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Tendances dans le secteur minier : opérations de placement stratégiques

Auteur(s) : Alan Hutchison, James R. Brown, Patrick Sullivan

Le 2 octobre 2018

L’incertitude macroéconomique et la spéculation sur les guerres commerciales ont mis à rude épreuve les prix des marchandises et le secteur minier dernièrement. Ce sont les petites sociétés sans actif en exploitation qui en ont particulièrement ressenti les effets, car les financiers et le marché financier libre sont réticents à courir des risques en matière d’exploration ou de mise en valeur, étant donné l’accroissement de l’incertitude. Heureusement, pour les entreprises qui ont des projets d’exploration convaincants, il existe un bon côté : les grandes sociétés minières passent en revue leurs portefeuilles de réserves et de ressources ainsi que leurs listes de projets, et elles commencent à réinvestir au terme de près d’une décennie de compressions budgétaires. Bien qu’il subsiste des réticences à faire preuve d’audace en matière d’acquisitions (la rigueur financière est encore en tête de liste des priorités des grandes sociétés minières), on a constaté un certain nombre d’opérations de placement stratégique, dans le cadre desquelles de grandes sociétés ont acquis des participations minoritaires (de 5 % à 19,9 %) dans de petites sociétés d’exploration. Ces opérations mènent à des situations avantageuses pour tous, car les petites sociétés reçoivent du financement dont elles ont bien besoin, et les grandes se positionnent en fonction d’occasions futures de projets potentiellement rentables. Par conséquent, nous prévoyons en voir davantage, particulièrement dans le contexte actuel du marché, où les autres occasions de financement sont limitées. 

Voici des exemples récents d’opérations de placement stratégiques : l’acquisition par Hochschild d’une participation de 8,3 % dans Skeena Resources, l’acquisition par Newmont d’une participation de 5 % dans Evrim Resources, l’acquisition par CITIC Metal Co., Ltd. d’une participation de 19,9 % dans Ivanhoe Mines, l’acquisition par Barrick d’une participation de 19,9 % dans Midas Gold, l’acquisition par Goldcorp d’une participation de 12,7 % (avec bons de souscription supplémentaires) dans Mawson Resources, et l’acquisition par Zhaojin International Mining Co., Ltd. d’une participation de 9,9 % dans Sabina Gold & Silver. Le marché a également été la scène d’opérations subséquentes, telles que l’acquisition par South32 d’Arizona Mining, à la suite de son placement original de 17 %, un an plus tôt. 

Facteurs fondamentaux de la réussite des placements stratégiques

On constate, dans un certain nombre d’opérations de placement stratégiques récentes, des éléments communs au secteur des petites sociétés minières. Le critère qui est peut-être le plus important (pour les deux parties) est le profil de la petite société, particulièrement ses actifs et son équipe de direction. En général, les petites sociétés en mesure de trouver une source de financement pour leurs placements stratégiques sont dotées d’une équipe de direction chevronnée et ont au moins un projet qui a le potentiel de retenir l’attention des grandes sociétés : il est à l’échelle du district, il pourrait avoir une teneur économique, et c’est un modèle géologique convaincant. Fait intéressant, bien que le stade de développement du projet ne semble pas un obstacle aux placements stratégiques, il pourrait avoir une incidence sur la taille du placement.

La motivation première des grandes sociétés minières à faire des placements stratégiques est de toucher à un projet attrayant dans une opération à faible risque, plutôt que de procéder à un achat ferme. Essentiellement, la grande société se retrouve aux premières loges des travaux d’exploration et de mise en valeur, avec la possibilité d’influer sur les programmes par la collaboration technique. Cette petite participation initiale peut être avantageuse dans le cadre d’une opération d’acquisition subséquente.

Du point de vue de la petite société, l’avantage d’un placement stratégique est qu’elle pourra réunir des capitaux supplémentaires, presque toujours selon une prime par rapport au marché, d’une façon qui favorise souvent le prix de ses actions et ajoute de la crédibilité au projet et à l’équipe de direction, étant donné sa capacité d’attirer le soutien d’une grande société. Les opérations de placement stratégiques procurent également à la petite société des ressources techniques et autres auxquelles elle n’aurait peut-être pas eu accès autrement.

Les opérations de placement stratégiques ont tendance à fonctionner au mieux dans un contexte de marché où les solutions de financement sont limitées et où l’on n’est pas disposé à conclure une opération ayant un caractère plus permanent, comme une vente ou une coentreprise. 

Principales conditions des placements stratégiques

Les principales conditions des placements stratégiques ont tendance à se généraliser et à s’uniformiser, et répètent, de bien des façons, des éléments des placements stratégiques dans d’autres secteurs. Vous trouverez ci-dessous un résumé de certains des principaux attributs de ces opérations ainsi que les perspectives de l’investisseur et de la société bénéficiaire des investissements. 

