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Le coronavirus est-il un cas de force majeure aux termes de votre contrat de projet?

Auteur(s) : Elliot A. Smith, Danna Donald, Jagriti Singh

Le 4 mars 2020

Pour de plus amples renseignements sur les modifications ci-dessous, veuillez communiquer avec l’un des auteurs ci-dessus ou avec un membre de notre groupe national du droit de la construction et des infrastructures ou groupe de litige.

Dans ce bulletin d’actualités

  • Vérifier si l’éclosion de la maladie à coronavirus (COVID-19) est un cas de force majeure ou non aux termes de vos contrats de projet.
  • Évaluer les conséquences d’un cas de force majeure aux termes de vos contrats de projet ainsi que les retombées potentielles sur les ententes de financement de projet.

Le Conseil chinois de promotion du commerce international (CCPCI) a émis plus de 1 600 certificats de force majeure dans l’objectif de protéger les entreprises issues de 30 secteurs contre des dommages survenant dans le cadre de leurs contrats à cause de l’épidémie de COVID-19. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) : « Les coronavirus forment une vaste famille de virus qui peuvent être pathogènes chez l’homme et chez l’animal.   On sait que, chez l’être humain, plusieurs coronavirus peuvent entraîner des infections respiratoires dont les manifestations vont du simple rhume à des maladies plus graves comme le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) et le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Le dernier coronavirus qui a été découvert est responsable de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19). » L’épidémie de COVID-19 a éclaté à Wuhan, en Chine, en décembre 2019, et s’est maintenant propagée presque partout dans le monde.

Si le certificat émis par le CCPCI peut être reconnu par certaines parties, c’est l’entente soumise à l’examen qui constitue le document principal permettant d’établir si le COVID-19 est un cas de force majeure ou non. Voici les principaux points à considérer lorsque vous examinerez vos obligations contractuelles à l’égard du COVID-19.

Point 1 : Définition de force majeure

La définition contractuelle d’un cas de force majeur comprend généralement une liste d’éléments qui ne sont pas anticipés à la date du contrat, qui sont indépendants de la volonté de la partie, qui ne sont pas provoqués directement ou indirectement par la faute ou la négligence de la partie qui cherche dédommagement, et qui empêchent ou retardent la partie concernée d’exécuter ses obligations contractuelles. Souvent, mais pas systématiquement, cette liste mentionne de façon plus précise l’« épidémie » et, parfois, la « pandémie » à titre de cas de force majeure. Les formes d’ententes de la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité (SIERE), par exemple, comportent une référence explicite au terme « épidémie » dans sa définition de cas de force majeure. Cette terminologie est utilisée depuis le premier approvisionnement de la centrale électrique du prédécesseur de la SIERE, l’Office de l’électricité de l’Ontario, il y a de cela presque 15 ans. Elle a par la suite été adoptée par d’autres territoires, notamment l’Alberta qui a mis au point ses formes d’ententes en se fondant sur celles de la SIERE. Puisqu’il est généralement de bon aloi pour les propriétaires de reprendre les clauses de force majeures de leurs contrats d’approvisionnement dans leurs contrats de construction, l’utilisation de la terminologie relative aux forces majeures de la SIERE est devenue courante dans les contrats de construction partout au Canada. Ainsi, de nombreux contrats de construction comportent expressément l’épidémie à titre de cas de force majeure, et pourraient donc prévoir des dédommagements pour les répercussions entraînées par le COVID-19.

Certaines définitions de « cas de force majeure » ne font pas précisément référence aux termes d’épidémie ou de pandémie. C’est le cas, par exemple, de la définition du contrat à forfait (CCDC 2) et du contrat de gérance de construction (CCDC 5B) du Comité canadien des documents de construction. Selon ces définitions, le COVID-19 pourrait être admissible en tant que force majeure dans la mesure où le libellé de la définition n’est pas limité et englobe toute cause qui est indépendante de la volonté de la partie (comme dans les documents du CCDC).

Dans les deux cas, même si le COVID-19 répond à la définition contractuelle de cas de force majeure, il sera aussi important de confirmer s’il existe une exclusion contractuelle qui pourrait s’appliquer au cas dont il est question, et si d’autres exigences contractuelles sont respectées. Par exemple, certains contrats prévoient des restrictions pour une partie qui invoquerait un cas de force majeure pour une situation qui entraînerait des retombées pour ses sous-traitants ou ses fournisseurs, et non pour elle directement. Au cours des mois à venir, il serait par ailleurs possible qu’une exclusion pour un cas de force majeure relatif à des situations qu’il était raisonnable de prévoir au moment de l’entrée en vigueur d’un contrat devienne applicable dans les nouveaux contrats. Il serait sage pour les parties qui concluront un contrat après décembre 2019 de tenir compte du COVID-19 et de s’entendre sur la façon de gérer toute retombée qu’il pourrait entraîner quant à la capacité des parties à respecter leurs obligations contractuelles.

Habituellement, les contrats prévoient un mécanisme qui devra être appliqué lorsqu’un cas de force majeure est invoqué, qui comprend l’envoi d’un avis à l’autre partie à l’intérieur d’un certain délai. L’omission d’envoyer un tel avis à l’autre partie pour un cas de force majeure dans le délai entraînerait l’exclusion du cas à des fins de dédommagement; il est donc particulièrement important d’être au courant des délais précisés et des autres exigences pour réclamer des dédommagements pour cas de force majeure.

Il est aussi intéressant de souligner que, selon l’OMS, « la probabilité qu’une personne infectée contamine des marchandises est faible, tout comme le risque de contracter le virus responsable de la COVID-19 par contact avec un colis qui a été déplacé, qui a voyagé et qui a été exposé à différentes conditions et températures. » Ainsi, dans nombre de cas, ce n’est pas nécessairement la maladie en soi qui est un cas de force majeure, mais le fait que des travailleurs ne soient pas en mesure d’accomplir leurs tâches parce qu’ils sont malades ou mis en quarantaine.

