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Cinq erreurs fréquentes dans les contrats de construction

Auteur(s) : Elliot A. Smith, Jagriti Singh

Le 16 juillet 2019

Dans ce bulletin d’actualités

  • Définir les cinq erreurs fréquentes dans les contrats de construction
  • Déterminer les risques et les conséquences de telles erreurs
  • Offrir des modèles de contrat et autres solutions pour les éviter

Elliot Smith, associé du groupe Construction et infrastructure d’Osler, est ingénieur et possède plus de 10 ans d’expérience en négociation de contrats de construction. Il a récemment écrit un guide exhaustif, The Canadian Construction Contracts Guidebook, dans le but d’aider quiconque devant négocier un contrat de construction – avocats, propriétaires, entrepreneurs, consultants – dans le cadre d’un projet de construction.

Le contrat de construction est l’outil qui balise la relation entre un propriétaire et son entrepreneur ou directeur des travaux. Ce type de contrat demande réflexion, négociation et rédaction rigoureuses, car en plus de définir la relation entre les parties, il donne des précisions sur le projet, répartit les risques et prévoit les mécanismes pour les atténuer. Qu’il s’agisse de simples rénovations résidentielles ou d’un grand projet d’infrastructure, les parties vont généralement conclure une forme ou une autre de contrat écrit. Cela dit, nous y voyons trop souvent les erreurs suivantes.

1re erreur – Contrat à prix fixe ou à prix coûtant majoré?

Les contrats de construction à prix fixe sont les plus courants. Dès le début du projet, le propriétaire en connaît le coût avec une grande certitude. Cela signifie que le propriétaire et l’entrepreneur s’entendent sur les travaux à effectuer et conviennent d’un prix. Il existe donc peu de possibilités que l’entrepreneur puisse y apporter un changement. Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous voyons souvent des contrats de construction flous – on ne sait pas vraiment s’ils sont à prix fixe ou à prix coûtant majoré.

Souvent, lorsqu’on fait appel à l’entrepreneur à la phase de la conception pour qu’il participe à la définition et à l’estimation des travaux, ce à la fin de la phase de conception qu’il présente son estimation finale du coût du projet. D’habitude, ces estimations tiennent compte de la tarification des sous-contractants, des imprévus, des travaux effectués par le propriétaire ou des conditions de travail générales, et d’une majoration pour couvrir les coûts indirects et générer des profits. En règle générale, le propriétaire va simplement « approuver » l’estimation en la signant au dos ou en produisant un bon de commande. Dans ces cas, la modalité commerciale de base – à savoir qu’il s’agit ou non d’un contrat à prix fixe – ne s’y trouve pas et le contexte n’est pas plus éclairant. Est-ce que le prix est un « budget prévisionnel » ou bien un prix fixe? Qui conservera l’argent des imprévus s’il n’y en a pas et qui paiera les dépassements de coûts? Même si on leur posait la question, les parties ne sauraient pas nécessairement ce dont elles ont convenu.

Ce flou peut mener à d’importants différends si le coût du projet est nettement supérieur (ou inférieur) au prix convenu. Lorsque les parties ne savent pas trop ce qu’elles ont accepté au début du projet et qu’il est évident que le projet coûtera plus cher – ou moins cher – que le prix convenu, le propriétaire et l’entrepreneur vont naturellement penser que le contrat est à prix fixe ou remboursable, selon que l’écart leur soit favorable ou défavorable.

Les parties éviteraient facilement ce problème si elles concluaient un contrat en bonne et due forme, plutôt que de signer le dos de l’estimation de l’entrepreneur ou de produire un bon de commande. Même le contrat de construction le plus court donnerait de l’information claire à ce sujet. Si, pour une raison ou une autre, le propriétaire et l’entrepreneur ne peuvent pas conclure un tel contrat, ils devraient au moins indiquer clairement, sur le document (peu importe la forme), que le prix est fixe ou qu’il ne s’agit que d’une estimation.

