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Première décision canadienne sur le lieu de résidence d’une fiducie interprovinciale

Auteur(s) : Mary Paterson, Carrie D'Elia, François Auger

7 juillet 2015

La Cour suprême de Terre-Neuve et Labrador est le premier tribunal au Canada à statuer sur la province de résidence d’une fiducie pour les besoins de l’impôt. Dans la cause Discovery Trust (Acting Through Its Trustee Royal Trust Corporation of Canada) v. Canada (National Revenue), 2015 NLTD(G) 86, le juge Carl Thompson a appliqué le critère de « gestion centrale et contrôle » énoncé par la Cour suprême du Canada en 2012 dans la décision Fundy Settlement (Fundy Settlement c. Canada, 2012 CSC 14) (communément appelée l’affaire Fiducie familiale Garron), qui traitait de la question du lieu de résidence d’une fiducie dans le contexte international.

La fiducie, le changement de fiduciaire et l’opération

La fiducie a été créée en 2002 à Terre-Neuve. À ce moment-là, les premiers fiduciaires, qui étaient également les bénéficiaires, résidaient (pour la plupart) à Terre-Neuve.

En 2006, les bénéficiaires ont donné leur démission à titre de fiduciaires et le bureau de Calgary de la Compagnie Trust Royal a été nommé comme fiduciaire remplaçant. L’actif de la fiducie - composé d’actions d’une société de portefeuille (Holdco) – a été transféré en Alberta.

Entre 2006 et 2008, plusieurs opérations ont eu des répercussions sur les actions de Holdco et ont par conséquent exigé l’autorisation du fiduciaire.  En 2008, le principal élément d’actif de Holdco a été vendu, entraînant une distribution du produit de la vente à Holdco et finalement à la fiducie. Ce produit a été imposé entre les mains de la fiducie aux taux en vigueur en Alberta.

Avant la conclusion de la vente, les bénéficiaires ont présenté des demandes formelles d’empiètement, demandant au fiduciaire de leur distribuer le produit de la vente. Le fiduciaire a approuvé les demandes et le produit a été distribué aux bénéficiaires.

L’ARC a émis à la fiducie un nouvel avis de cotisation pour l’exercice 2008, alléguant que la fiducie était résidente de Terre-Neuve, où résidaient la majorité des bénéficiaires de la fiducie, et non de l’Alberta, où le fiduciaire exerçait ses fonctions. Selon l’ARC, les bénéficiaires ont pris la place du fiduciaire en approuvant l’activité dans la fiducie. La fiducie a porté cette décision en appel.

En accueillant l’appel de la fiducie, le tribunal a donné une idée de ce que l’on attend d’un fiduciaire prudent qui exerce la gestion et le contrôle d’une fiducie. Le tribunal a également expliqué que la participation de tiers à la fiducie est courante en matière commerciale et ne suffit pas à enlever le contrôle d’une fiducie au fiduciaire. Finalement, le tribunal a conclu que des motifs fiscaux ne devraient pas teinter la décision de fait visant à déterminer qui détient la gestion centrale et le contrôle d’une fiducie.

Points principaux

1. La décision Fundy Settlement et le critère de la gestion centrale et du contrôle s’appliquent pour établir la province de résidence.

Le juge Thompson a examiné la décision de la Cour suprême dans l’affaire Fundy Settlement, dans laquelle la Cour a établi que le lieu de résidence d’une fiducie se trouve là où s’exercent sa gestion centrale et son contrôle.  Il a ensuite appliqué la décision Fundy Settlement, confirmant que le critère de la gestion centrale et du contrôle adopté dans la décision Fundy Settlement s’applique aussi dans le contexte national pour établir la province de résidence d’une fiducie. Il s’agit de la première décision au Canada confirmant que la décision dans l’affaire Fundy Settlement s’applique aussi bien à l’échelle interprovinciale qu’internationale.

