Le régime de droits tactique contrecarre le recours aux conventions de dépôt ou la dispense de 5 % risque d’entraîner une interdiction immédiate d’opérations : Dans ce qui constitue sans nul doute la partie la plus importante de leur décision, les Commissions ont conclu que le régime de droits des actionnaires tactique que le conseil d’administration (le Conseil) de CanniMed avait adopté à la suite de l’OPA hostile d’Aurora posait problème et devrait donc faire l’objet d’une interdiction immédiate d’opérations. Les Commissions ont noté, dès le début de leur décision, qu’il était inapproprié, dans ce contexte, d’invoquer leur autorité en matière d’intérêt public pour interdire à Aurora de se prévaloir de la dispense en vue d’acquérir jusqu’à 5 % des actions de CanniMed dans le cadre d’opérations courantes pendant que l’offre d’Aurora était en cours (la dispense de 5 %), tout en reconnaissant qu’il pourrait y avoir d’autres cas où le recours à la dispense de 5 % serait dans l’intérêt public (p. ex. dans les cas où le fait de s’en prévaloir saperait les politiques sous-jacentes au nouveau régime des OPA). Se penchant sur le régime de droits de CanniMed, les Commissions ont estimé troublant que, dans des circonstances où elles avaient déterminé qu’il n’était pas dans l’intérêt public d’interdire à Aurora de se prévaloir de la dispense de 5 %, le régime de droits considérait que les actions assujetties à la convention de dépôt étaient la propriété véritable d’Aurora, de sorte qu’Aurora ne pouvait pas recourir à la dispense de 5 % pour acquérir les actions ordinaires de CanniMed sans déclencher le régime de droits. Les Commissions ont donné beaucoup de poids à leur conclusion selon laquelle le régime de droits avait été conçu principalement pour protéger l’opération relative à Newstrike et pour résister à l’offre d’Aurora, et qu’il n’était pas destiné à faire obtenir des offres plus élevées.
Fait important, les Commissions ont laissé entendre qu’à la suite des modifications qui ont donné lieu à l’adoption du nouveau régime des OPA, les décisions antérieures de la CVMO relatives aux régimes de droits étaient peu utiles en l’espèce. Elles ont poursuivi en déclarant que les conventions de dépôt constituent non seulement une « caractéristique légitime et reconnue de la planification d’opérations de fusion et d’acquisition au Canada », mais qu’elles sont encore plus importantes dans la planification d’un initiateur depuis l’adoption du nouveau régime des OPA, car les risques liés à la réalisation de l’opération pour un initiateur se sont accrus en raison de la plus longue période pendant laquelle une offre doit demeurer ouverte et de l’incapacité de l’initiateur de renoncer à l’obligation de dépôt minimal. Les Commissions étaient donc d’avis que « ce sera l’un des rares cas où il sera autorisé qu’un régime de droits tactique entrave les caractéristiques reconnues du régime d’offres publiques d’achat, telles que l’occasion, pour les initiateurs et les actionnaires, de prendre des décisions dans leur propre intérêt concernant le fait de céder leurs actions ou non en concluant une convention de dépôt du genre de celle dont il est question en l’espèce ». De plus, les Commissions ont déclaré que les régimes de droits tactiques « ne devraient généralement pas être utilisés pour établir que des initiateurs ont la propriété véritable d’actions assujetties à une convention de dépôt, dans des circonstances où ils ne seraient pas réputés être des personnes agissant de concert, aux termes des règles applicables ».
Les émetteurs et leurs conseillers devront tenir compte de la détermination avec laquelle les Commissions se sont objectées au recours au régime de droits tactique pour restreindre la capacité d’un initiateur hostile à conclure des conventions de dépôt quelles qu’elles soient, ou à se prévaloir de la dispense de 5 %. En fait, les commentaires des Commissions à cet égard dépassent le cadre de ce qu’il fallait trancher en l’espèce et soulèvent d’importantes questions. C’est d’autant plus vrai que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont évité toute discussion sur leur propre opinion quant aux répercussions du nouveau régime des OPA sur les mesures de défense lors de l’adoption de ce régime.
Depuis quelque deux décennies, les régimes de droits établissent une distinction entre les conventions de dépôt « souples » et les conventions « irrévocables » (entre les conventions qui permettent aux actionnaires de déposer leurs titres en faveur d’une offre plus élevée et celles qui ne l’autorisent pas); ces régimes permettent habituellement les conventions de dépôt souples, mais restreignent le recours aux conventions irrévocables. C’est là le résultat d’années de négociations entre les émetteurs et Fairvest (qui fait maintenant partie d’ISS), et cela représente un compromis bien accepté entre les émetteurs et les investisseurs institutionnels, destiné à permettre aux conseils d’administration d’attirer des offres concurrentes, tout en autorisant un éventail de conventions de dépôt qui inciteront les initiateurs à faire des offres. Il n’est pas clair si les Commissions ont conclu que ce terrain d’entente n’était plus acceptable, particulièrement dans les situations où la société visée par une OPA hostile décide de solliciter des offres concurrentes. On ignore également si le fait que les sociétés cibles disposent dorénavant de plus de temps pour réagir à une offre qu’elles n’en avaient avant l’adoption du nouveau régime des OPA change fondamentalement le raisonnement sous-jacent au compromis précédemment accepté. À cet égard, nous constatons que la décision ne tient pas compte du fait que le régime de droits tactique de CanniMed était inhabituel, car il n’établissait aucune distinction entre les conventions de dépôt irrévocables et les conventions de dépôt souples. En fait, contrairement à bien des régimes de droits tactiques (et à tous les régimes de droits approuvés par les actionnaires et en conformité avec l’ISS) qui autorisent les conventions de dépôt souples, le régime de droits de CanniMed considérait que les actions faisant l’objet d’une convention de dépôt étaient la propriété véritable de l’initiateur.
