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Application des lois et des règlements en matière de valeurs mobilières : les capacités d’application des organismes de réglementation continuent de croître

Auteur(s) : Lawrence E. Ritchie, Tristram Mallett, Shawn Irving

6 décembre 2016

Alors que les mesures d’application des lois et des règlements en matière de valeurs mobilières se sont intensifiées aux États-Unis en 2016, les cas litigieux d’application réglementaire au Canada ont été éclipsés par un nombre important de règlements à l’amiable « sans contestation » en Ontario qui ont permis d’obtenir environ 250 millions de dollars en compensation et en frais remboursés aux clients.

Bien qu’il y ait eu peu d’affaires judiciaires dignes de mention sur le plan réglementaire au Canada, un certain nombre d’autorités se sont donné de nouveaux outils à utiliser dans leurs luttes contre les abus du marché financier. La CVMO est devenue le premier organisme de réglementation au Canada à présenter une politique de dénonciation fondée sur des primes (« “bounty-based” whistleblower policy »). Cette politique est saluée par la CVMO comme un grand changement et un important moyen d’obtenir la preuve nécessaire pour s’attaquer à certaines infractions complexes en matière de valeurs mobilières, comme les opérations d’initié, la manipulation du marché et la fraude sophistiquée, qui ont toujours échappé aux organismes de réglementation. L’organisme de réglementation des valeurs mobilières du Québec, l’Autorité des marchés financiers (AMF), a aussi lancé son propre programme de dénonciation cette année. Il s’agit toutefois d’un programme qui n’offre pas de récompenses pécuniaires aux dénonciateurs, mais met plutôt l’accent sur l’offre de protections à ceux qui dénoncent les inconduites.

Ces initiatives étendues d’application de la loi viennent après que les organismes de réglementation, en 2015, eurent collectivement imposé le double du montant des sanctions pécuniaires imposées en 2014, en plus d’avoir imposé le montant total le plus élevé de peines pécuniaires depuis 2009.

La CVMO et l’AMF lancent des programmes de dénonciation

Afin d’encourager le signalement des inconduites des sociétés, la CVMO a lancé en juillet 2016 son programme de dénonciation et instauré le Bureau de la dénonciation. Calqué sur le programme de dénonciation lancé il y a quelques années par la SEC, mais avec certaines différences clés, le programme de la CVMO offre une « prime » aux personnes qui donnent des renseignements à l’organisme de réglementation lorsque ces renseignements mènent à des mesures d’application de la loi contre les contrevenants aux lois en matière de valeurs mobilières.

Aux termes du programme de la CVMO, si un dénonciateur fournit des renseignements menant à l’introduction d’une instance administrative qui donne lieu à l’imposition d’une sanction ou à un règlement, le dénonciateur pourrait être admissible à une récompense de 5 % à 15 % du total des sanctions imposées et/ou des paiements volontaires versés s’ils totalisent plus de 1,0 million de dollars. La première tranche de 1,5 million de dollars attribuée au dénonciateur ne dépend pas de la perception de ces pénalités par l’organisme de réglementation, et les récompenses sont plafonnées à un maximum de 5 millions de dollars. La méthode de la CVMO diffère du programme de dénonciation de la SEC, qui ne prévoit pas de plafond pour le montant total de la récompense, et qui a versé des récompenses s’étant élevées à 30 millions de dollars américains en 2014 et à 17 millions de dollars américains en juin 2016. Bien que, dans certains cas, les dénonciateurs qui sont eux-mêmes coupables soient admissibles à une récompense aux termes du programme de la CVMO, les récompenses versées à ces dénonciateurs diminueront vraisemblablement suivant leur niveau de complicité dans les inconduites dénoncées.

Les personnes occupant un poste lié à la conformité – par exemple, les auditeurs internes ou externes, les chefs de la conformité, les administrateurs, les dirigeants et les avocats internes – sont admissibles aux récompenses de dénonciation de la CVMO dans certains cas, notamment lorsqu’au moins 120 jours se sont écoulés depuis qu’ils ont signalé l’inconduite conformément aux procédures appropriées. Les employés qui n’occupent pas l’une de ces fonctions peuvent faire leur signalement directement à la CVMO; ils ne sont pas tenus de signaler d’abord la possible inconduite de la société en passant par les canaux internes de l’entreprise afin d’être admissibles à une récompense de dénonciation. Cette méthode pourrait miner la culture de conformité dans certaines sociétés en incitant les employés à contourner les processus internes pour favoriser un signalement direct à la CVMO dans l’espoir d’obtenir des récompenses de dénonciation lucratives.

