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L’Ontario présente la loi et les règlements proposés pour son régime de plafonnement et d’échange de droits d’émission

Auteur(s) : Richard J. King, Jacob A. Sadikman, Jennifer Fairfax, Jack Coop, Rebecca Hall-McGuire

3 mars 2016

Le 24 février 2016, le gouvernement de l’Ontario a présenté le projet de loi 172, Loi de 2016 sur l’atténuation du changement climatique et une économie sobre en carbone (la Loi). Si ce projet de loi est adopté, la Loi établira les fondements du régime de plafonnement et d’échange de l’Ontario. Le ministère de l’Environnement et de l’Action en matière de changement climatique de l’Ontario (le MEACC) a également publié deux projets de règlement, la Proposition de règlement sur le plafonnement et l’échange de droits d’émission (en anglais), qui décrit les mécanismes du régime proposé, et la Ligne directrice sur la déclaration des émissions de gaz à effet de serre révisée (en anglais), qui remplacerait le règlement actuel intitulé Greenhouse Gas Emissions Reporting Regulation (Règl. de l’Ont. 452/09).

Contexte

En février 2015, le MEACC a publié un document de travail qui mentionnait que la tarification du carbone était une mesure cruciale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) en Ontario. En avril 2015, le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il allait mettre en place un programme de plafonnement et d’échange de droits d’émission de GES. Bien que peu de détails avaient été annoncés à ce moment-là, la province a clairement indiqué que le programme allait être mis en œuvre par l’intermédiaire de la Western Climate Initiative (WCI), le plus grand marché du carbone en Amérique du Nord, à laquelle participent le Québec et la Californie.

Le 16 novembre 2015, le MEACC a présenté le Choix de modèles de programme de plafonnement et d’échange (le « document de travail ») qui définissait les mécanismes du régime de plafonnement et d’échange plus en détail, présentait des choix de modèles proposés et posait des questions en invitant les parties prenantes à y répondre. Les commentaires des parties prenantes ont été examinés et intégrés à la Loi.

Aperçu de la Loi

Les principaux éléments de la Loi sont :

1. l’établissement d’objectifs de réduction des émissions de GES en Ontario;

2. l’obligation du gouvernement de l’Ontario de préparer un plan d’action contre le changement climatique en vue de l’atteinte de ces objectifs;

3. l’obligation de certaines personnes de quantifier les émissions de GES associées à leurs activités, de déclarer ces émissions et de faire vérifier ces rapports;

4. l’établissement d’un cadre relatif au plafonnement et à l’échange des émissions de GES en Ontario. Plus particulièrement, la Loi :

a. crée trois catégories de participants, les participants assujettis, les participants volontaires et les participants au marché (soit les entités qui n’ont pas d’obligation de déclaration ni de vérification, mais qui souhaitent acheter et vendre des crédits d’émission);

b. autorise le ministère à créer des catégories de quotas d’émission et de les attribuer, à titre onéreux ou à titre gratuit, aux participants inscrits; le règlement prévoit qui peut recevoir des quotas d’émission et le mode d’allocation des quotas gratuits;

c. autorise le ministre à créer et à délivrer diverses catégories de crédits de compensation aux participants inscrits;

d. autorise la création de règlements pour établir des règles du marché et un protocole d’enchère, y compris les limites relatives à l’achat et à la détention;

e. autorise le ministre à harmoniser le système de plafonnement et d’échange avec ceux d’autres autorités législatives, comme le Québec et la Californie;

f. crée le Compte de réduction des gaz à effet de serre, dans lequel seront versés tous les produits du régime de plafonnement et d’échange. Ce compte peut servir à financer des initiatives raisonnablement susceptibles de réduire les émissions de GES ou de favoriser leur réduction;

g. établit des mécanismes d’application, comme le droit d’imposer des amendes aux participants réglementés dont les émissions excèdent leur quota ou leurs crédits ainsi que des sanctions administratives pécuniaires.

Principaux éléments du régime de plafonnement et d'échange proposé par l'Ontario

Échéancier

Les participants assujettis et les participants volontaires seront responsables de leurs émissions à compter du 1er janvier 2017. La première mise aux enchères de quotas d’émission aura lieu en mars 2017. Il s’agira d’une vente visant uniquement l’Ontario et elle ne sera pas liée au Québec et à la Californie. Une fois l’harmonisation terminée, des mises aux enchères auront lieu chaque trimestre avec la participation du Québec et de la Californie. La première période de rapprochement n’aurait pas lieu avant 2021.

