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Conseils en matière antitrust : éléments fondamentaux des Programmes d’immunité et de clémence du Bureau de la concurrence

Auteur(s) : Michelle Lally, Kaeleigh Kuzma

15 janvier 2015

Partout dans le monde, le nombre de cartels détectés, les amendes imposées et même le nombre de peines d’emprisonnement purgées connaissent une progression fulgurante depuis quelques années, le Bureau de la concurrence du Canada  prenant également des mesures énergiques pour faire appliquer la législation criminelle en matière antitrust (voir notre bulletin Application de la législation criminelle en matière de concurrence au Canada : Rétrospective 2014. Comme l’indique le Mémoire de 2014 du Bureau de la concurrence présenté à l’OCDE dans le cadre de la table ronde sur le recours aux signets des programmes de clémence, « la répression des cartels nationaux et internationaux demeure donc au nombre des grandes priorités du Bureau en matière d’application de la loi. » Le Programme d’immunité du Bureau « constitue l’outil le plus puissant du Bureau pour déceler les activités criminelles de cartel. » Le Programme de clémence du Bureau complète son Programme d’immunité, et ensemble, ces initiatives visant à créer des mesures incitatives pour encourager les organisations et les particuliers à signaler au Bureau des activités criminelles potentielles interdites par la Loi sur la concurrence, et à collaborer aux poursuites engagées relativement à ces activités.

Le Bureau a publié des foires aux questions détaillées sur ces programmes. En voici les éléments fondamentaux :

