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Privilèges d’exploitant : protéger les intérêts des exploitants du secteur du pétrole et du gaz naturel

Auteur(s) : Daina Kvisle

14 juillet 2015

Les conventions d’exploitation, de traitement ou de transport dans le secteur du pétrole et du gaz naturel confèrent généralement à la société d’exploitation, de traitement ou de transport qui les conclut un privilège de premier rang à l’égard de l’objet de la convention (soit les terrains, la production et/ou l’équipement conjoints) (le privilège d’exploitant). Le privilège d’exploitant est un outil efficace qui protège les intérêts de l’exploitant dans l’éventualité où un propriétaire ou un producteur conjoint omet d’effectuer un paiement dans le cours normal des activités. Cependant, la situation se complique lorsque le propriétaire ou le producteur conjoint demande la protection contre ses créanciers en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) et que l’exploitant a omis d’enregistrer ou de parfaire autrement son privilège d’exploitant. Les tribunaux d’Alberta ont d’ailleurs déclaré à ce sujet que les privilèges d’exploitant qui ne sont pas parfaits sont subordonnés aux sûretés.

De manière générale, un privilège est : a) consensuel; b) possessoire ou c) de common law. Comme les privilèges d’exploitant découlent d’un contrat, ils sont généralement considérés comme des privilèges consensuels. Même si différents types de privilège qui découlent de l’application de la loi, comme les privilèges de construction, continuent d’avoir priorité sur d’autres sûretés dans le cadre de procédures engagées en vertu de la LACC, les tribunaux de l’Alberta jugent que les privilèges qui découlent d’un contrat ne bénéficient pas du même statut prioritaire absolu conféré par l’article 32 de la loi de l’Alberta intitulée Personal Property Security Act (la PPSA) [1]. Les privilèges consensuels sont régis par l’article 35 de la PPSA et leur rang sera déterminé en fonction du moment de la perfection de la sûreté, par possession ou enregistrement [2].

La perfection par possession comporte un certain nombre de difficultés. En général, l’exploitant, particulièrement un exploitant d’actifs conjoints, a déjà en sa possession les biens matériels visés par le privilège. Cependant, il en est autrement de la production, qui peut être beaucoup plus encombrante. La possession d’une production exige que l’exploitant acquière des entrepôts, qui sont parfois difficiles à trouver, et en paie le coût. En outre, la perfection par possession n’a pas beaucoup de valeur lorsque la production saisie ne couvre pas le montant de la créance.

À notre avis, en partie en raison des difficultés que comporte la perfection par possession, la perfection par enregistrement représente la meilleure solution. Aux termes de l’alinéa 10(1)d) de la PPSA, une sûreté est opposable à un tiers si une convention de sûreté renfermant une description des biens donnés en garantie a été signée. La convention d’exploitation, de traitement ou de transport qui prévoit la création du privilège d’exploitant est considérée comme une convention de sûreté acceptable. En plus de pouvoir grever d’une sûreté certains types de biens personnels, notamment des biens corporels comme de l’équipement, un créancier peut également enregistrer une sûreté à l’égard de certains biens incorporels. En particulier, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a déclaré dans Kasten Energy Inc. v. Shamrock Oil & Gas Ltd[3] qu’une concession de pétrole et de gaz naturel peut être considérée comme un bien incorporel donné en garantie et qu’une fois extraite, la production peut faire l’objet d’une sûreté. Il y a lieu de préciser que certains intérêts liés à des concessions de pétrole et de gaz naturel ne sont pas visés par la PPSA, notamment les intérêts relatifs à des redevances dérogatoires ou à des profits nets qui sont considérés comme des intérêts fonciers et ne peuvent donc pas être enregistrés dans le registre des droits relatifs aux biens personnels [4]. Cependant, une sûreté immobilière peut être enregistrée dans le registre des droits relatifs aux biens personnels parce qu’elle ne vise pas à garantir l’intérêt foncier d’un créancier, mais plutôt le paiement ou l’exécution d’une obligation. 

Il n’est pas pratique ni nécessaire pour un exploitant d’enregistrer des sûretés dans le registre des droits relatifs aux biens personnels à l’égard de tous les autres propriétaires ou producteurs conjoints avec lesquels il fait affaire, particulièrement les propriétaires ou producteurs conjoints d’envergure qui sont des sociétés bien établies ayant fait leurs preuves. Cependant, il est recommandé de repérer les parties qui présentent un risque de défaut, particulièrement les sociétés qui ont eu des retards de paiement. Bien que le privilège d’exploitant enregistré puisse être subordonné à des sûretés antérieures, il a priorité par rapport aux privilèges qui ont été enregistrés ultérieurement et aux obligations non garanties.

 

[1] Kasten Energy Inc. v. Shamrock Oil &Gas Ltd., 2013 ABQB 63, au par. 31.

[2] Richard H. McLaren, Secured Transactions in Personal Property in Canada, 3éd. (Toronto, ON : Thomson Canada Limited, 2013), à 3.01(3)(c)(iv)(B) (WestlawNext Canada). Voir également : Bank of Montreal v. Dynex Petroleum Ltd. (1995), 1995 CarswellAlta 710, 11 P.P.S.A.C. (2e) 291 (Alta. Q.B.) infirmée (1997), 1997 CarswellAlta 209, 12 P.P.S.A.C. (2e) 183 (Alta. Q.B.), infirmée (1999), 1999 CarswellAlta 1271, 15 P.P.S.A.C. (2e) 179 (Alta. C.A.), confirmée (2001), 2001 CarswellAlta 1461, 2001 CarswellAlta 1462 (C.S.C.), motifs supplémentaires à (2002), 2002 CarswellAlta 54, 2002 CarswellAlta 55, 30 C.B.R. (4e) 168 (C.S.C.).

[3] Personal Property Security Act, R.S.A. 2000, ch. P-7. Voir également : Ronald C.C. Cuming & Roderick J. Wood, Alberta Personal Property Security Act Handbook, 4e éd. (Toronto, ON : Carswell Thomson Professional Publishing, 1998), 302.

[4] Voir : Re Blue Range Resources Corp., 1999 ABQB 873.