Établissement du plafond

Pour faciliter la transition vers le système de plafonnement et d’échange, la province propose de fixer le plafond de 2017 à la meilleure estimation possible des émissions pour 2017. Plus particulièrement, la province propose de fixer le plafond à 142 332 000 quotas, ce qui correspond à 142 332 000 tonnes d’équivalents CO2. Ce chiffre tient compte de la croissance attendue de l’économie ainsi que des nouvelles installations et de l’agrandissement d’installations. Ce plafond diminuera chaque année pour favoriser la réduction des émissions de GES en Ontario, selon les cibles suivantes :

a. 15 % sous le niveau de 1990 avant la fin de 2020;

b. 37 % sous le niveau de 1990 avant la fin de 2030;

c. 80 % sous le niveau de 1990 avant la fin de 2050.

La province propose que tous les établissements industriels et institutionnels disposent d’un facteur d’assistance de 100 % pendant la première période de conformité (soit jusqu’en 2020). C’est-à-dire que tous les participants assujettis des secteurs industriels et institutionnels recevront la totalité de leurs quotas d’émission de GES gratuitement jusqu’en 2020. Ce facteur d’assistance sera réévalué avant le début de la deuxième période de conformité (soit celle de 2021 à 2023).

Portée

L’analyse suivante, organisée par secteur, explique quelles installations et personnes seront des participants assujettis au régime de plafonnement et d’échange.

1. Électricité, y compris l’électricité importée et utilisée en Ontario

Dans le cas de la production interne d’électricité, les participants assujettis seront les distributeurs de carburant fournissant des combustibles fossiles à ces installations de production d’électricité. L’exception à cette règle générale vise les installations de production qui reçoivent du carburant directement de pipelines de gaz naturel interprovinciaux ou internationaux, et non pas par l’intermédiaire d’une installation de distribution de gaz. Dans ce cas, les installations de production sont des participants assujettis. Dans le cas d’importation d’électricité, le participant assujetti sera le premier fournisseur du territoire (soit l’entité qui importe en premier l’électricité dans la province).

2. Exploitants industriels et grands exploitants commerciaux (comme les entreprises de fabrication, de traitement des métaux de base, des secteurs de l’acier, des pâtes et papiers et de transformation des aliments)

Les participants assujettis seraient les installations dont les émissions de GES sont d’au moins 25 000 tonnes. Les exploitants industriels et les grands exploitants commerciaux comprennent les installations qui produisent du cuivre, du nickel, du fer, de l’acier, de l’hydrogène, du plomb, des pâtes et papiers et d’autres installations énumérées au tableau 2 de du Règl. de l’Ont. 452/09.

3. Établissements

Comme pour le secteur industriel, les participants assujettis seront les installations dont les émissions de GES sont d’au moins 25 000 tonnes. Il est important de mentionner que pour définir ce qui constitue une installation (institutionnelle, industrielle ou commerciale), la province a indiqué qu’elle suivrait les lignes directrices du règlement applicable relatif à la déclaration des émissions des GES. Le Règl. de l’Ont. 452/09 prescrit qu’une installation désigne tout immeuble, équipement, structure et élément stationnaire appartenant à la même personne ou exploités par la même personne et situé sur un seul site ou sur des sites adjacents fonctionnant comme un seul site. Une installation comprend également des sites qui ne sont pas adjacents, mais qui sont reliés par des pipelines de gaz naturel.

4. Carburant de transport, y compris le propane et le mazout

Les participants assujettis de ce secteur sont les distributeurs qui approvisionnent des consommateurs ontariens, gèrent des volumes d’au moins 200 litres et introduisent le carburant de transport sur le marché.

5. Distribution de gaz naturel

Les participants assujettis sont ceux qui, au total, sont associés à des émissions de GES d’au moins 25 000 tonnes et exploitent le lieu où le gaz est acheminé du pipeline au réseau de distribution à l’intention des consommateurs locaux.

