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La Cour d'appel révoque l'ordonnance aux termes de laquelle la province doit payer des dommages-intérêts à la société d'exploitation forestière en raison d'un blocage routier autochtone

Auteur(s) : Sean Sutherland, Tommy Gelbman, Thomas Isaac

9 mars 2015

Le 26 février 2015, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « Cour ») a infirmé la décision du juge de première instance dans l’affaire Moulton Contracting Ltd c Colombie-Britannnique qui condamnait la province de la Colombie-Britannique (la « province ») à verser à Moulton Contracting Ltd. (« Moulton »), société d’exploitation forestière, la somme de 1,75 million de dollars en dommages-intérêts parce que celle-ci avait omis de l’aviser de la possibilité d’un blocage routier par les membres de la Première nation Fort Nelson (« PNFN »). La PNFN a érigé un barrage routier, et a ainsi empêché Moulton de mener à bien ses travaux d’exploitation forestière aux termes de ses permis de vente de bois (les « permis »).

Il s’agit de la dernière décision rendue dans cette bataille judiciaire amorcée en 2006 qui comprenait une décision de la Cour suprême du Canada (« CSC ») dans Behn c Moulton Contracting Ltd. (voir notre bulletin Actualités Osler pour de plus amples renseignements sur la décision Behn c Moulton).

Contexte

Les faits et la décision de première instance sont résumés dans un bulletin Actualités Osler antérieur. En résumé, après que la province a accordé les permis à Moulton, un membre de la PNFN a informé un employé de la province qu’il avait l’intention de « stopper l’exploitation forestière » parce que, entre autres, la récolte de bois dans cette région constituerait une violation des droits des Autochtones et des droits conférés par traité. La province n’a avisé Moulton de cette menace que deux mois plus tard, après que celle-ci avait déjà commencé sa récolte. Quelques jours plus tard, des membres de la PNFN ont érigé un barrage routier, empêchant Moulton de mener à bien ses travaux d’exploitation forestière aux termes des permis.

Le juge de première instance a conclu que la province avait violé une clause implicite des permis en omettant d’informer Moulton de la menace dès qu’elle a été lancée, et a accordé à Moulton des dommages-intérêts pour le manque à gagner découlant des autres contrats qu’elle aurait pu conclure. En outre, le juge de première instance a affirmé que la province avait une responsabilité concurrente en raison de la déclaration inexacte faite par négligence découlant de la violation de la déclaration implicite selon laquelle, mis à part les éléments communiqués à Moulton, elle ignorait qu’une Première nation avait manifesté son mécontentement par rapport au processus de consultation.

Décision

En appel, la Cour a déclaré ce qui suit :

  • les permis ne renfermaient aucune clause implicite (la « clause du mécontentement ») selon laquelle, mis à part les éléments communiqués à Moulton, la province ignorait qu’une Première nation avait manifesté son mécontentement par rapport au processus de consultation;
  • la province n’a fait aucune déclaration inexacte par négligence découlant de la violation d’une déclaration implicite et, dans tous les cas, une clause dans les permis exonérait la province de toute responsabilité dans les circonstances.

Aucune clause implicite

La Cour a déclaré que le juge de première instance avait erré en interprétant la clause du mécontentement fondée sur la « réalité commerciale » selon le point de vue des parties, et qu’il aurait plutôt dû l’interpréter en tenant compte de « l’intention véritable des parties au contrat compte tenu des circonstances réelles ».

De plus, la Cour a soutenu que le juge de première instance avait commis une erreur en omettant de considérer deux clauses des permis qui étaient incompatibles avec la clause du mécontentement. Ces clauses prévoyaient, respectivement, i) que la province se réservait le droit de suspendre un permis si, entre autres, une injonction était accordée en raison de la violation de droits des Autochtones et ii) que la province n’était pas responsable des pertes subies par le titulaire d’un permis en conséquence d’un acte ou d’une omission d’une personne qui n’est pas une partie au permis, ce qui comprend les barrages routiers. Par conséquent, les permis « envisageaient qu’un tiers puisse empêcher Moulton d’avoir accès à la zone d’exploitation forestière et exonéraient la province de toute responsabilité à cet égard ».

Aucune déclaration inexacte faite par négligence

En outre, la Cour a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur en concluant que la province avait fait une déclaration inexacte par négligence. Selon la Cour, aucune déclaration expresse n’a été faite, et aucune preuve ne permet de conclure que l’on a incité Moulton à se fier à la clause du mécontentement pour conclure les permis. De plus, la Cour ne peut s’appuyer sur aucun élément pour conclure que la province avait le devoir de communiquer à Moulton les détails du processus de consultation à un moment donné. Quoiqu’il en soit et, relativement à la présente affaire, la menace de « stopper l’exploitation forestière » a été lancée après que Moulton et la province ont conclu les permis. Enfin, pour les motifs susmentionnés, la clause du mécontentement était incompatible avec la relation contractuelle des parties aux termes des permis.

La Cour a également jugé que la clause d’exonération (mentionnée précédemment) protégeait la province contre la responsabilité résultant des actes de tiers visant à perturber ou à stopper la récolte de bois aux termes des permis. Ce faisant, la Cour a rejeté l’argument de Moulton selon lequel la clause d’exonération était abusive.

Portée de la décision

Dans cette affaire, la Couronne n’a pas été tenue civilement responsable de l’omission de communiquer à un cocontractant un problème lié au processus de consultation des Autochtones dont elle était au courant. Ce sont donc les intentions réelles des parties, attestées par les clauses d’un permis, entre autres, qui permettront de déterminer si cette responsabilité pourrait être retenue ou non.