réponse à l’offre de Red Eagle, contrairement à ce qu’elle avait décidé dans l’affaire Inmet Mining and Petaquilla Minerals Ltd., où elle avait prononcé une ordonnance d’interdiction d’opérations à l’égard du placement privé proposé par Petaquilla pour le motif que celui‑ci pouvait avoir pour effet d’empêcher les actionnaires de Petaquilla de remettre leurs actions en réponse à l’offre d’Inmet.

En ce qui concerne sa compétence en matière d’intérêt public, la BCSC a fait remarquer qu’elle pouvait l’exercer pour passer outre la doctrine du jugement d’affaires et frapper d’une interdiction d’opérations le placement privé qui modifie de façon inappropriée la dynamique de base d’une opération de fusion et d’acquisition. À la suite de la décision de l’Alberta Securities Commission dans l’affaire ARC Equity Management (Fund 4) Ltd. portant sur un placement privé contesté dans le contexte d’une opération de fusion et d’acquisition, la BCSC a fait remarquer que les autorités en valeurs mobilières devraient prendre les précautions qui s’imposent dans ce domaine et qu’elles devraient bloquer un placement privé uniquement lorsqu’il est clair que l’on abuse des actionnaires de la société cible et/ou des marchés financiers, ce qui n’était pas le cas ici.

La décision dans l’affaire Red Eagle constitue une affirmation importante et bienvenue que les placements privés peuvent être réalisés pour des raisons légitimes de financement dans le contexte d’une opération de fusion et d’acquisition et fournit une évaluation réfléchie des difficultés auxquelles les tribunaux en valeurs mobilières font face lorsqu’ils cherchent un équilibre entre les diverses questions juridiques et réglementaires soulevées par de telles affaires. Il reste à voir si les ACVM tiendront compte également de ces questions dans le cadre de l’examen approfondi des mesures de défense.