En plus des participants assujettis énumérés précédemment, la Loi permet à certaines personnes d’adhérer au régime à titre de participants volontaires. Les personnes dont les émissions annuelles de GES sont de 10 000 à 25 000 tonnes, qui doivent déposer des rapports sur les émissions sans être tenus de les faire vérifier, peuvent choisir de participer au régime. Une personne qui n’est pas employée par un participant assujetti ou volontaire peut demander d’agir à titre de participant du marché. Il est à noter que le système de plafonnement et d’échange proposé ne comprend pas la réglementation des émissions de GES des particuliers ou des consommateurs (comme les propriétaires résidentiels ou de véhicules).

Conception du marché

La Loi permet au gouvernement ontarien d’élaborer des règlements précisant les caractéristiques relatives à la conception du marché du régime de plafonnement et d’échange. Les caractéristiques relatives à la conception du marché seront fondées en grande partie sur celles élaborées par la WCI. Conformément au marché conçu par la WCI, le régime de l’Ontario permettra aux participants du marché de participer à des mises aux enchères et d’acheter des crédits. Parmi les éléments clés de la conception du marché se trouvent les exigences d’inscription, les règles applicables aux enchères, les règles de négociation, les règles relatives aux règlements ou au rapprochement et les ventes visant la réserve stratégique. Les mises aux enchères se feront par offres scellées, en une seule ronde, de lots de 1 000 quotas au même prix minimum. Les règles du marché comprennent une limite d’achat et de détention. La limite d’achat empêchera les participants assujettis et volontaires d’acheter plus de 25 % des quotas vendus au cours d’une enchère. Pour leur part, les participants du marché ne pourront acheter plus de 4 % des quotas mis à l’enchère. La limite de détention désigne le nombre total de quotas d’émission et de crédits que peut posséder un participant. La limite sera fixée chaque année et dépendra du nombre de quotas d’émission de l’Ontario créé pour l’année. Notons que le paragraphe 31(6) de la Loi interdit à toute personne de divulguer si elle participe ou non à une enchère, à moins qu’elle ne fasse l’objet d’une dispense à l’égard de cette interdiction par voie de règlement.

Stabilité du marché

Le prix sera stabilisé principalement de deux façons : i) le prix de réserve de l’enchère; ii) une réserve stratégique. Le prix de réserve de l’enchère fixe un prix minimum pour les permis d’émission vendus à l’enchère. En 2016, le Québec et la Californie ont fixé ce prix à 12,82 $ CA. L’Ontario a l’intention de fixer son prix de réserve en fonction de celui du Québec et de la Californie pour 2017. La réserve stratégique comprend 5 % de tous les quotas de 2017 à 2020 et divise ces quotas en trois catégories de prix. Cette réserve stratégique servira uniquement aux émetteurs de l’Ontario et les quotas de la réserve ne pourront servir qu’à la conformité. L’Ontario a l’intention d’harmoniser ses catégories de prix avec ceux du Québec et de la Californie pour 2017. Le Québec et la Californie ont fixé les catégories de prix à 40 $, 45 $ et 50 $ par quota en 2013 et augmenté les prix de 5 % par année, majorés de l’inflation et convertis en dollar canadien.

Fuite du marché

La province a reconnu que la « fuite de carbone » constituait un risque associé à la mise en œuvre du régime de plafonnement et d’échange. Le document de travail explique que les fuites de carbone « se produisent lorsque la production est transférée dans un territoire dans lequel la politique de prix du carbone est moins contraignante ». Pour atténuer ce risque, la Loi permet que des sommes soient prélevées du Compte de réduction des gaz à effet de serre afin d’aider les secteurs qui font face à ce risque. De plus, la Loi donne au directeur le pouvoir discrétionnaire de distribuer à titre gratuit des quotas d’émission pour aider les entités produisant beaucoup d’émission et exposées à certains risques du marché. Cependant, les émissions du secteur de la production d’électricité ne peuvent faire l’objet de quotas gratuits. La province a indiqué que l’octroi de quotas à titre gratuit diminuera avec le temps et sera revu à la fin de la première période de conformité, dans le cadre de l’examen du programme.

Crédits de compensation

La province propose la création d’un Registre des crédits compensatoires et l’émission de crédits aux entités non réglementées qui réduisent leurs émissions. Selon le document de travail, les participants assujettis et les participants volontaires seraient en mesure d’utiliser les crédits compensatoires pour satisfaire jusqu’à 8 % des obligations de conformité totales. Le gouvernement n’a pas encore élaboré le protocole de compensation et, par conséquent, n’a pas encore défini le crédit compensatoire. Les types de projets de compensation proposés actuellement comprennent le captage et l’élimination du méthane provenant des mines, des gaz d’enfouissement et des substances appauvrissant la couche d’ozone.

