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La CSC confirme que le critère à satisfaire pour obtenir l'autorisation d'intenter un recours collectif en valeurs mobilières a du mordant

Auteur(s) : Jessica Harding, Adam Hirsh, Silvana Conte

23 avril 2015

Theratechnologies Inc. c. 121851 Canada Inc.

Le 17 avril 2015, la Cour suprême du Canada a offert une victoire importante aux sociétés ouvertes canadiennes en statuant que le critère applicable pour obtenir l'autorisation d'intenter un recours collectif en cas d'atteinte, par une société, à son obligation de divulgation dans le marché secondaire oblige les tribunaux à évaluer la preuve et à déterminer qu'il y a une possibilité raisonnable et réaliste que le demandeur ait gain de cause. En accueillant l'appel de Theratechnologies Inc. et en infirmant la décision de la Cour d'appel du Québec d'autoriser un recours collectif projeté en vertu de l'article 225.4 de la Loi sur les valeurs mobilières (LVM) du Québec, la Cour a reconnu qu'étant donné que le mécanisme d'autorisation vise à filtrer les poursuites dénuées de fondement, le critère à satisfaire pour obtenir l'autorisation doit donc avoir du mordant et ne pas tout simplement constituer un « dos d’âne » à franchir dans le cadre du processus. Même si cela n'oblige pas le tribunal à tenir un « mini-procès » ou à entreprendre une évaluation complète de la preuve, le demandeur doit néanmoins offrir « une analyse plausible des dispositions législatives applicables » et présenter « des éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande » afin d'aller de l'avant avec sa poursuite. Bien que la décision de la Cour suprême ait été rendue dans le contexte d'un recours collectif projeté en vertu de la LVM, cette affaire a des implications pour les émetteurs publics partout au pays, étant donné que le critère pour l'autorisation est le même dans les autres provinces.

Contexte

Au printemps de 2010, Theratechnologies Inc. (Thera) attendait d'obtenir l'approbation de la FDA pour un nouveau médicament servant à réduire le surplus de gras abdominal chez les patients atteints du VIH. Alors même que la demande était traitée, Thera informait régulièrement ses actionnaires des résultats de ses essais cliniques mesurant le niveau de sécurité et d'efficacité du médicament. Durant le processus d'approbation, la FDA a soumis plusieurs questions sur le médicament, y compris au sujet de ses effets secondaires potentiels, à un comité consultatif d'experts, et les a rendues publiques dans une série de documents d'information affichés sur son site Web.  Ces questions ont ensuite été publicisées par des entreprises de cotation boursière, ce qui a entraîné une chute rapide du cours des actions de Thera. Thera n'a pas réagi publiquement, car elle croyait que les documents d'information qu'elle avait déjà fournis à la FDA et que les résultats cliniques déjà communiqués à ses investisseurs (qui concluaient que les effets secondaires étaient mineurs, transitoires et facilement gérables) répondaient de façon exhaustive aux questions précises soulevées par la FDA. Le demandeur, un actionnaire de Thera, a demandé qu'on l'autorise à intenter un recours collectif en dommages-intérêts, et il soutenait à cette fin que les questions de la FDA entraînaient un changement important dans l'activité, l'exploitation ou le capital de Thera, et que Thera avait manqué à son obligation de divulguer ce changement en temps opportun aux termes de l'article 73 de la LVM.

Le juge des requêtes et la Cour d'appel du Québec ont autorisé l'action à aller de l'avant, jugeant qu'il y avait une « possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause. » Thera a interjeté appel auprès de la Cour suprême.  La question en litige était de savoir si le demandeur pouvait satisfaire le deuxième volet du critère d'autorisation.

Le critère d'autorisation - Article 225.4 de la LVM

Au Québec, deux critères doivent être satisfaits pour que le tribunal autorise une action en dommages-intérêts lorsqu'une société a manqué à ses obligations de divulgation dans le marché secondaire, à savoir que a) l'action doit être intentée de bonne foi, et qu'il b) doit exister une « possibilité raisonnable » que le demandeur ait gain de cause. Ce critère à deux volets a été promulgué à l'article 225.4 de la LVM, et des dispositions semblables figurent dans les lois sur les valeurs mobilières de toutes les provinces.

Tel que la juge Abella l'explique dans ses motifs, la cause d’action créée par l'article 225.4 découle des efforts déployés dans l'ensemble du Canada pour que les investisseurs ayant subi une perte, à la suite du manquement d'une société à ses obligations d'information continue, puissent disposer d’un recours valable et plus accessible.

Avant la création du régime de responsabilité légale, les investisseurs du Québec devaient invoquer les règles générales de responsabilité civile pour obtenir une réparation au manquement d'une société à ses obligations d'information continue. Aux termes du Code civil du Québec, cela signifiait que les investisseurs avaient le lourd fardeau d'établir la faute, le préjudice subi et le lien causal entre la faute et le préjudice. Dans les ressorts de common law comme l'Ontario, les investisseurs devaient invoquer le délit de déclaration inexacte faite par négligence, ce qui les obligeait à prouver qu’ils s’étaient fondés sur une information erronée. Limités à ces causes d'action traditionnelles, les recours se sont révélés largement illusoires.

