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Incidences des mesures anti-chalandage fiscal proposées dans le budget fédéral de 2014 sur les fonds de capital-investissement

Auteur(s) : David Davachi, Firoz Ahmed, John Groenewegen, Matias Milet, Monica Biringer

13 février 2014

Ce bulletin Actualités porte sur une mesure proposée dans le budget fédéral de 2014 déposé par le ministre des Finances le 11 février dernier (le budget de 2014) relativement au chalandage fiscal, qui pourrait toucher les fonds de capital-investissement qui investissent au Canada par l’intermédiaire de sociétés de portefeuille créées aux termes d’une convention. On trouvera ci-après un résumé de la proposition concernant le chalandage fiscal, qui prône et explique en détail l’une des mesures potentielles énoncées dans le document de consultation du 12 août 2013 sur le chalandage fiscal (voir le bulletin Actualités Osler du 22 août 2013 sur les incidences pour les investisseurs de capital-investissement de la règle potentielle anti-chalandage fiscal canadienne). Veuillez noter les éléments généraux suivants :

  • Le budget de 2014 présente uniquement une approche proposée. Il n’y a pas de projet de loi.
  • L’approche décrite dans le budget de 2014 pourrait être modifiée à la suite des recommandations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) relatives au chalandage fiscal contribuant à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices, qui devraient être publiées en septembre 2014.
  • L’approche représente un changement unilatéral du droit canadien par rapport à une approche bilatérale ou multilatérale avec des pays partenaires du Canada.
  • La règle s’appliquerait uniquement dans la première année qui suit l'année au cours de laquelle la législation définitive est promulguée.
  • Le budget de 2014 ne prévoit pas de droit acquis ni de règle transitoire, bien que le gouvernement demande des avis « sur le caractère approprié de mesures transitoires d’allègement ». (Le fait que le gouvernement songe à la possibilité d’instaurer des règles transitoires d’allègement laisse croire qu’aucune décision n’est encore prise à cet égard.)
  • Le gouvernement invite les parties prenantes à faire part de leurs commentaires sur cette approche dans les 60 jours du dépôt du budget.

En termes simples, la règle proposée, si elle est adoptée, pourrait s’appliquer lorsqu’une ou plusieurs personnes qui n'ont pas droit aux avantages d’une convention fiscale particulière avec le Canada utilisent une entité résidant dans un pays avec lequel le Canada a signé une convention fiscale pour obtenir des avantages aux termes de la convention canadienne. Cela pourrait toucher, par exemple, une société de portefeuille du Luxembourg ou des Pays-Bas utilisée pour réduire ou éliminer l’impôt sur les investissements canadiens faits par un fonds de capital-investissement dont les investisseurs ne sont pas eux-mêmes des résidents de ce pays partenaire. La règle proposée vise à éliminer les avantages aux termes de la convention qui sont recherchés au moyen d’un tel arrangement

Plus précisément, l’approche anti-chalandage fiscal proposée dans le budget de 2014 comporte les éléments suivants :

Disposition sur le principal objectif : Le critère pour l’application de la règle anti-chalandage fiscal est que « l’un des principaux objectifs de l’opération » soit de procurer un avantage à la personne, ce qui est appuyé par des présomptions positives ou négatives relativement au respect du critère. Plus particulièrement, le budget de 2014 prévoit que, « sous réserve de la disposition d’assouplissement, une personne ne recevrait pas un avantage prévu par une convention fiscale concernant un montant de revenu, de bénéfice ou de gain (revenu visé par la convention) s’il est raisonnable de croire que l’un des principaux objectifs de l’opération donnant lieu à l’avantage, ou d’une opération faisant partie d’une série d’opérations ou d’événements donnant lieu à l’avantage, était de procurer cet avantage à la personne. » À l’échelle nationale, les critères de « l'un des principaux objectifs » n'ont généralement pas été interprétés comme imposant un seuil élevé.

Présomption de recours à une entité relais :Il serait présumé que le critère de « l’un des principaux objectifs » est satisfait « si le revenu visé par la convention sert principalement à payer, à distribuer ou à autrement transférer, directement ou indirectement, à un moment quelconque ou dans une forme quelconque, un montant à une autre personne ou à d’autres personnes qui n’auraient pas eu droit à un avantage équivalent ou plus favorable si la ou les autres personnes avaient reçu directement le revenu visé par la convention ». Cette présomption pourrait être réfutée si le contribuable présente une preuve contraire. Deux exemples sont fournis pour illustrer l’application de cette règle. Le premier laisse entendre que, si moins de 50 % du revenu visé par la convention n’est pas transféré à l’extérieur du ressort de la convention de la société de portefeuille (p. ex. les Pays-Bas ou le Luxembourg), la présomption de recours à une entité relais ne s’appliquerait pas. Cependant, le critère de « l’un des principaux objectifs » pourrait quand même être satisfait en tant que question de fait. L’autre exemple est décrit ci-dessous sous la rubrique « Exemple – Paiement de dividendes ».

Présomption de règle refuge :Sous réserve de la présomption de recours à une entité relais, il serait présumé qu’aucun des principaux objectifs n'était d’obtenir un avantage de la convention si :

  • la personne (ou une personne liée) qui reçoit le revenu visé par la convention exploite activement une entreprise (autre que la gestion d’investissements) dans le pays visé par la convention dans lequel ce revenu est tiré, et l’entreprise exploitée activement est importante comparativement à l’activité exercée au Canada qui donne lieu au revenu visé par la convention;
  • la personne n’est pas contrôlée, légalement ou dans les faits, par une ou d’autres personnes qui n’auraient pas eu droit à un avantage équivalent ou plus favorable si la ou les autres personnes avaient reçu directement le revenu visé par la convention; ou
  • la personne est une société ou une fiducie dont les actions ou les parts sont négociées régulièrement sur une bourse de valeurs reconnue.