Représentation au conseil

Bien que les investisseurs s’abstiennent parfois de siéger au conseil afin d’éviter les conflits lors d’opérations subséquentes, il est courant de voir des investisseurs qui acquièrent une importante participation se faire conférer le droit de nommer au moins un administrateur au conseil de l’entreprise. Dans le cas de placements importants, des ententes peuvent faire état de droits de nomination d’administrateurs multiples, ou exprimer le droit de nomination en tant que pourcentage du nombre d’administrateurs, en fonction des droits de propriété pro forma. Il est également courant de voir des investisseurs prescrire les limites de la taille d’un conseil d’administration afin de maintenir la représentation proportionnelle au conseil qui a été convenue.

Cette pratique est un amalgame de la nomination d’un représentant direct de l’investisseur et de la nomination d’une personne sans lien avec lui, mais qui possède des compétences qui seront précieuses à l’investisseur au sein du conseil d’administration de cette société. Par ailleurs, cela peut atténuer les conflits d’intérêts qui peuvent survenir au sein des conseils, mais pas toujours, si les perspectives des parties divergent quant à l’indépendance d’un candidat particulier. 

Comité technique

Étant donné qu’une plus grande exposition à un projet en particulier est habituellement le principal facteur d’un placement stratégique pour un investisseur, il n’est pas étonnant que le concept de « comité technique » pour les aspects d’exploration et de mise en valeur d’un projet constitue l’une des conditions les plus courantes des placements stratégiques. Les comités techniques offrent habituellement des services-conseils, c’est-à-dire que la société a le dernier mot dans la prise de décisions relatives à des programmes. L’investisseur reçoit des mises à jour périodiques sur les programmes et les résultats prévus, et il peut fournir une expertise spécialisée ou des techniques d’exploration exclusives.

Par l’entremise du comité technique, l’investisseur peut recevoir des droits sur les données du projet qui peuvent augmenter sa connaissance du projet au-delà de ce qui figure dans le dossier d’information de la société destiné au public. 

Protection antidilution

La protection antidilution des investisseurs est pratiquement universelle dans les placements stratégiques. Les conditions des droits de préemption sont habituellement très étendues et portent sur un certain nombre de structures financières différentes, selon lesquelles l’investisseur aura le droit de conserver son pourcentage d’actions dans la société en décidant d’y participer dans des délais prescrits. Compte tenu des précédents sur le marché lors de récentes opérations, ces conditions présentent un assez juste équilibre entre la société et l’investisseur.

L’une des caractéristiques intéressantes des droits antidilution sont les droits de « supplément » selon lesquels l’investisseur a le droit de conserver son pourcentage d’actions une fois que la société a mené à bien l’émission d’actions dilutives qui sont souvent exclues des droits de préemption, tels que la rémunération à base d’actions ou l’utilisation d’actions par la société comme monnaie pour faire des acquisitions. Dans cette situation, l’investisseur aurait le droit d’augmenter sa participation pour atteindre le pourcentage qu’il détenait avant la dilution, au prix courant du marché. Cette disposition évite les frictions entre les parties lors de la négociation d’exclusions aux droits de préemption qui peuvent en diminuer l’utilité. Les droits de « supplément », s’ils sont inclus, sont généralement structurés sur une base trimestrielle (ou sur une autre base peu fréquente) pour éviter le fardeau administratif de l’émission d’actions multiples.   

Restrictions relatives au statu quo

Les dispositions relatives au statu quo, qui restreignent la capacité de l’investisseur à acquérir des actions supplémentaires de la société sur le marché libre ou à présenter une OPA hostile, constituent une protection intégrale pour la société dans des opérations de placement stratégiques. Étant donné que, dans bien des cas, l’investisseur prévoit utiliser le placement stratégique comme éventuel tremplin vers une acquisition intégrale, il importe, pour la société, de conserver le plus de contrôle possible sur un éventuel processus de vente, ce qui permet d’assurer à ses actionnaires un prix équitable lors d’une opération d’acquisition subséquente. Il importe également de signaler aux autres acquéreurs éventuels que l’investissement initial n’écartera pas, ni ne désavantagera, les autres parties intéressées. Les restrictions relatives au statu quo, dans le cadre de placements stratégiques, sont souvent plus exigeantes que celles qui figurent dans les ententes de confidentialité à un stade précoce.