Point 2 : Conséquences d’un cas de force majeure

De manière générale, les conséquences qui s’inscrivent dans un contrat de construction pour un cas de force majeure comprennent une exemption quant à l’exécution des obligations contractuelles, ainsi que le report d’échéance pour toute obligation en regard d’une date butoir, comme l’achèvement substantiel. Dans le cas d’un cas de force majeure prolongé, certains contrats permettent à une ou aux deux parties d’y mettre fin sans recours. Les contrats du CCDC, par exemple, accordent aux entrepreneurs ou aux directeurs des travaux une prolongation de délai raisonnable pour exécuter leurs travaux en raison de circonstances indépendantes de leur volonté. La période de prolongation lors de telles circonstances doit être plus longue que celle équivalente au temps qui a été perdu, à moins que l’entrepreneur ou le directeur des travaux n’accepte qu’elle soit plus courte.

Ce sont les conditions d’une entente qui détermineront si un cas de force majeure influera ou non sur le prix du contrat. Certains contrats laissent une marge pour une augmentation du prix du contrat pour tout coût raisonnable engendré par un cas de force majeure et d’autres pas, et certains offriront une compensation partielle pour une hausse des coûts liés à l’exécution.

Point 3 : Retombées sur les ententes de financement de projets

Les emprunteurs et les prêteurs devraient revoir les déclarations, les garanties et les engagements de leurs ententes de financement de projet, ainsi que les cas de défaut pour déterminer les facteurs déclencheurs propres à leur projet. Il serait avisé de pousser la réflexion pour déterminer si un cas de force majeure lié au COVID-19 a le potentiel ou non d’entraîner un effet défavorable important sur le projet. Si les documents importants du projet sont ponctués d’obligations contractuelles réciproques (et que les clauses de force majeure y sont identiques ou très semblables), la probabilité qu’un effet défavorable important survienne peut être atténuée par l’application des dispositions de dédommagement. D’autres facteurs propres à chaque projet devraient être évalués; par exemple, s’il est possible d’éviter un retard en faisant affaire avec un autre fabricant qui fournit des biens ou si l’échéancier de projet prévoit un décalage suffisant et des dépassements de coûts, la probabilité d’un effet défavorable important peut être faible. 

Habituellement, les ententes de financement : (a) exigent de l’emprunteur qu’il exerce et fasse valoir tout recours potentiel contre les parties aux documents importants du projet; (b) contiennent des restrictions concernant toute modification significative apportée aux documents importants du projet sans le consentement du prêteur (comme des modifications au délai d’approvisionnement ou aux conditions commerciales); (c) disposent d’une forme quelconque de délai ou de délai guillotine pour l’achèvement du projet (qui peut inclure ou non un dédommagement pour un cas de force majeure); (d) comportent un régime par défaut qui reprend tout effet défavorable important sur le projet, toute violation ou révocation des conditions des principaux documents importants du projet (c.-à-d., si un fournisseur met fin à un contrat pour cas de force majeure) et, bien entendu, l’insolvabilité de toute partie à un contrat clé important.

Dans certains cas, les emprunteurs pourraient être tenus de remettre un avis officiel relativement à un potentiel effet défavorable important. Par ailleurs, la communication est encore une fois la clé qui permettra de réduire les perturbations du projet au minimum. Les emprunteurs devraient envisager une approche proactive en ce qui a trait à leur relation avec les prêteurs et comprendre les restrictions contractuelles ou les limites pratiques de leurs contreparties pour se remettre d’un cas de force majeure lié au COVID-19. Lorsqu’un cas de force majeure lié au COVID-19 s’est produit ou risque de se produire, il serait prudent d’embaucher un ingénieur indépendant pour mettre à l’essai différents scénarios et envisager les effets potentiels de ces derniers, ainsi que pour obtenir un aperçu d’un plan d’atténuation éventuel; ce dernier pourrait comporter la substitution de la partie touchée, un calendrier de livraison mis à jour ou la modification des conditions commerciales. Munies de ces renseignements, les parties auront tout ce qu’il faut pour mettre au point un plan B dans l’éventualité où des problèmes surviendraient à long terme.

Finalement, les emprunteurs et les prêteurs devront évaluer la probabilité globale de l’occurrence d’un effet défavorable important, de la capacité pratique d’atténuer les effets de l’une ou l’autre des dispositions de force majeure dans les documents importants de projet et des défaillances possibles en découlant dans le cadre des ententes de financement. De façon optimale, les emprunteurs devraient fournir un plan en vue d’atténuer toute perturbation au projet et les prêteurs devraient évaluer une proposition de cette nature (avec l’appui d’un ingénieur indépendant) de manière raisonnable. À partir de là, les parties devront considérer l’application d’une force majeure dans le cadre du financement.

Conclusion

Alors que l’éclosion de la pandémie du COVID-19 à l’échelle mondiale se poursuit, les parties doivent examiner minutieusement leurs documents de projets pour déterminer les retombées des fermetures ou des retards et planifier leur ligne de conduite pour les semaines à venir à la lumière de leurs calendriers de projet. Dans l’éventualité d’un doute quant à l’application de la disposition de force majeure, au dédommagement réclamé aux termes de cette clause ou d’un effet éventuel aux termes des ententes de financement du projet, nous vous recommandons d’obtenir un avis juridique avant d’entreprendre quelque action que ce soit ou d’envoyer des avis. Au vu des leçons tirées de l’épidémie du COVID-19, il est aussi fortement conseillé de revoir les dispositions de force majeure pour les projets à venir.