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La Cour supérieure du Québec se range du côté des détaillants sur la question de l’utilisation de marques de commerce reconnues dans l’affichage public et la publicité commerciale

Auteur(s) : Jessica Harding, Alexandre Fallon

11 avril 2014

Dans ses motifs présentés le 9 avril 2014,1 le juge Yergeau de la Cour supérieure du Québec a indiqué que la Charte de la langue française (Charte) du Québec n’exige pas que l’affichage public et la publicité commerciale contenant une marque de commerce dans une langue autre que le français soient accompagnés d’un générique en langue française, contrairement à ce qu’a récemment affirmé l’Office québécois de la langue française (OQLF), l’organisme de réglementation chargé de l’application de la Charte.

Adoptée en 1977, la Charte exige, en tant que règle générale, que l’affichage public et la publicité commerciale, ainsi que les « noms d'entreprise », soient en français.

L’article 58 de la Charte stipule en effet que l’affichage public, les affiches et la publicité commerciale doivent être en français ou à la fois en français et dans une autre langue, pourvu que le français y figure de façon nettement prédominante. Cet article permet également au gouvernement d’établir des exceptions à cette règle générale, lesquelles sont énoncées dans le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le Règlement).2

L’une de ces exceptions, au paragraphe 25(4) du Règlement, concerne les marques de commerce reconnues pour lesquelles aucune version française n’a été déposée. Selon ce paragraphe, ces marques de commerce peuvent apparaître exclusivement dans une langue autre que le français dans l’affichage public et les affiches et dans la publicité commerciale.

Un certain nombre de détaillants utilisent donc leurs marques de commerce en anglais dans l’affichage public et la publicité commerciale au Québec depuis de nombreuses années sans objection de la part de l’OQLF.

Toutefois, en 2009, l’OQLF a décidé de revoir son interprétation des règles applicables, invoquant l’article 27 du Règlement, selon lequel « peut figurer comme spécifique dans un nom, une expression tirée d’une autre langue que le français, à la condition qu’elle soit accompagnée d’un générique en langue française ».

En 2011, plusieurs détaillants ont reçu un avis de l’OQLF exigeant qu’un générique en langue française accompagne leur marque de commerce dans leur affichage public, leurs affiches et leur publicité commerciale. En réaction à cette mesure, huit détaillants ont présenté à la Cour supérieure une requête en jugement déclaratoire afin de faire confirmer que leur affichage public et leur publicité respectaient la Charte et le Règlement et que l’ajout d’un générique en langue française n’était pas requis.

Devant la Cour, le procureur général du Québec a soutenu que, lorsqu’un détaillant affiche publiquement sa marque de commerce, il affiche en fait son nom. L’article 63 de la Charte exige que le nom d’une entreprise soit en langue française, la seule exception à cette exigence étant l’article 27 du Règlement, qui permet qu’une expression non française apparaisse dans un nom commercial à la condition qu’elle soit accompagnée d’un générique en langue française. Ainsi, l’affichage du nom d’un détaillant dans l’affichage public ou la publicité commerciale exige l’ajout d’un générique en langue française si le nom n’est pas en français, même s’il constitue une marque de commerce reconnue.

La Cour a rejeté l'argument du procureur général, indiquant que le nom d’une entreprise est un concept juridique distinct de celui de la marque de commerce utilisée par une entreprise dans son affichage public et sa publicité commerciale. La Cour a conclu que l’article 27 du Règlement n’est pas une règle d’application générale et qu’elle ne s’applique pas à l’utilisation de marques de commerce reconnues dans l’affichage public et la publicité commerciale.

Les entreprises qui exercent leurs activités au Québec n’ont donc pas à ajouter de générique en langue française à leur affichage public et à leur publicité commerciale lorsqu’elles utilisent une marque de commerce reconnue dans une autre langue que le français, pourvu qu’elles n’aient pas déposé de version française de cette marque de commerce.


1 Magasins Best Buy Ltée c. Québec (PG) (9 avril 2014), Montréal, 500-17-074083-125 (CS).

2 CQLR c C-11, r  9.