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Il était temps – Les ACVM proposent des modifications au régime des offres publiques d’achat

Auteur(s) : Douglas Bryce, Jeremy Fraiberg, Alex Gorka, Douglas Marshall, Emmanuel Pressman, Clay Horner, Robert M. Yalden

31 mars 2015

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié, pour une période de consultation de 90 jours, un important projet de modification du régime des offres publiques d’achat en vigueur au Canada (les modifications proposées). Le projet, dans son ensemble, représente les modifications les plus importantes proposées au régime canadien des offres publiques d’achat depuis 2001. Si elles sont adoptées, ces modifications accorderont plus de temps aux émetteurs visés pour réagir à une offre hostile, créant ainsi un régime d’« offre permise » de 120 jours.

En vertu des modifications proposées, toutes les offres publiques d’achat ne faisant pas l’objet d’une dispense (y compris les offres partielles) seront assujetties aux nouvelles exigences suivantes :

  • Obligation de dépôt minimal de plus de 50 % des titres – Les offres seront subordonnées au dépôt minimal obligatoire de plus de 50 % des titres en circulation de la catégorie visée par l'offre, à l’exclusion des titres dont l’initiateur et les personnes agissant de concert avec lui ont la propriété véritable ou sur lesquels ils exercent une emprise (l’obligation de dépôt minimal).
  • Prolongation obligatoire de 10 jours – Après que l'obligation de dépôt minimal obligatoire a été respectée et que toutes les autres conditions de l'offre ont été remplies ou ont fait l'objet d'une renonciation, l’offre devra être prolongée de 10 jours supplémentaires (la prolongation obligatoire de 10 jours).
  • Délai de dépôt de 120 jours – Les offres devront demeurer ouvertes pendant un délai minimal de 120 jours, sous réserve de deux exceptions. Premièrement, le conseil d’administration de l’émetteur visé peut publier un « communiqué relatif au délai de dépôt » à l'égard d’une offre publique d’achat proposée ou lancée, prévoyant un délai de dépôt initial de moins de 120 jours et d’au moins 35 jours. Ainsi, le cas échéant, toutes les autres offres en cours ou subséquentes pourraient également bénéficier du délai de dépôt minimal abrégé calculé à partir de la date à laquelle cette autre offre est faite. Deuxièmement, si un émetteur annonce par communiqué qu’il a conclu une « opération de remplacement » – une opération de changement de contrôle amicale en quelque sorte, telle qu’un arrangement —, toutes les autres offres en cours ou subséquentes pourraient alors bénéficier d’un délai de dépôt d’au moins 35 jours calculé à partir de la date à laquelle cette autre offre est faite (le délai obligatoire de 120 jours).

Les modifications proposées donneront aux administrateurs des émetteurs visés au Canada plus de temps pour réagir à une offre publique d’achat et trouver des solutions de rechange. Dans le cadre réglementaire actuel, un régime de droits fait généralement l’objet d’une interdiction d’opérations par les autorités en valeurs mobilières dans les 45 à 60 jours suivant le début d’une offre (bien qu’on ait vu des variations considérables dans de récentes décisions concernant des pilules empoisonnées). Les régimes de droits des actionnaires standards prévoient une « offre permise » de 60 jours qui ne déclenche pas le régime de droits si l'offre demeure ouverte pendant au moins 60 jours et comprend des dispositions équivalentes à l'obligation de dépôt minimal et à la prolongation obligatoire de 10 jours. Les modifications proposées feront en sorte que les conseils d’administration disposent d’au moins 120 jours pour réagir à une offre initiale non sollicitée.

L'obligation de dépôt minimal et la prolongation obligatoire de 10 jours ont pour but d’atténuer ce que les ACVM ont décrit comme étant des aspects coercitifs du régime d’offre actuel. L’obligation de dépôt minimal permettra aux actionnaires d’agir collectivement et leur donnera l’assurance qu’une offre ne sera acceptée qu’avec l’appui d’une majorité d’actionnaires d’indépendants. Ceux-ci ne courront pas ainsi le risque de voir un initiateur hostile abréger le délai minimal de dépôt ou y renoncer pour les pousser à déposer leurs titres, par crainte de se retrouver avec des actions d’une société contrôlée. La prolongation obligatoire de 10 jours permettra aux actionnaires de constater si une offre connaît du succès avant de décider de déposer leurs actions. En l'absence d'une telle prolongation obligatoire, les actionnaires pourraient déposer leurs titres avant d’être autrement disposés à le faire, par crainte de ne pas pouvoir les déposer après l’expiration de l’offre.

Les modifications proposées rendront plus difficile l’exécution des offres partielles en raison de l’obligation de dépôt minimal, et il ne sera plus possible de faire des offres d'achat de toutes les actions ou d'une partie des actions. Cependant, elles pourraient aussi limiter la possibilité pour un actionnaire de se départir de ses actions dans le cadre d’une offre, puisque la prise en livraison des actions dépendra de la décision des autres actionnaires de les déposer ou non.