Le régime de responsabilité légale réduit le fardeau des investisseurs, par exemple, en prévoyant une cause d'action pour laquelle le demandeur n'a pas besoin de démontrer qu'il s'est fié à la déclaration inexacte. Mais il prévoit aussi une mesure de filtrage servant à éliminer les poursuites dénuées de fondement. Comme l'explique la Cour suprême, le nouveau régime « visait donc l’atteinte d’un équilibre entre la volonté de mettre un frein aux recours injustifiés ou opportunistes et celle d’offrir aux investisseurs un recours valable lorsque les émetteurs ne respectent pas leurs obligations d’information. »

Principales conclusions de la Cour suprême

L'article 225.4 de la LVM c. l'article 1003 du CPC

En vertu de la loi du Québec, le dépôt d'un recours collectif est régi par l'article 1003 du Code de procédure civile. La Cour suprême est d'accord avec la Cour d'appel lorsque celle-ci affirme que le critère de « possibilité raisonnable » prévu à l'article  225.4 de la LVM s'écarte du seuil général pour l'autorisation d'un recours collectif en vertu de l'article 1003 du CPC. Aux termes de ce dernier article, il suffit qu'il y ait apparence de droit. La Cour suprême a réitéré que le seuil peu élevé auquel il doit être satisfait pour obtenir l'autorisation d'exercer un recours collectif en vertu de l'article 1003 du CPC reflète le double objectif « de dissuasion et d’indemnisation inspirant le régime de recours collectif . » À l'article 225.4 de la LVM, toutefois, le législateur a employé un libellé différent dans le but de créer un mécanisme de filtrage plus exigeant pour les recours collectifs en valeurs mobilières, attribuant ainsi un important rôle de gardien aux tribunaux.

Une possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause

Dans son jugement, la Cour suprême a indiqué que le seuil énoncé à l'article 225.4 de la LVM exige qu'il y ait « une possibilité raisonnable ou réaliste que le demandeur ait gain de cause. » Selon la Cour suprême, pour qu'il y ait une possibilité réaliste que le demandeur ait gain de cause, ce dernier doit, à la fois, offrir une analyse plausible des dispositions législatives applicables et présenter des éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande. Bien que l'étape de l'autorisation prévue à l'article 225.4 de la LVM ne doive pas être mise en œuvre dans le cadre d'un mini-procès – il n'est pas nécessaire d'analyser complètement la preuve à ce stade-là – il doit néanmoins y avoir assez d'éléments de preuve pour convaincre le tribunal qu'il y a une possibilité réaliste que la demande soit tranchée en faveur du demandeur.

Dans cette affaire, le demandeur alléguait que Thera n'avait pas communiqué en temps opportun un changement important aux investisseurs. Aux termes de la Loi, un changement important comporte deux éléments : il doit y avoir un changement dans l'activité, l'exploitation ou le capital de l'émetteur, et ce changement doit être important (c.-à-d. qu'il doit être raisonnable de s'attendre à ce qu'il ait un effet appréciable sur le cours ou la valeur des titres de l'émetteur). En ce qui concerne les faits en litige, le demandeur n'a pas été mesure de citer quelque élément de preuve que ce soit qui aurait pu être considéré comme un changement dans l'activité, l'exploitation ou le capital de Thera au sens de la loi.  Les résultats des essais cliniques ont été divulgués aux actionnaires au fur et à mesure qu'ils devenaient disponibles et il n'y avait aucune nouvelle information sur les effets secondaires du médicament qui devait être communiquée en temps opportun lorsque la FDA a mentionné ces effets secondaires dans les documents d'information. Étant donné que la preuve ne permettait pas de conclure de manière crédible qu’un changement important avait donné naissance à des obligations d’information, la Cour suprême a conclu qu'il n’y avait aucune possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause.

Conséquences de la décision

L'interprétation par la Cour suprême du critère de « possibilité raisonnable » en vertu de l'article 225.4 fournit des lignes directrices importantes du plus haut tribunal au pays sur le critère applicable à la question de l'autorisation. Même si la décision se rapporte à la LVM, étant donné que les lois sur les valeurs mobilières partout au pays contiennent le même libellé, elle a des conséquences de grande portée et représente clairement une « victoire » pour les sociétés ouvertes qui sont exposées au risque de poursuites non fondées ou opportunistes. Comme la Cour suprême a confirmé clairement que le critère de l'autorisation est un critère qui repose sur le bien-fondé, il sera profitable pour les demandeurs dans certains cas d'opposer une défense robuste à la demande d'autorisation, y compris en présentant des faits contradictoires et une preuve d'experts, et en contre-interrogeant les souscripteurs d'affidavits du demandeur.