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Droit sur les mutations immobilières au Québec : modifications majeures apportées par le Budget du Québec de 2016

Auteur(s) : Alain Fournier, Manon Thivierge, Marc Richardson Arnould

24 mars 2016

Le 17 mars 2016, le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, a annoncé par le dépôt de son budget (le « Budget 2016 ») des modifications majeures à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (la « loi »). Malgré que le Budget 2016 qualifie ces modifications de mesures visant à assurer l’intégrité et l’équité du régime sur les droits de mutations immobilières, ces mesures comprennent des modifications qui pourraient entraîner le paiement de droits de mutation à l’égard de transactions et d’opérations légitimes qui n’étaient pas autrefois assujetties à des droits sur les mutations immobilières. Ces modifications sont substantielles et sont applicables depuis le 18 mars 2016 et à ce titre peuvent affecter tous les transferts effectués depuis cette date. De façon sommaire, les changements annoncés sont les suivants:  

  • modification du moment d’exigibilité du droit de mutation qui sera désormais payable lors du transfert de l’immeuble et non à la date d’inscription au registre foncier, et introduction de l’obligation de divulguer aux municipalités les transferts d’immeubles non inscrits au registre foncier dans les 90 jours suivant une transaction;
  • abolition de certaines exonérations se rapportant aux transferts d’immeubles entre deux personnes morales étroitement liées
  • obligation de maintenir les conditions d’exonération pendant une certaine période dans le contexte de certaines transactions exonérées du paiement du droit de mutation; et
  • précisions quant aux conditions d’exonération basées sur la détention d’actions votantes ayant plein droit de vote.

De plus, afin de pallier certains traitements inéquitables, le ministre a également annoncé l’introduction d’une exonération du paiement du droit de mutation lorsque le transfert d’un immeuble est effectué entre conjoints de fait qui mettent fin à leur union ainsi qu’une modification visant à donner effet à certaines ententes entre le gouvernement du Québec et certaines organisations gouvernementales internationales.

Ces modifications incluent également des mécanismes de divulgation qui, en cas de défaut de production de l’avis dans le délai imparti, pourraient entraîner l’obligation de verser un montant additionnel correspondant à 50 % du droit de mutation en plus d’une somme correspondant au droit de mutation.

Exigibilité du droit de mutation et introduction d’un mécanisme de divulgation des transferts d’immeubles non inscrits au registre foncier

La loi impose aux municipalités l’obligation de percevoir un droit de mutation sur le transfert de tout immeuble situé sur son territoire, mais suspendait le droit de perception jusqu’au moment où le transfert était inscrit au registre foncier. Pour des raisons commerciales, certains transferts d’immeubles n’étaient pas inscrits au registre foncier de sorte que l’exigibilité du droit de mutation était reportée indéfiniment.

Le Budget 2016 modifie le moment d’exigibilité du droit de mutation qui sera désormais payable lors du transfert de l’immeuble et non à la date de son inscription au registre foncier. Afin d’assurer le paiement du droit de mutation, la loi sera modifiée afin d’introduire une obligation pour chacun des cessionnaires de l’immeuble de divulguer le transfert à la municipalité lorsque l’acte constatant le transfert n’est pas inscrit au registre foncier dans les 90 jours suivant la date du transfert.

Le droit de mutation résultant d’un transfert qui n’est pas inscrit au registre foncier sera payable avant le 31jour suivant l’envoi du compte au cessionnaire par la municipalité. Il convient de noter que le cessionnaire qui versera le droit de mutation à la suite de la divulgation du transfert d’un immeuble qui n’a pas été inscrit au registre foncier à l’intérieur du délai de 90 jours ne sera pas tenu de verser un droit de mutation additionnel lors de l’inscription ultérieure de ce transfert au registre foncier.  

La Loi sur les impôts sera modifiée de façon à ce qu’un cessionnaire soit tenu de payer au ministre du Revenu un droit supplétif égal à 150 % du droit de mutation payable à l’égard du transfert d’un immeuble effectué en sa faveur s’il ne produit pas à la municipalité concernée l’avis de divulgation du transfert à l’intérieur du délai requis. Ce montant portera intérêt à compter de la date où le cessionnaire est devenu en défaut de produire l’avis jusqu’à la date à laquelle le ministre du Revenu reçoit le paiement du droit supplétif. Dans la mesure où le cessionnaire paie le droit de mutation résultant du transfert de l’immeuble à l’extérieur du délai requis pour produire l’avis, le cessionnaire sera néanmoins tenu de verser un droit supplétif représentant 50 % du droit de mutation qui serait payable à l’égard de ce transfert et ce, malgré le fait que le transfert puisse faire l’objet d’une exonération.