Rapprochement et pénalités

À la fin de la période de conformité, tous les participants assujettis et les participants volontaires doivent restituer le nombre de crédits correspondant à leurs émissions. Les participants ont 11 mois pour procéder au rapprochement (par exemple, pour la période de conformité qui se terminera le 31 décembre 2020, les participants doivent effectuer le rapprochement avant le 1er novembre 2021). Les participants qui auront des émissions excédentaires se verront imposer une pénalité de conformité selon une règle de trois pour un. Ainsi, pour chaque quota déficitaire au moment du rapprochement, l’entité doit restituer le quota initialement prévu et trois quotas de pénalité. L’émetteur qui ne réussit pas à remettre la quantité requise de quotas d’émissions ou de crédits compensatoires nécessaire peut se faire imposer la résiliation de son compte ainsi que des amendes.

Une grande partie de la Loi porte sur l’établissement de mécanismes d’enquête, d’application et d’administration. Par exemple, l’article 38 donne à un agent provincial le pouvoir d’inspecter certains documents. L’article 47 prescrit qu’est coupable d’une infraction quiconque contrevient ou ne se conforme pas à la Loi. Le paragraphe 47(4) précise que les administrateurs ou dirigeants d’une société qui ont ordonné ou autorisé une infraction en vertu de la Loi peuvent en être tenus responsables personnellement. L’article 48 de la Loi établit les amendes applicables à diverses infractions. Par exemple, pour une première infraction pour avoir omis de restituer des quotas d’émissions et des crédits, une société est passible d’une amende d’au moins 25 000 $ par jour au cours duquel l’infraction est commise, jusqu’à concurrence de 6 millions de dollars. Pour la même infraction, un particulier est passible d’une amende d’au moins 5 000 $ par jour au cours duquel l’infraction est commise, jusqu’à concurrence de 4 millions de dollars ainsi que d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans. Enfin, l’article 54 permet au directeur de rendre une ordonnance exigeant qu’une personne paie une pénalité administrative pécuniaire. Ces pénalités peuvent servir à assurer la conformité à la Loi ou à empêcher qu’un particulier ou une entité tire un avantage économique de la contravention à une disposition de la Loi ou des règlements. Contrairement à une amende en vertu de la Loi, une pénalité administrative pécuniaire ne peut être imposée en cas d’omission de restituer des quotas d’émission et des crédits. Le plafond des pénalités administratives pécuniaires est fixé à 1 million de dollars.

Analyse

Le gouvernement de l’Ontario s’attend à ce que 82 % des émissions de GES en Ontario soient visées par son régime de plafonnement et d’échange. Les 18 % restants proviendraient de petits émetteurs auxquels le régime ne s’applique pas.[1] La province s’attend également à ce que le régime de plafonnement et d’échange produise 1,9 milliard de dollars par année. Ce produit serait réinvesti en totalité dans les initiatives visant à réduire les émissions de GES de l’Ontario et à favoriser la transition vers une économie sobre en carbone.[2] En outre, le gouvernement de l’Ontario a souligné que, après la mise en place du régime de plafonnement et d’échange en Californie, l’économie de l’État et le nombre total d’emplois ont affiché un taux de croissance supérieur à celui du reste de l’économie des États-Unis.[3] Reste à voir si l’Ontario en tirera les mêmes avantages et si son régime de plafonnement et d’échange des émissions de GES proposé générera suffisamment de liquidités et de prix intéressants pour favoriser la réduction des émissions de GES excédentaires par les entités dont le coût de réduction sera plus faible ou s’il constituera plutôt une taxe.

 

[1] MEACC, « L’Ontario affiche son règlement sur le plafonnement et l’échange – La province va réduire ses émissions de gaz à effet de serre et créer des emplois », salle de presse du gouvernement de l’Ontario (25 février 2016), en ligne : https://news.ontario.ca/moe/fr/2016/02/lontario-affiche-son-reglement-sur-le-plafonnement-et-lechange.html

[2] Ibid.

[3] Ibid.