2e erreur – Mauvaise application de la loi

Souvent, les parties contreviennent à la Loi sur la construction de l’Ontario et à toute loi similaire sur les privilèges d’autres provinces de l’une de ces trois façons : ils croient à tort qu’ils peuvent se soustraire à la loi; ils tentent de contourner la loi applicable à leur projet (p. ex., en changeant le pourcentage des retenues ou la durée des privilèges); ou ils tentent de se conformer à la loi, mais l’interprètent mal. Ces situations surviennent généralement lorsque les parties décident d’utiliser un modèle de contrat standard d’un autre territoire de compétence (p. ex., d’un état américain qui autorise la renonciation des privilèges, dispositions qui sont habituellement non exécutoires au Canada), ou d’éviter la loi sur les privilèges applicable parce qu’il serait préférable de le faire d’un point de vue commercial.

Ce genre de problèmes devraient se multiplier en Ontario, étant donné l’entrée en vigueur (1er octobre 2019) des mesures relatives au paiement rapide et au processus d’arbitrage obligatoire en vertu de la nouvelle Loi sur la construction. Ces nouvelles dispositions imposent des obligations plus normatives aux parties d’un projet de construction, et il n’est généralement pas possible de s’y soustraire.

Une application erronée d’une loi sur les privilèges – peu importe la raison – comporte un risque réel pour les parties. Les tiers (sous-contractants, fournisseurs, etc.) ne seront certainement pas tenus de se soumettre à toute tentative d’entorse à la loi, et même les parties à l’entente pourraient changer d’avis advenant un imprévu durant le projet. Les tribunaux n’entérineront pas des dispositions contractuelles qui contreviennent à une loi sur les privilèges. Par exemple, un propriétaire et un entrepreneur pourraient convenir, par contrat, de la renonciation aux privilèges en échange de la levée des retenues. Or, si le projet tourne au vinaigre et que l’entrepreneur estime que le propriétaire lui doit de l’argent, ce dernier aura peu de recours pour empêcher l’enregistrement d’un privilège. Étant donné que le propriétaire a renoncé aux retenues, il n’aura pas les fonds pour obtenir une mainlevée. Et même si le propriétaire et l’entrepreneur respectaient leurs engagements (encore qu’ils ne soient pas exécutoires), un sous-contractant pourrait toujours grever le bien d’un privilège. Le propriétaire ne serait donc pas plus avancé, en n’ayant pas les fonds de la retenue.

Cette situation pourrait être évitée avec un modèle de contrat canadien qui tiendrait compte de toutes les exigences légales pertinentes. Il n’y aurait pas d’écart sans confirmation claire que la loi pertinente l’autorise. L’avocat-conseil devrait toujours être consulté avant que ne soit utilisé un modèle de contrat propre à un autre territoire.

3e erreur – Paiement initial excessif par les propriétaires

À la demande des entrepreneurs, les propriétaires acceptent souvent de leur verser une somme initiale substantielle, dans le but de réduire le risque de défaut de paiement pour l’entrepreneur et d’augmenter le fonds de roulement du projet (et, ainsi, réduire les coûts du propriétaire). Cette façon de faire comporte deux risques pour le propriétaire. D’abord, le propriétaire assume le risque de crédit de l’entrepreneur, en lui versant de l’argent avant même d’avoir reçu les biens et services. Ensuite, si l’entrepreneur ne respecte pas le contrat ou que les travaux ne sont pas satisfaisants, le propriétaire n’aura pas l’option de lui donner moins d’argent que prévu et il pourrait devoir courir après l’entrepreneur pour récupérer les fonds qu’il lui doit.

Les propriétaires peuvent atténuer ce risque en réduisant, dans la mesure du possible, le paiement initial. Il est souvent dans l’intérêt du propriétaire de prendre le fonds de roulement à sa charge contre un versement initial moindre (ou nul), pour ainsi assumer un risque de crédit moindre. Lorsque le projet nécessite des matériaux à long délai de livraison pour lesquels est exigé un dépôt pour en commencer la fabrication, le propriétaire pourrait décider de payer directement les fournisseurs, peu importe qui achète les matériaux (lui ou l’entrepreneur). Le propriétaire assume certes le risque de crédit du fournisseur. Cependant, ce risque est réparti entre plusieurs fournisseurs et ne se limite plus à un seul entrepreneur.

Lorsqu’il y a versement initial, le propriétaire devrait envisager d’obtenir une sûreté sous forme de lettre de crédit ou d’une garantie offerte par la société mère ou d’exiger un cautionnement de paiement de l’entrepreneur pour réduire le risque. De plus, le moment d’utiliser cet argent devrait être précisé – aux premières étapes importantes, à la dernière étape, tout au long du projet. Du point de vue du propriétaire, plus vite le versement initial est appliqué à une étape importante, moins grand est le risque associé à ce versement.

