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La Cour d’appel de la Colombie-Britannique confirme une injonction au sujet de résultats de recherche globale

Auteur(s) : Michael Fekete, Christopher Naudie

17 juin 2015

Le 11 juin 2015, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rendu sa décision dans l’affaire Equustek Solutions Inc. v. Google Inc., dans laquelle elle confirme une injonction obligeant Google à retirer la totalité d’un site Web de son index de recherche globale. La Cour d’appel a jugé que les tribunaux de la Colombie-Britannique avaient compétence personnelle sur le géant de la recherche sur le Web même si Google ne maintenait aucune présence physique sur son territoire. La Cour a accordé une mesure de redressement qui aurait une incidence sur les résultats de recherche de Google à l’échelle mondiale. La décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique constitue une importante affirmation de la compétence des tribunaux canadiens sur les activités sur le Web et a d’importantes incidences pour les propriétaires de contenu et les exploitants de l’infrastructure technique et commerciale d’Internet, dont les fournisseurs d’accès à Internet, les exploitants de réseaux, les fournisseurs de services infonuagiques, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les sociétés de publicité et de marketing.

L’affaire sous-jacente

Google était un tiers innocent qui n’était pas partie à un litige commercial sous-jacent en Colombie-Britannique portant sur un usage abusif de renseignements confidentiels et de secrets commerciaux. Les demandeurs dans cette affaire avaient fabriqué du matériel de réseautique et alléguaient que les défendeurs avaient utilisé illégalement leurs secrets commerciaux pour fabriquer un produit concurrent.

Les demandeurs ont obtenu plusieurs ordonnances obligeant les défendeurs à faire ce qui suit :

  • arrêter de faire mention des produits des demandeurs sur le site Web des défendeurs;
  • publier un avis sur le site Web des défendeurs pour rediriger les consommateurs vers le site Web des demandeurs;
  • communiquer les noms de leurs clients aux demandeurs.

Les défendeurs n’ont pas observé ces ordonnances, abandonné leur défense et cessé d’exploiter leur entreprise à partir de la Colombie-Britannique. Ils ont plutôt continué à vendre leur produit en ligne à partir d’emplacements inconnus.

En 2012, les demandeurs ont demandé une injonction contre Google afin de l’obliger à retirer le site Web des défendeurs des résultats de recherche. Google a volontairement retiré 345 adresses de pages Web (URL) précises des résultats de recherche sur Google.ca, son moteur de recherche au Canada. Les défendeurs ont contourné le problème en déplaçant leur contenu vers d’autres pages Web, possédant des adresses URL différentes, au sein de leur site Web. Les demandeurs ont ramené l’affaire devant le tribunal, en vue d’obtenir une ordonnance obligeant Google à retirer toutes les pages Web figurant sous le nom de domaine des défendeurs de l’ensemble de ses résultats de recherche dans le monde entier, et non seulement ceux obtenus par l’entremise de Google.ca.

Devant la juge de première instance, Google, qui exploite son entreprise principalement à partir de la Californie et n’a aucune présence physique en Colombie-Britannique, a soutenu que la Cour suprême de la Colombie-Britannique n’avait aucune compétence territoriale sur Google. La juge de première instance a exprimé son désaccord. Dans sa décision, elle a conclu que Google avait réellement fait des affaires dans la province principalement parce qu’elle a vendu de la publicité à des résidents de la Colombie-Britannique, dont les défendeurs. Elle a également conclu que Google n’avait pas démontré que les tribunaux de la Californie étaient mieux placés pour se prononcer sur la demande.

Google a également fait valoir l’argument selon lequel le tribunal n’avait pas le pouvoir de rendre une ordonnance de cette nature puisque celle-ci viserait un tiers innocent et aurait des répercussions mondiales. En s’appuyant considérablement sur des décisions antérieures dans des cas d’injonctions Mareva mondiales (gel des actifs), la juge a conclu que le tribunal avait le pouvoir de rendre l’ordonnance.

Enfin, la juge a conclu qu’il était juste et équitable de rendre l’ordonnance, en raison des circonstances entourant cette affaire.

L’appel

Google a porté la décision en appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Dans sa décision rendue le 11 juin 2015, la Cour d’appel a jugé que les tribunaux de la Colombie-Britannique avaient compétence sur Google, confirmant ainsi la décision de la juge de première instance qui prévoit que Google exerçait des parties importantes de ses activités en Colombie‑Britannique. Outre le fait de se fonder sur les aspects publicitaires des activités de Google pour établir la compétence, la Cour d’appel a également déclaré que la collecte de données par l’indexation de sites Web qui sont des sites Web situés en Colombie-Britannique ou appartenant à des résidents de la Colombie-Britannique y constituait une partie importante des activités que Google exerçait dans cette province.

La Cour d’appel a soutenu que des ordonnances rendues contre des tiers qui ne sont pas des parties au litige en tant que mesure accessoire à la protection de droits constituaient une compétence bien établie des tribunaux et que les répercussions mondiales de l’ordonnance demandée ne constituaient pas un obstacle à son octroi. La Cour d’appel a également déclaré que, selon les faits dans cette affaire, il était pertinent d’accorder l’ordonnance.

Incidences

Cette décision élargit potentiellement les mesures de redressement possibles pour les sociétés qui tentent de protéger leur entreprise contre la concurrence déloyale découlant des produits contrefaits ou de contenu copié illégalement vendu ou distribué en ligne par des personnes qui sont hors de la portée des tribunaux ou qui tentent de se soustraire aux ordonnances des tribunaux.

De manière plus générale, la décision a des incidences importantes sur les sociétés qui fournissent une infrastructure technique ou commerciale sur le Web, même si elles n’ont pas d’établissement au Canada. Bien que la mesure de redressement en l’espèce se limitait à supprimer un site Web des résultats de recherche indexée, ce n’est probablement qu’une question de temps avant qu’on demande aux tribunaux canadiens d’accorder des mesures de redressement à l’égard d’un vaste éventail d’autres activités en ligne, s’il peut être démontré que ces mesures constituent une manière accessoire de mettre en œuvre une ordonnance du tribunal ou de protéger des droits. Les mesures de redressement demandées pourraient inclure une ordonnance enjoignant à un exploitant de noms de domaine de premier niveau (comme « .COM » ou « .CA ») de refuser l’utilisation d’un nom de domaine, une ordonnance enjoignant à un fournisseur de services Internet ou un exploitant de réseau de refuser l’accès à des parties du Web, une ordonnance enjoignant à un fournisseur de services infonuagiques de refuser l’utilisation de son infrastructure ou une ordonnance enjoignant à un réseau publicitaire ou à une bourse de valeurs de refuser l’accès à son réseau ou son marché. Dans la mesure où ces ordonnances sont demandées et obtenues, elles peuvent augmenter le coût que devraient engager ces entreprises pour s’y conformer, surtout si les ordonnances des tribunaux canadiens s’opposent aux obligations qui incombent aux entreprises en vertu de contrats ou de lois d’autres territoires.