  • Les organisations et les particuliers sont admissibles à l’immunité et à la clémence pour des infractions criminelles à la Loi sur la concurrenceautres que des infractions commises par une seule partie, y compris des infractions pour avoir fourni « de l’aide ou de la complicité ». Fait important, elles peuvent être accordées pour des infractions en matière de complots et de truquage des offres.
  • Il est essentiel d’agir vite, car l’immunité de poursuite n’est accordée qu’au premier demandeur qui respecte les critères d’admissibilité. Cela provoque souvent une « course » vers le Bureau.
    • La différence entre le  « premier demandeur » et la « deuxième partie à demander la clémence  » peut être une condamnation au criminel, y compris des millions de dollars d’amendes. Les enjeux sont donc de taille.
    • La décision de présenter une demande doit être prise rapidement et tenir compte d’une myriade de facteurs.
  • L’immunité de poursuite n’est pas accordée si le demandeur a forcé d’autres personnes à participer à l’activité illégale ou si le Bureau est déjà au courant de l’infraction.
  • La clémence dans la détermination de la peine peut être accordée à une partie qui n’est pas admissible à l’immunité, mais qui s'est manifestée en vue de régler sa responsabilité criminelle, et qui collabore à l’enquête du Bureau et à toute poursuite ultérieure.
  • Le système de gestion des signets du Bureau est un élément important des deux programmes, car il détermine la position du demandeur et amorce le processus par lequel le demandeur fournit des renseignements au Bureau et collabore avec celui-ci.
  • Les demandeurs d’immunité et de clémence doivent mettre fin à leur participation à l’activité illégale; préserver la confidentialité de leur demande, de l’immunité et de la transaction pénale, et informer le Bureau au sujet de la progression générale de toute action civile, y compris l’aviser de leur intention de coopérer avec les parties à un litige civil.
  • Les demandeurs d’immunité et de clémence sont tenus d’assurer une collaboration complète, rapide et continue.
    • Cela commence par une déclaration qu’on appelle « présentation de l’information ». La présentation de l’information est habituellement fournie verbalement par l’avocat du demandeur « sous toutes réserves » et décrit en détail l’activité illégale, le rôle du demandeur dans cette activité et l’effet de cette activité au Canada, ainsi que les preuves à l'appui et les témoins que le demandeur peut produire.
    • Les présentations de l'information doivent être faites dans les 30 jours civils suivant la réception d’un signet,mais ce délai peut êtreécourté lorsque le moment de la présentation influe les autres étapes de l’enquête du Bureau, comme l’exécution d’un mandat de perquisition ou la collaboration avec les autorités d’un autre pays.
    • Le Bureau considère qu’une présentation de l’information est complète lorsqu’il a reçu des renseignements en quantité suffisante pour faire une recommandation d’immunité ou de clémence au Service des poursuites pénales du Canada.
    • Les demandeurs ont l’obligation expresse de mettre à jour sans tarder leur présentation de l’information dès qu’ils prennent connaissance de renseignements nouveaux ou corrigés.
  • Même si le Bureau fait enquête sous le régime des dispositions pénales de la Loi sur la concurrence, le Service des poursuites pénales du Canada est le seul habilité à accorder l’immunité et la clémence et à décider si des poursuites au criminel seront ou non engagées. Dans un cas de clémence, la Cour est seule habilitée à déterminer la sentence appropriée. À cet égard, la décision de la Cour fédérale dans l’affaire R c. Maxzone Auto Parts (Canada) Corp. appuie dans une large mesure la position du Bureau selon laquelle les accords de fixation des prix et les autres ententes de cartel injustifiables devraient être traitées au moins aussi sévèrement, sinon plus, que la fraude et le vol.
  • En règle générale, l’identité du demandeur d’immunité restera confidentielle jusqu’à ce que des accusations soient portées contre lesautres participants à l’infraction, et que le ministère public doit divulguer à l’accusé toute la preuve dont il dispose.
  • Le demandeur de clémence doit plaider coupable dans le cadre d'une transaction pénale, et déposer des aveux judiciaires relativement aux faits en cause.
  • Les amendes recommandées pour les demandeurs de clémenceont habituellement comme point de départ un facteur de 20 % du volume touché du commerce du demandeur ou de l'amende maximale prévue par la loi, selon le plus élevé des deux. Voici les lignes directrices générales qui s’appliquent aux recommandations en matière d'amendes :
    • Le premier demandeur de clémence est admissible à une réduction d'au plus 50 %, la deuxième partie à demander la clémence est admissible à une réduction d'au plus 30 %, et l’admissibilité des parties suivantes dépend du moment où elles s’adressent au Bureau et de la diligence de leur collaboration.
    • S’il n’y a aucun commerce au Canada, la recommandation sera faite au cas par cas, mais les ventes au Canada ne constitueront pas un facteur déterminant.
    • Dans les cas de ventes indirectes au Canada, le Bureau peut « collaborer » avec un demandeur afin de mettre au point une méthode pour estimer le volume touché du commerce, limiter le calcul à la valeur de l’intrant pertinent dans le produit final vendu et déterminer si une sanction imposée dans un autre pays pour les ventes directes qui ont mené aux ventes indirectes au Canada est suffisante eu égard au préjudice économique subi au Canada.
    • Pour les cas de truquage des offres, le Bureau prendra en compte le volume total du commerce touché par les ententes en question et la nécessité de décourager le truquage des offres. Tous les participants peuvent faire l'objet de sanctions.
  • Aucune accusation distincte ne sera recommandée à l’encontre des administrateurs, dirigeants et employés actuels du premier demandeur de clémence, pourvu que ceux-cicollaborent de façon complète, franche, rapide et sincère à l'enquête du Bureau . Les anciens administrateurs, dirigeants et employés du premier demandeur de clémence qui sont impliqués dans l’infraction pourront aussi généralement obtenir la clémence, pourvu qu’ils collaborent à l’enquête du Bureau et à toute poursuite qui en découlerait. Pour tout demandeur de clémence suivant, le Bureau déterminera au cas par cas s’il recommandera que des accusations soient portées contre d’anciens ou d’actuels administrateurs, dirigeants ou employés.
  • Les administrateurs, dirigeants et employés actuels d'un demandeur d’immunité peuvent profiter d’une immunité, à condition qu’ils collaborent de façon complète, rapide et continue. Le Bureau décidera au cas par cas si les anciens administrateurs, dirigeants et employés sont admissibles à l'immunité.
  • La négociation d’une entente d’immunité ou d'une entente de clémence peut être complexe, surtout si le demandeur doit composer avec des organismes d’application de la loi sur la concurrence dans plusieurs pays; c’est pourquoi il serait préférable de demander conseil à un avocat spécialisé qui connaît bien les politiques et procédures du Service des poursuites pénales du Canada.
  • Si le demandeur d’immunité ou de clémence ne respecte pas toutes les conditions de l’entente, celle-ci peut être révoquée. Après la révocation, le Service des poursuites pénales du Canada prendra les mesures qu’il jugera appropriées contre le demandeur (y compris des poursuites) et, ce faisant, il pourrait utiliser tout élément de preuve présenté par toute personne aux termes de l’entente d’immunité ou de clémence.

En résumé : Les dispositions pénales de la Loi sur la concurrence prévoient des sanctions importantes, y compris des amendes de plusieurs millions de dollars et de possibles peines d’emprisonnement. La décision d'une entreprise de présenter une demande d’immunité ou de clémence au Canada doit être prise rapidement, en sachant que la gestion d’une demande d’immunité ou de clémence est une tâche longue et complexe, qui mobilise des ressources considérables.

Ces programmes devraient également motiver les entreprises à mettre en œuvre et à tenir à jour des programmes de conformité efficaces et à mener des enquêtes internes approfondies pour détecter les conduites fautives.

Pour en savoir plus, veuillez communiquer avec le groupe de pratique du droit de la concurrence et de l’investissement étranger d’Osler.