2. La gestion centrale et le contrôle sont évalués dans le contexte des biens de la fiducie.

L’affaire Discovery Trust met en évidence le fait que la nature des éléments d’actif de la fiducie éclaire le niveau de participation attendu d’un fiduciaire. Par exemple, la fiducie détenait uniquement des actions dans une société de portefeuille, ce qui exigeait une gestion active minimale. Cependant, les actions du fiduciaire lors de l’approbation de réorganisations simples de sociétés et les demandes d’empiètement constituaient une gestion centrale et un contrôle. Le juge Thompson a conclu, en se fondant sur la preuve présentée, que cette approbation [traduction] « était nécessaire et a été effectuée avec prudence. » 

3. La consultation des bénéficiaires est acceptable et prudente.

Dans la décision Discovery Trust, le tribunal a également précisé que la participation des bénéficiaires ou de leurs conseillers aux activités de la fiducie n’entraîne pas nécessairement la renonciation par le fiduciaire à son contrôle sur la fiducie en question. Dans chaque cas, il est nécessaire d’établir qui, en dernier ressort, a le pouvoir de prendre les décisions.

De plus, le tribunal a jugé que le fait d’obtenir le consentement des bénéficiaires à des opérations constituait une pratique commerciale courante qui appuyait l’opinion du fiduciaire selon laquelle ces opérations étaient dans l’intérêt véritable des bénéficiaires. Le juge Thompson a déclaré que : [traduction] « Le fiduciaire conserve son indépendance en examinant l’opération, en obtenant suffisamment d’explications pour pouvoir prendre une décision éclairée et en s’assurant que la décision n’entraîne pas de conséquences négatives et est dans l’intérêt des bénéficiaires. Dans les demandes de consentement visées ici, le dossier indique que la Compagnie Trust Royal a exercé cette fonction indépendante à titre de fiduciaire. »

Finalement, le juge Thompson a déclaré que les demandes de distribution présentées par les bénéficiaires ne sont pas inhabituelles et ne devraient pas régir la décision relative au contrôle de la fiducie. Le tribunal suggère plutôt, dans l’affaire Discovery Trust, que le fait de consulter les bénéficiaires ne devrait pas être considéré comme une renonciation par le fiduciaire à son pouvoir, pourvu qu’il conserve la prérogative de prendre la décision finale.

4. Un motif fiscal n’est pas pertinent pour la détermination du lieu de résidence.

Le juge Thompson a décidé que l’ARC n’aurait pas dû mettre l’accent sur le motif perçu comme « répréhensible » à l’origine du déplacement de la fiducie en Alberta pour des raisons fiscales dans le cadre de l’analyse technique du lieu de résidence. Il a jugé que l’accent mis par l’ARC sur un motif fiscal répréhensible avait [traduction] « dominé le processus par lequel la [vérification] est entreprise et effectuée » et « compromis de manière apparente l’intégrité d’un raisonnement indépendant pour les conclusions sur lesquelles la nouvelle cotisation pouvait être fondée ».

La décision dans Discovery Trust met en garde les autorités fiscales contre le fait de permettre à une perception de motifs fiscaux de teindre le processus de vérification, d’objection et d’appel en l’absence d’une disposition spécifique ou générale anti-évitement applicable. 

Conclusion

La décision dans l’affaire Discovery Trust  constitue le premier précédent canadien sur la question précise de la province de résidence d’une fiducie pour les besoins de l’impôt. Elle confirme que le critère de « gestion centrale et contrôle » appliqué dans la décision Fundy Settlement s’applique également dans le contexte national. Discovery Trust précise aussi quels faits indiquent qu’un fiduciaire a réellement exercé le contrôle sur une fiducie lorsque cette fiducie détient des actions d’une société de portefeuille.

Osler, avec l’aide de McInnes Cooper à St. John’s, a représenté le fiduciaire-appelant gagnant dans cette cause. Si vous avez des questions, veuillez communiquer avec les auteurs.