La forme des restrictions relatives au statu quo et les exclusions à ces dispositions sont généralement assez uniformes sur le marché. Cependant, la durée de la disposition relative au statu quo peut varier d’une opération à une autre. Afin qu’elle fonctionne de façon optimale pour les deux parties, la disposition relative au statu quo devrait être en vigueur assez longtemps pour que la société puisse dépenser les produits du placement stratégique ou pour que le projet puisse atteindre l’étape de développement suivante. L’atteinte de cette étape donne habituellement lieu à une divulgation publique totale de tous les faits importants relatifs au projet (dans bien des cas, en déclenchant l’exigence d’un nouveau rapport technique), qui aborde toutes les préoccupations concernant le fait que l’investisseur dispose d’information importante non divulguée à partir de laquelle présenter une offre publique d’achat, et la capacité de la société à uniformiser les règles du jeu en s’assurant que toute l’information importante est du domaine public afin de commercialiser le projet de manière appropriée. 

Restrictions sur la disposition

Alors qu’un placement stratégique par une grande société peut apporter beaucoup de crédibilité à une petite société, la disposition imprévue par un investisseur clé peut avoir l’effet contraire. Par conséquent, un placement stratégique peut être assorti de restrictions sur la disposition de la part de l’investisseur. Différents concepts peuvent être utilisés, en fonction de la taille du placement et de la position de négociation de la société, comme (i) l’exigence d’un préavis; (ii) une restriction empêchant de vendre davantage qu’une partie prescrite du placement au cours d’une période définie; (iii) le droit de la société d’offrir des actions à vendre à un acheteur amical pour éviter qu’un bloc d’actions n’atteigne le prix du marché ou n’aboutisse dans les mains d’un prétendant non désiré.

Du point de vue de l’investisseur, les droits d’inscription peuvent être inclus afin de lui assurer un droit de participation en tant qu’actionnaire vendeur dans le cadre d’un placement par voie de prospectus ou de l’inscription de titres pour faciliter une revente. Ces droits sont rarement exercés, mais offrent différentes options aux investisseurs, ce qui peut justifier l’acceptation de restrictions relatives à la disposition dans l’accord de placement. 

Soutien du vote des actionnaires

Il faut aborder avec prudence le niveau d’appui que les investisseurs conviennent d’accorder à la direction lors des assemblées d’actionnaires. Souvent, les petites sociétés font pression pour l’adoption de ces conditions en tant que mécanismes de défense contre les offres publiques d’achat et en vue d’assurer qu’un actionnaire important n’use pas de son droit de vote pour faire obstacle à la direction ou afin d’éviter que ce droit soit utilisé par d’autres actionnaires dissidents pour monter une campagne contre la direction. En général, les grandes sociétés sont réticentes à être des actionnaires activistes en raison des risques à leur réputation, mais les parties devraient s’assurer que les conditions d’appui de tout actionnaire sont raisonnables et ne donnent pas lieu à un bloc de contrôle qui aurait un effet négatif sur les pratiques de gouvernance de la société et opposerait le conseil en place à la direction. C’est également quelque chose qui pourrait susciter des examens supplémentaires de la part des organismes de réglementation désireux de s’assurer que les intérêts des actionnaires minoritaires ne subissent pas d’effets négatifs en l’absence d’un vote des actionnaires pour approuver l’opération. 

Droits relatifs à un projet axés sur l’avenir

L’un des aspects qui est peut-être le plus personnalisé des placements stratégiques touche les dispositions (le cas échéant) sur les droits futurs relatifs au développement de projet. Lorsqu’elles sont prévues, ces dispositions peuvent aller de vastes déclarations d’intention (qui peuvent créer des problèmes relatifs au caractère exécutoire pour les deux parties) à des droits bien précis. En voici des exemples : le droit d’obtenir ou d’assurer le financement du projet par emprunt, le droit de se retirer du projet, ou le droit d’avoir des intérêts particuliers comme le droit de première offre ou de premier refus à l’égard du projet. Ce qui importe, c’est d’assurer que les droits sont bien compris par les deux parties et que celles-ci se sont penchées sur les ramifications à long terme de ces conditions. Ces droits peuvent être appariés à des dispositions sur les domaines d’intérêt afin de protéger la société contre le fait que l’investisseur puisse acquérir des terrains à proximité du projet de la société. 

Conclusion

À court terme, nous prévoyons un accroissement des placements stratégiques dans le secteur minier, d’autant plus que les fonds d’investissement privé veulent investir, avec de grandes sociétés, dans des projets de développement à un stade avancé. L’accès aux capitaux étant encore plutôt restreint sur le marché actuel, cela devrait constituer une évolution positive. Après tout, les petites sociétés ont besoin d’avoir accès à des capitaux pour favoriser les découvertes, et la façon la plus facile pour les grandes sociétés d’augmenter leurs ressources et leur liste de projets est d’acquérir de petites sociétés. Les placements stratégiques pourraient stimuler les deux aspects du secteur minier, ce qui pourrait revigorer les marchés miniers dans leur ensemble.

Entre-temps, les parties qui envisagent une opération de placement stratégique devraient se familiariser avec les conditions courantes afin de se positionner au mieux pour réussir.