Comme pour la présomption de recours à une entité relais, cette présomption peut être réfutée si le contribuable présente une preuve contraire.

Disposition d’assouplissement : Si la disposition sur le principal objectif s’applique à l’égard d’un avantage prévu dans une convention fiscale, l’avantage doit être consenti, en totalité ou en partie, s’il est raisonnable de le consentir compte tenu des circonstances.

Le budget de 2014 donne des exemples de l’application de l’approche proposée dans cinq scénarios particuliers. Deux de ces scénarios sont particulièrement pertinents pour les fonds de capital-investissement et sont décrits en détail ci-dessous.
 

          

Exemple – Paiement de dividendes

Cet exemple repose sur un scénario où une société de portefeuille a été constituée dans l’État B par la société A (résidente de l’État A) et la société C (résidente de l’État C). La société de portefeuille détient toutes les actions de la société résidant au Canada (Canadienne inc.). Le Canada a conclu des conventions fiscales avec l’État A, l’État B et l’État C. Toutefois, les conventions fiscales du Canada avec l’État A et l’État C prévoient un taux de retenue d’impôt sur les paiements de dividendes plus élevé que celui de la convention avec l’État B.

L'exemple indique qu'une telle structure serait visée, en vertu de la nouvelle règle proposée, par la présomption de recours à une entité relais et sauf preuve contraire comme il est décrit ci-dessus, l’avantage représenté par le taux de retenue d’impôt prévu dans la convention avec l’État B serait refusé. Dans ce cas, la disposition d’assouplissement pourrait s’appliquer « s’il est raisonnable de le consentir compte tenu des circonstances », pour éviter une augmentation a 25 %, soit le taux intégral lorsqu'il n'y a pas de convention fiscale, du taux de retenue d’impôt à l’égard des dividendes. Pour déterminer ce qui serait raisonnable dans les circonstances, on évaluerait si la société A et la société C seraient imposables à l’égard des dividendes versés par la société de portefeuille dans leur juridiction fiscale respective.

L’exemple ci-dessus pourrait s’appliquer aux investissements des fonds de capital-investissement au Canada, parce qu’il décrit une structure qui, en termes abstraits, ressemble à la structure d’investissement typique d’un fonds de capital-investissement, où le fonds de capital-investissement est une société de personnes (constituée d’investisseurs de divers ressorts ayant chacun des taux de retenue d’impôt sur les dividendes différents en vertu d'une convention avec le Canada) qui investit au Canada par l’intermédiaire d’une société de portefeuille formée en vertu d’une convention.

Exemple – Changement de résidence
Dans cet exemple, la société A, qui est résidente de l’État A, détient des actions d’une société résidant au Canada (Canadienne inc.). La société A envisage de vendre les actions de Canadienne inc., ce qui donnerait lieu à un gain en capital imposable au Canada (les actions de Canadienne inc. sont un bien canadien imposable). Or, le Canada n’a pas conclu de convention fiscale avec l’État A. Peu avant la vente des actions de Canadienne inc., la société A est prorogée dans l’État B et devient résidente de ce pays. La convention fiscale entre le Canada et l’État B prévoit une exonération d’impôt applicable aux gains en capital réalisés à la suite de la disposition d’actions de sociétés canadiennes par des résidents de l’État B. La société A vend les actions et conserve le produit de leur disposition, puis elle se prévaut de l’exonération des gains en capital en vertu de la convention fiscale. Dans cet exemple, puisque la société A conserve le produit de la disposition, la présomption de recours à une entité relais ne s’applique pas. Par contre, la disposition sur le principal objectif serait applicable, et l’avantage prévu par la convention fiscale serait refusé.

L’exemple ci-dessus peut être mis en contraste avec un fonds de capital-investissement qui ne procède pas à un tel changement de résidence et qui pourrait néanmoins, en plus de demander une exonération de l’impôt canadien sur les gains en capital en vertu d’une convention, avoir d’autres raisons de centraliser ses investissements dans un ressort non américain qui n’a pas conclu de convention avec le Canada. L’exemple prévoit un autre scénario qui pourrait être davantage pertinent pour les fonds de capital-investissement qui investissent au Canada. Si, au lieu de devenir résidente de l’État B peu avant la vente, la société A avait déjà été résidente de l'État B au moment de l’acquisition initiale des actions de Canadienne Inc., il faudrait examiner toutes les circonstances pertinentes afin de déterminer si l’on peut raisonnablement conclure que l’un des principaux objectifs de l’établissement de la société A à titre de société résidente de l’État B consistait à profiter de l’exonération des gains en capital. Il s’agirait alors de prendre toutes les circonstances en considération, comme le temps écoulé entre l’établissement de la société A dans l’État B et la réalisation du gain en capital, de même que tous les autres événements interposés.

Les propositions énoncées dans le budget de 2014 pourraient avoir d’importantes répercussions sur les fonds de capital-investissement qui investissent ou qui envisagent d’investir au Canada. Toutefois, comme le budget de 2014 ne fait que proposer des mesures anti-chalandage fiscal, il est encore temps pour un fonds de capital-investissement qui pourrait être visé de prendre des mesures d’atténuation afin d’éviter de façon proactive l’application de ces propositions (si elles sont adoptées sous leur forme actuelle) ou de faire parvenir ses commentaires au gouvernement au sujet de l’approche proposée (comme il est décrit ci-dessus, et surtout en ce qui concerne les mesures transitoires d’allègement).

 

Authored by Firoz Ahmed, Monica Biringer, John Groenewegen, Matias Milet, David Davachi