Le fait de donner plus de temps aux émetteurs visés pour réagir à une offre publique d’achat pourrait avoir pour conséquence d’accroître les coûts et les risques pour les initiateurs hostiles. Des coûts de financement plus élevés, par exemple, ainsi que la probabilité accrue d’un intrus pourraient faire augmenter les coûts et les risques du point de vue de l’initiateur hostile.

Malgré cette possible augmentation des coûts et des risques, l’offre hostile demeurera plus facile à réaliser au Canada qu’aux États-Unis. Les initiateurs hostiles au Canada seront assurés que leur offre pourra être acceptée par les actionnaires après 120 jours. À l'opposé, les régimes de droits applicables aux États-Unis ne peuvent généralement être exclus qu’à la suite d’une course aux procurations fructueuse pour remplacer une majorité des administrateurs siégeant au conseil de l’émetteur visé – un processus qui peut prendre bien plus d’un an si le conseil d’administration de l’émetteur visé est renouvelable par tranches.

Autres modifications au régime des offres publiques d’achat

Les modifications proposées comportent également certaines modifications techniques au régime des offres publiques d’achat découlant de l’obligation de dépôt minimal, de la prolongation obligatoire de 10 jours et du délai obligatoire de 120 jours, qui ont une incidence sur (i) les modifications de l’offre; (ii) les changements dans l’information relative à l’offre; (iii) la prise de livraison et le règlement; (iv) les droits de révocation.

Le changement le plus notable est l’obligation, pour les initiateurs, de prendre immédiatement livraison des titres déposés dans le cadre d’une offre, après que toutes les conditions de l'offre auront été remplies ou auront fait l’objet d’une renonciation, sauf dans le cas des offres partielles. Sous le régime actuel, un initiateur dispose de 10 jours pour prendre livraison et régler. Les initiateurs auront toujours l’obligation de payer, dès que cela est possible, le prix des titres pris en livraison, et ce, en tout état de cause, au plus tard trois jours ouvrables après la prise de livraison.

Incidences sur les délais pour les opérations contestées

En vertu des modifications proposées, les initiateurs hostiles qui déposent une offre initiale à l’endroit d’un émetteur visé doivent garder leur offre ouverte pendant au moins 120 jours. Toutefois, si l’émetteur visé conclut par la suite une opération avec un chevalier blanc, l’initiateur hostile pourra raccourcir le délai de son offre d’un nombre de jours pouvant varier selon la structure de l’opération conclue avec le chevalier blanc.

Si l'opération avec un chevalier blanc est structurée comme une offre, l’initiateur hostile aura droit au même délai que celui de l’offre du chevalier blanc, lequel est précisé dans le communiqué relatif au délai de dépôt se rapportant à l'offre du chevalier blanc. Ainsi, si le délai de dépôt a été fixé à 35 jours dans le cas de l’offre du chevalier blanc, l’initiateur hostile pourra alors modifier son offre en raccourcissant le délai de dépôt de 120 jours à au moins 35 jours, à la condition qu’un préavis d’au moins 10 jours soit donné pour la nouvelle date d’expiration. Par contre, si l’opération conclue avec le chevalier blanc est structurée comme une « opération de remplacement », telle qu’un arrangement, l’initiateur hostile pourra abréger le délai de son offre à un délai minimal de 35 jours, à la condition qu’un préavis d’au moins 10 jours soit donné pour la nouvelle date d’expiration.

Dans l’un ou l’autre des cas, l’initiateur hostile sera en mesure de conserver un avantage pour les délais par rapport au chevalier blanc. Cela est conforme à la jurisprudence existante des ACVM en matière de régime de droits, qui ne permet pas que les régimes de droits soient utilisés pour égaliser les délais entre un chevalier blanc et un initiateur hostile.

Lorsqu’une offre hostile est lancée après l’annonce d’une opération amicale, l’incidence sur les délais pour l’initiateur hostile peut également varier selon la structure de l’opération amicale. Si l’opération amicale est structurée comme une offre, l’initiateur hostile doit garder son offre ouverte pendant au moins la même période que celle de l’offre amicale, qui est précisée dans le communiqué relatif au délai de dépôt se rapportant à cette offre. Par contre, si l’opération amicale est structurée comme une opération de remplacement, telle qu’un arrangement, l’offre hostile pourra être maintenue pendant au moins 35 jours.