4e erreur – Recours imprécis en cas de retard

Les projets sont souvent retardés pour différentes raisons. Or, les contrats de construction prévoient rarement les recours pour de tels retards, notamment des dommages-intérêts convenus. Ils peuvent aussi contenir des dispositions contradictoires quant aux conséquences d’un retard. Il arrive parfois qu’il y ait une clause de dommages-intérêts convenus, que les parties considèrent comme une « estimation préalable véritable des dommages subis par le propriétaire advenant un retard ». Toutefois, la clause ira aussi jusqu’à dire qu’aucuns dommages-intérêts convenus ne seront versés si le propriétaire n’a subi aucun dommage (disposition de type « ni préjudice ni faute »). Séparément, ces approches sont pratiques, mais, combinées, elles changent la nature des dommages-intérêts convenus : au lieu de les fixer à l’avance, on plafonne tout dommage éventuel.

Lors de la négociation d’un contrat, les parties devraient toujours réfléchir aux conséquences d’un retard de livraison du projet par l’entrepreneur. Sont-elles responsables des dommages-intérêts fixés à l’avance? Si oui, s’agit-il du seul et unique recours? Ces dommages-intérêts convenus sont-ils plafonnés ou limités? S’agit-il du « seul et unique » recours du propriétaire à l’égard des retards, même si le plafond est atteint? En présence de dommages-intérêts convenus et d’un plafond exprimé en pourcentage du prix du contrat, les propriétaires devraient diviser le plafond par le taux quotidien (ou toute autre période), afin de déterminer le nombre de jours avant d’atteindre le plafond et de comprendre ce que cela veut dire dans le cadre d’un projet bien précis.

Les entrepreneurs n’aiment pas trop ce type de dommages-intérêts et les jugent favorables aux propriétaires. Dans les faits, ils peuvent favoriser les deux parties. En l’absence de montant et de plafond des dommages-intérêts convenus, il arrive parfois que l’entrepreneur s’expose à des réclamations en dommages-intérêts plus élevés pour violation de contrat, c’est-à-dire pour n’avoir pu réaliser une bonne partie des travaux avant la date garantie.

5e erreur – Clause de garantie incomplète

Une garantie est une obligation contractuelle servant à remédier aux défauts dans les travaux qui deviennent apparents à la livraison du projet au propriétaire. Généralement, les clauses de garantie stipulent la durée de la garantie. Cependant, il arrive qu’elles soient brèves sans préciser d’autres éléments importants, à savoir l’obligation de l’entrepreneur de retirer ou de remplacer une pièce défectueuse, la responsabilité d’assurer le transport de retour et l’existence d’une garantie prolongée sur les travaux de réparation garantis. Il arrive parfois qu’une garantie puisse être désignée comme une « garantie de 12 mois », sans préciser le début de la période. C’est parfois évident, mais dans certains cas, on ne peut pas vraiment savoir si elle commence au moment de l’installation ou à partir du début de l’utilisation. Par exemple, dans le cadre d’un projet de rénovation résidentielle, il se peut que des électroménagers soient achetés six mois avant la fin des travaux. Si la garantie des électroménagers n’est que de 12 mois à partir de la livraison, le propriétaire pourrait en fait ne jouir que d’une protection de six mois.

Les parties prenant part à un contrat de construction ne devraient jamais négliger la garantie. Elles doivent définir leurs attentes à l’égard des défauts et déterminer si la clause répond à ces attentes.

Conclusion

Ce ne sont là que quelques exemples des erreurs que l’on voit le plus fréquemment dans les contrats de construction. Un contrat contenant ces erreurs peut être utilisé dans le cadre de nombreux projets sans qu’il arrive quoi que ce soit, puisque ce n’est qu’en cas de problèmes graves que les parties liront le contrat écrit. Cependant, c’est à ce moment-là que ces erreurs peuvent mener à des litiges longs et coûteux, alors qu’ils auraient pu être évités si le contrat avait été clair dès le départ.

Le groupe de pratique du droit de la construction possède une vaste expérience en rédaction de contrats. Nos avocats seront heureux de vous accompagner lors de la négociation, de la rédaction et de l’analyse de contrats.