Les régimes de droits tactiques et les régimes de droits approuvés par les actionnaires ont longtemps eu pour effet de restreindre l’accès à la dispense de 5 %, alors qu’ils permettaient à un initiateur d’acquérir plus de 20 % des actions des sociétés ciblées autrement que dans le cadre d’une offre permise. Parallèlement, les régimes de droits n’ont pas empêché l’accès à la dispense de 5 % si un initiateur n’en arrivait pas ainsi à contrôler plus de 20 % des actions de la société ciblée, que ce soit directement ou par le recours à des conventions de dépôt. C’est également conforme à la restriction que les régimes de droits ont longtemps imposée aux dispenses dans le cadre d’offres publiques d’achat et qui pourrait être utilisée pour dépasser le seuil de 20 % avant de lancer une offre, comme la dispense aux termes de contrats de gré à gré. Il y aura certainement des circonstances dans lesquelles le recours à la dispense de 5 % par un initiateur contrôlant un important bloc d’actions par participation directe ou au moyen de conventions de dépôt irrévocables pourrait rendre pratiquement impossible pour un autre initiateur de faire accepter son offre, ce qui compromettrait toute tentative de la part de la société ciblée de tenir une enchère significative. Il sera intéressant de voir si les autorités en valeurs mobilières placées dans une situation de ce genre seront plus favorables au recours à un régime de droits pour restreindre l’utilisation de la dispense de 5 %, ou si elles seront plus réceptives aux arguments de l’intérêt public en faveur de l’interdiction, pour un initiateur, de se prévaloir de la dispense de 5 %. Ce qui est particulièrement intéressant à cet égard sera la position que l’Autorité des marchés financiers (« l’AMF », soit l’autorité en valeurs mobilières du Québec) prendra, étant donné que l’AMF a établi clairement, dans un document de consultation publié en 2013, qu’elle était beaucoup plus ouverte aux mesures de défense que les autres membres de l’ACVM.
Cette situation comportait l’adoption d’un régime de droits tactique en réponse à une offre publique d’achat hostile appuyée par plus du tiers des actions émises et en circulation de la société ciblée. Cependant, même après l’instauration du nouveau régime des OPA, de nombreux émetteurs ont continué à adopter des régimes de droits approuvés par les actionnaires lorsqu’ils ne font pas l’objet d’une offre, et ces régimes de droits ont très souvent reçu un fort appui de la part des actionnaires lorsqu’ils ont été présentés pour ratification (c.-à-d. dans les six mois suivant leur adoption, conformément aux exigences applicables de la TSX). Avant la décision Aurora, les régimes de droits approuvés par les actionnaires étaient rarement contestés au début d’une offre. Ils faisaient habituellement plutôt l’objet d’une interdiction immédiate d’opérations, lorsque l’offre était en cours depuis 50 à 70 jours. Cela signifie qu’ils servaient à restreindre les conventions de dépôt irrévocables et l’accès à la dispense de 5 % pendant 50 à 70 jours. Les émetteurs et leurs conseillers devront dorénavant déterminer si la décision Aurora signifie que les régimes de droits approuvés par des actionnaires seront plus vulnérables aux tentatives d’interdiction immédiate d’opérations au début de la période d’ouverture, dans des circonstances où l’initiateur peut démontrer que le régime de droits restreint la capacité de l’initiateur à conclure une convention de dépôt ou à avoir accès à la dispense de 5 %. Il faudra réfléchir sérieusement au poids que les commissions de valeurs mobilières peuvent accorder au fait que les actionnaires ont approuvé ces restrictions et que l’initiateur les connaît avant qu’il lance une offre publique d’achat (par opposition à un régime de droits tactique adopté sans l’approbation des actionnaires, et en réponse à une offre).
Il était à prévoir que l’incapacité de l’ACVM, entre 2013 et 2016, à en venir à un consensus sur l’approche appropriée de la réglementation relative aux mesures de défense laisserait de nombreuses questions en suspens une fois que le nouveau régime des OPA serait en vigueur. L’intensité avec laquelle les Commissions, dans la décision Aurora, critiquent le recours à un plan tactique, et les nombreuses questions que soulève cette décision, donnent à penser qu’il est fort souhaitable que l’ACVM n’abandonne pas les efforts visant l’atteinte d’une position unifiée à l’égard du rôle que les mesures de défense devraient jouer à la lumière du nouveau régime des OPA.