Il convient de noter que les modifications proposées pourraient inciter certains à structurer les opérations amicales comme des offres, plutôt que comme des arrangements (ou d’autres « opérations de remplacement »), pour éviter le risque qu'un initiateur hostile dispose d'un avantage pour les délais. Ainsi, si une opération amicale nécessitant l’approbation des autorités de réglementation, qui devrait prendre 120 jours avant d'être obtenue, est structurée comme un arrangement, l’initiateur hostile qui n’est pas assujetti à cette même exigence (ou qui s'attend à recevoir pareille approbation dans un délai plus court) pourrait présenter une offre de 35 jours (disons au jour 20), et bénéficier d’un avantage pour les délais par rapport à l'initiateur de l'offre amicale (en étant en mesure de clore l’offre au jour 55). Toutefois, si l’opération amicale est structurée comme une offre de 120 jours, l’initiateur hostile serait alors aussi assujetti à un délai de 120 jours calculé à partir de la date à laquelle l'offre hostile a été lancée (disons au jour 20), ce qui préserverait l’avantage pour les délais dont bénéficie l’auteur de l’opération amicale (120 jours par rapport à 140 jours).

 

Incidences sur les régimes de droits

Une omission notable des modifications proposées demeure la question de savoir comment les régimes de droits seront traités dans l’attente de leur adoption et après celle-ci. Cela soulève un intérêt particulier si l’on considère que les modifications proposées découlent de propositions concurrentes des ACVM et de l’Autorité des marchés financiers du Québec (AMF) concernant les régimes de droit et les mesures de défense en général, comme nous l’avons vu dans une publication antérieure dans les Actualités Osler. L’AMF et les autres membres des ACVM ont déjà fait connaître des points de vue différents concernant l’approche qui convient le mieux pour réglementer les mesures de défense, ce qui pourrait expliquer le silence des modifications proposées sur cette question. Il est difficile de dire si les ACVM donneront des indications sur cette importante question et à quel moment elles le feront.

Nous croyons que les régimes de droits seront visés par une interdiction d’opération après une offre de 120 jours faite en bonne et due forme, sauf circonstances inhabituelles, et que, par conséquent, les organismes de réglementation des valeurs mobilières seront moins souvent appelés à tenir des audiences pour décider à quel moment le régime doit être écarté. Il en résultera plus de certitude quant aux délais applicables aux offres, comparativement au régime actuel.

Puisque les modifications proposées donneront aux émetteurs visés 120 jours pour réagir à une offre hostile (soit une période qui dépasse amplement le délai que les organismes de réglementation des valeurs mobilières ont habituellement accordé aux émetteurs canadiens), les émetteurs visés pourraient bien souvent conclure qu’ils disposent de suffisamment de temps pour réagir à l'offre hostile sans avoir à adopter un régime de droits. Aussi croyons-nous que les émetteurs seront moins enclins à adopter des régimes de droits, que ce soit « sur le plan stratégique » lors de leurs assemblées annuelles, ou « sur le plan tactique » en réponse à une offre.

Comme les modifications proposées ne s'appliquent pas aux offres qui font l'objet d'une dispense, les régimes de droits auront toujours un rôle à jouer pour protéger les émetteurs visés des « prises de contrôle rampantes », comme les offres qui sont faites dans le cadre de dispenses pour achats dans le cours normal des activités ou pour contrats de gré à gré. Nous croyons donc que les émetteurs préoccupés par la possibilité de prises de contrôle rampantes continueront d’adopter des régimes de droits.

L’une des questions pratiques immédiates que soulèvent les modifications proposées concerne la démarche que devraient adopter les émetteurs à l’égard des régimes de droits dont le renouvellement est prévu à la prochaine assemblée annuelle. Ces émetteurs devraient-ils modifier leur régime pour prévoir les offres permises de 120 jours? Ou devraient-ils maintenir le statu quo et courir le risque qu’un initiateur hostile fasse une offre permise de 60 jours et soutienne que l’émetteur ne devrait pas bénéficier de plus de temps dans ces circonstances?

Compte tenu du fait que les ACVM auront besoin de temps pour assimiler les commentaires et y réagir, et du fait qu’il reste encore à voir comment les cabinets offrant des services de consultation en matière de procuration, comme ISS, réagiront aux modifications proposées, nous recommandons que les émetteurs ne se hâtent pas trop pour apporter des changements à leur régime de droits pour la présente saison des procurations. Nous soulignons également que si un initiateur hostile fait une offre permise de 60 jours, un émetteur aura toujours la possibilité d’adopter un régime de droits tactique prévoyant une offre permise d’au moins 120 jours.

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Les modifications proposées visent le Règlement 62-104 sur les offres publiques d’achat et de rachat et l’Instruction générale 62-203, qui régissent les offres publiques d’achat et de rachat dans tous les territoires du Canada, sauf l’Ontario. En Ontario, la partie XX de la Loi sur les valeurs mobilières et la Rule 62-504Take-Over Bids and Issuer Bids de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario prévoient des obligations essentiellement harmonisées relativement aux offres publiques d’achat et de rachat. La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario demande des modifications législatives à la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario pour permettre l’adoption du règlement MI 62-104 en Ontario, ce qui entraînerait l'harmonisation complète du régime des offres publiques d’achat partout au Canada.

La période de consultation pour les modifications proposées prend fin le 29 juin 2015