Le nouveau programme de dénonciation prévoit aussi une protection pour les employés qui dénoncent les inconduites. Dernièrement, la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario (LVM) a été modifiée pour interdire les représailles contre les employés dénonciateurs par leurs employeurs et pour annuler toute entente de confidentialité empêchant les employés de dénoncer les inconduites des sociétés. La CVMO a le pouvoir de faire respecter ces dispositions anti‑représailles en vertu de la compétence en matière d’intérêt public que lui accorde la LVM. De plus, la CVMO est tenue de faire « tous les efforts raisonnables » pour protéger l’identité des dénonciateurs, sauf si le dénonciateur consent à dévoiler son identité ou si la divulgation de son identité est nécessaire pour permettre au défendeur de présenter une défense pleine et entière dans le cadre d’une procédure administrative.

Le Bureau de la dénonciation a reçu plus de 30 tuyaux dans les deux premiers mois et demi écoulés depuis sa création. Selon Maureen Jensen, la nouvelle présidente de la CVMO, ces tuyaux détaillent des infractions visées par la CVMO dans ses mesures d’application des lois et des règlements en matière de valeurs mobilières, que la CVMO n’aurait pas pu déceler autrement, telles que des anomalies comptables et des défauts de divulguer de l’information.

En revanche, le programme de dénonciation de l’AMF ne prévoit pas de récompenses financières pour ceux qui signalent des infractions aux lois et règlements en matière de valeurs mobilières et met l’accent sur l’offre de mesures de protection aux dénonciateurs. Aux termes du programme de l’AMF, les dénonciateurs bénéficient du privilège de l’informateur et de la protection de différentes mesures anti-représailles, comme une immunité contre les poursuites civiles possibles pouvant découler de la dénonciation d’une inconduite.

Record du nombre de règlements à l’amiable sans contestation

Le lancement du programme de dénonciation de la CVMO coïncide avec l’approbation par l’organisme de réglementation d’un nombre inégalé de règlements à l’amiable sans contestation. Lancés en 2014 dans le cadre du programme de crédit de coopération de la CVMO en vue de récompenser les participants de l’industrie qui dénoncent les inconduites et collaborent avec l’organisme de réglementation, les règlements à l’amiable sans contestation permettent aux auteurs présumés d’un acte répréhensible dans les procédures administratives de conclure un règlement avec la CVMO dans le cadre de procédures administratives sans qu’ils n’aient à admettre leur culpabilité.

Avant 2016, le plus important règlement à l’amiable sans contestation approuvé par la CVMO était un règlement de 13,5 millions de dollars conclu avec une importante institution financière canadienne en novembre 2014 et concernait des frais excédentaires payés par les clients. Ce règlement a été éclipsé en février 2016 par un règlement à l’amiable sans contestation au terme duquel une société de gestion de placement a convenu de rembourser 156,1 millions de dollars aux investisseurs lésés par suite d’allégations selon lesquelles la valeur de certains fonds communs de placement avait été calculée de façon inexacte.

D’autres règlements à l’amiable sans contestation approuvés par la CVMO en 2016 ont aussi dépassé le record antérieur. En juillet 2016, un règlement d’environ 20 millions de dollars conclu avec trois courtiers d’une institution financière canadienne a été approuvé dans un contexte de frais payés en trop que les systèmes de contrôle interne des courtiers n’avaient pas détectés. La CVMO a approuvé un règlement à l’amiable sans contestation encore plus important avec plusieurs courtiers d’une autre banque canadienne en octobre 2016. Ces courtiers ont convenu de verser aux clients une compensation totale de 73,3 millions de dollars, y compris des coûts de renonciation, en lien avec le paiement de frais excédentaires. Malgré la hausse considérable du montant des règlements à l’amiable sans contestation cette année, les règlements de la CVMO sont considérablement moins importants que ceux conclus et approuvés par la SEC, y compris le règlement controversé entre la SEC et Citigroup pour un montant de 285 millions de dollars américains.