Le Budget 2016 ne prévoit pas imposer un droit de mutation à l’égard des transferts non inscrits effectués avant le 18 mars 2016. Cependant, les transactions effectuées après le 17 mars 2016 en vue de réunir au sein d’une même entité le propriétaire véritable et l’entité qui apparaît au registre foncier devront être révisées scrupuleusement afin de confirmer l’exonération applicable sous les nouvelles règles et éviter un dédoublement du paiement du droit de mutation.

Abolition et resserrement de certaines dispositions accordant une exonération du paiement du droit de mutation

La loi prévoit une exonération du paiement du droit de mutation lorsque le transfert d’un immeuble est effectué par un cédant, qui est une personne physique, à un cessionnaire, qui est une personne morale, dont au moins 90 % des actions de son capital-actions émises et ayant plein droit de vote sont la propriété du cédant immédiatement après le transfert. Une telle exonération s’applique également, mutatis mutandis, à l’égard de transferts en amont, c’est-à-dire, lorsque le cédant d’un immeuble est une personne morale et que le cessionnaire est une personne physique qui, immédiatement avant le transfert, est propriétaire d’au moins 90 % des actions émises, ayant plein droit de vote, du capital-actions du cédant.

De plus, la loi prévoit une exonération lorsque le transfert d’un immeuble est effectué entre deux personnes morales (dites « étroitement liées ») et qu’au moment du transfert l’une des situations suivantes s’applique :

  • au moins 90 % des actions émises, ayant plein droit de vote, du capital-actions de la personne morale sont la propriété de la personne morale donnée, d’une filiale déterminée de la personne morale donnée, d’une personne morale dont la personne morale donnée est une filiale déterminée, d’une filiale déterminée d’une personne morale dont la personne morale est une filiale déterminée ou d’une pluralité de telles personnes morales ou filiales (nous référons ci-après à cette exonération par « test de vote »);
  • au moins 90 % de la juste valeur marchande (« JVM ») de toutes les actions émises et en circulation du capital-actions de la personne morale sont la propriété de la personne morale donnée ou lorsqu’au moins 90 % de la JVM de toutes les actions émises et en circulation du capital-actions de la personne morale et de la personne morale donnée sont la propriété soit d’une même personne morale, soit d’un même groupe de personnes morales (nous référons ci-après à cette exonération par « test de JVM»).

La disposition accordant l’exonération du paiement du droit de mutation dans le cadre du test de JVM sera abrogée en raison de la difficulté d’assurer le respect de cette condition. Le test de JVM avait été introduit en 2002 afin de permettre les transferts d’immeubles entre deux sociétés qui font partie d’un groupe corporatif complexe sans devoir multiplier les transactions. Le retrait de cette exonération pourrait faire en sorte que des transferts d’immeubles à l’intérieur d’un groupe corporatif soient assujettis à des droits de mutation et qu’il ne soit pas possible de procéder à des transferts multiples comme c’était le cas avant 2002 en raison de l’introduction d’une règle visant le maintien des conditions d’exonération discutée ci-après.

La loi sera également modifiée pour préciser que le pourcentage prévu ci-haut dans le cadre du test de vote doit s’établir en prenant en compte le nombre de votes rattachés aux actions du capital-actions de la personne morale et non le nombre d’actions ayant plein droit de vote.[1]

Introduction d’une obligation de maintien de la condition d’exonération lors de certains transferts d’immeubles

La loi sera modifiée de façon à introduire une obligation de maintien de la condition d’exonération pour une période minimale de 24 mois suivant la date du transfert d’un immeuble.  Dans le cas où la condition d’exonération cessera d’être satisfaite avant la fin de la période minimale, le cessionnaire sera tenu au paiement du droit de mutation qui aurait été payable si l’exonération n’avait pas été applicable à la date où, pour la première fois, la condition aura cessé d’être applicable.

L’introduction de cette obligation pourrait faire en sorte qu’un droit de mutation devienne payable à l’égard d’un transfert d’immeuble exonéré ayant été effectué après le 17 mars 2016 en raison d’une réorganisation corporative, d’une émission d’actions ou d’une autre opération affectant le cédant ou le cessionnaire.