Les récentes décisions précisent la portée territoriale de la compétence des organismes de réglementation provinciaux, la déférence qui leur est accordée et la qualité pour agir d’une partie privée

En 2015, les infractions les plus fréquentes liées aux valeurs mobilières visées par les organismes de réglementation en valeurs mobilières concernaient les distributions illégales, la fraude et les opérations d’initié. En 2016, plusieurs décisions judiciaires et réglementaires ont eu des incidences importantes sur l’application des lois et règlements en matière de valeurs mobilières :

  • McCabe c. Columbie-Britannique (Securities Commission) : La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé que l’organisme de réglementation des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique a la compétence à l’égard des actes présumés fautifs touchant les valeurs mobilières lorsqu’il existe un lien réel et important entre l’inconduite et la province. C’est le cas même si le lien entre l’inconduite et la province de l’organisme de réglementation n’est pas aussi fort qu’avec une autre province.
  • Fiorillo c. Commission des valeurs mobilières de l’Ontario : La Cour divisionnaire de l’Ontario a clairement signalé que les cours d’appel feront preuve d’une grande déférence à l’égard des connaissances spécialisées des marchés dont dispose la CVMO au sujet des marchés de capitaux. En rejetant un appel d’une décision de la CVMO selon laquelle les appelants avaient participé à des opérations d’initié et à des activités de tuyautage, la Cour a fait remarquer qu’il n’était pas rare dans les cas de délits d’initié et de tuyautage que la preuve soit en grande partie circonstancielle. Osler représentait l’une des parties dans le cadre de l’appel. (Au moment de la rédaction de la présente rétrospective, la décision de la CVMO dans Finkelstein, où on a tiré des conclusions similaires en s’appuyant sur des preuves circonstancielles, était encore en cours d’appel.)
  • Corus Entertainment : La CVMO a restreint la portée de la qualité pour agir d’une partie privée pour agir dans l’intérêt public dans le cas de procédures touchant des opérations contestées (article 127). The Catalyst Group, qui s’opposait à la proposition de Corus Entertainment d’acquérir Shaw Media, s’est vu refuser la qualité pour agir afin d’introduire une requête devant la CVMO, en vertu de sa compétence en matière d’intérêt public, pour enjoindre à Corus de modifier ou de compléter sa circulaire de sollicitation de procurations par la direction. En raison du moment stratégique du dépôt de la requête, Corus aurait été obligée de reporter son assemblée extraordinaire. La décision dans l’affaire Corus restreint considérablement la portée de la qualité d’une partie privée pour agir aux termes de l’article 127 de la LVM et représente un retour en arrière par rapport aux décisions antérieures rendues sur la question. Osler représentait Corus dans le cadre de cette instance.
  • La Reine c. Peers : La Cour suprême du Canada a accordé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel de l’Alberta qui a conclu que les accusations portées en vertu de la Securities Act de l’Alberta (l’« ASA ») ne justifiaient pas un procès devant jury. L’alinéa 11f) de la Charte donne à tout inculpé le droit de bénéficier d’un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l’infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou « une peine plus grave ». Dans Peers, les personnes accusées d’infractions aux termes de l’article 194 de l’ASA, dont la peine maximale d’emprisonnement est de cinq ans moins un jour, plus une amende maximale de 5 millions de dollars, ont fait valoir que la peine potentielle correspondait à une « peine plus grave » et qu’elles avaient donc droit à un procès devant jury. La Cour d’appel de l’Alberta n’était pas d’accord, déclarant que la législature avait choisi délibérément un emprisonnement de cinq ans moins un jour comme peine maximale afin d’éviter que les questions complexes en matière de valeurs mobilières soient tranchées par un jury.

Grâce aux nouveaux outils qui leur ont été donnés récemment pour aider à lutter contre les abus des marchés financiers, les organismes de réglementation en matière de valeurs mobilières en Ontario et au Québec espèrent faire des progrès considérables dans l’application des lois et des règlements en matière de valeurs mobilières au Canada. Pour l’instant, cependant, il semble que le nombre de mesures d’application des lois et des règlements en matière de valeurs mobilières soit limité, tandis qu’on observe un nombre restreint d’audiences contestées comparativement aux années antérieures. De plus, bien que le programme de dénonciation de la CVMO ait très tôt réussi à encourager le tuyautage, aucun de ces tuyaux n’a encore progressé jusqu’à l’étape d’une procédure publique d’application, ou jusqu’à celle du versement d’une récompense de dénonciation. L’efficacité future des programmes de dénonciation de l’Ontario et du Québec pourrait encourager les organismes de réglementation des valeurs mobilières d’autres provinces à enrichir leurs trousses d’outils d’application de la loi et à adopter des programmes similaires.