De surcroît, lorsque le transfert est effectué par un cédant qui est une personne morale en faveur d’une personne physique, la loi sera modifiée de façon à introduire une obligation de maintien de la condition d’exonération pour une période minimale de 24 mois précédant immédiatement la date du transfert. Dans le cas où la personne morale qui a cédé l’immeuble aura été constituée moins de 24 mois avant le transfert de cet immeuble, l’exonération du paiement du droit de mutation sera accordée si la condition d’exonération est satisfaite à compter de la date de la constitution de la personne morale jusqu’au moment précédant immédiatement le transfert.

Des règles seront également introduites pour assurer l’intégrité de cette mesure afin qu’une personne qui a un droit d’acquérir des actions ou d’en contrôler les votes soit réputée dans certaines circonstances comme ayant acquis ces actions.

En raison de l’introduction de cette obligation de maintien de la condition d’exonération, la règle anti-évitement lors de certaines acquisitions de contrôle du cessionnaire qui avait pris la forme d’un droit supplétif de 125 % du droit de mutation qui avait bénéficié d’une exonération sera abrogée.

Introduction d’un mécanisme de divulgation applicable lorsque la condition d’exonération cesse d’être satisfaite

Afin d’assurer la perception du droit de mutation lorsque la condition d’exonération cesse d’être satisfaite, chaque cessionnaire dont le transfert a été exonéré du paiement du droit de mutation, aura l’obligation d’aviser la municipalité dans laquelle est situé l’immeuble dans les 90 jours suivant la date à laquelle la condition d’exonération aura cessé d’être satisfaite. Le droit de mutation résultant de la cessation du respect de la condition d’exonération sera payable avant le 31e jour suivant l’envoi du compte au cessionnaire par la municipalité.

La Loi sur les impôts sera modifiée de façon à ce qu’un cessionnaire soit tenu de payer au ministre du Revenu un droit supplétif correspondant à 150 % du droit de mutation dû à l’égard du transfert d’un immeuble effectué en sa faveur s’il ne produit pas l’avis à la municipalité dans laquelle est situé l’immeuble à l’intérieur du délai requis. Ce montant portera intérêt à compter de la date où le cessionnaire est devenu en défaut de produire l’avis jusqu’à la date à laquelle le ministre reçoit le paiement du droit supplétif. Le droit de mutation n’aura pas à être payé en sus du droit supplétif, de sorte que si le cessionnaire paie le droit de mutation à la municipalité, le cessionnaire sera tenu de payer le tiers du droit supplétif au ministre du Revenu.

Introduction d’une exonération du paiement du droit de mutation lorsque le transfert d’un immeuble est effectué entre des ex-conjoints de fait

La loi sera modifiée afin d’introduire une exonération du paiement du droit de mutation lorsque le transfert d’un immeuble est effectué entre des ex-conjoints de fait dans les douze mois suivant la date où ils ont cessé d’être conjoints en raison de l’échec de leur union.

Modification afin de donner effet à certaines ententes gouvernementales

Les ententes conclues entre le gouvernement du Québec et des organisations internationales gouvernementales établies au Québec prévoient une exemption du droit de mutation et du droit supplétif imposés par la loi à l’égard de transferts d’immeubles situés au Québec en leur faveur. Dans ces circonstances, la loi sera modifiée de façon déclaratoire afin de donner effet à ces ententes.

 

Si vous avez des questions ou avez besoin d'une analyse supplémentaire des mesures fiscales énoncées dans le Budget 2016, veuillez communiquer avec un membre de notre secteur de fiscalité.

 

 

[1]     Cette modification intervient en raison d’un manque d’homogénéité dans l’interprétation du test de vote. En effet, l’administration de la loi est confiée aux municipalités, ces dernières pourraient avoir une interprétation du test de vote qui ne soit pas uniforme et affecter grandement la prévisibilité de cette mesure fiscale. Dans Lebco Gestion inc. c. Laval (Ville de), 2015 QCCS 1704, le cessionnaire était d’avis que le transfert était exonéré en application du test de vote en raison du nombre d’actions votantes qui étaient détenues par le cédant, comme le libellé de cette clause pouvait le laisser entendre, alors que le contrôle du cessionnaire était entre les mains d’une autre entité par le truchement d’action à votes multiples.