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Le budget de 2016 et le plan de lutte contre les changements climatiques de l’Alberta

Auteur(s) : Rishi Sarin, Kevin Lemke

19 avril 2016

Le 14 avril 2016, le gouvernement NPD de l’Alberta a rendu public son nouveau plan financier (le budget de 2016), qui met en œuvre le plan de lutte contre les changements climatiques (le plan) annoncé en novembre dernier par le gouvernement. Voici les principaux éléments de ce plan :

  • mise en œuvre d’une taxe sur le carbone qui fixe un prix à l’échelle de tous les secteurs de l’économie pour les émissions de gaz à effet de serre;
  • élimination progressive des émissions de l’électricité au charbon d’ici 2030 et remplacement de cette capacité par l’électricité produite au moyen de sources renouvelables et le gaz naturel;
  • plafonnement à 100 mégatonnes (Mt) par année des émissions totales provenant des sables bitumineux;
  • mise en place d’une nouvelle stratégie de réduction des émissions de méthane dans le but de réduire ces émissions de 45 % par rapport aux niveaux de 2014 d’ici 2025.

Chacun de ces éléments est traité en détail dans le bulletin Actualité Osler du 23 novembre 2015 intitulé « Nouveau plan de lutte contre les changements climatiques de l’Alberta. »

Parmi les quatre éléments mentionnés ci-dessus, la pierre angulaire du plan est certes la taxe sur le carbone applicable à tous les secteurs de l’économie. La taxe sur le carbone s’applique non seulement aux grandes émissions industrielles, qui sont imposées en Alberta depuis 2007, mais aussi à la combustion ou à la consommation de gaz à effet de serre par les petits émetteurs et les particuliers. La nouvelle taxe sur le carbone sera perçue à l’achat de carburant de transport et de mazout et touchera aussi bien les particuliers que les entreprises de l’Alberta, pas seulement à la pompe et sur leurs factures de services publics, mais aussi dans tous les achats auxquels la taxe s’appliquera dans la chaîne de distribution. On s’attend, par exemple, à une hausse des prix des produits importés, puisque les coûts de transport seront majorés du montant de la taxe.

Lorsque le plan a d’abord été annoncé, la première ministre Notley a promis que la taxe sur le carbone « n’aurait aucune incidence sur les recettes », déclaration qui avait suscité de nombreuses critiques pour cause d’inexactitude. Néanmoins, le gouvernement compte réinvestir dans l’économie les recettes générées par la taxe sur le carbone, au moyen d’une combinaison de remboursements de taxe, d’investissements dans les infrastructures et d’autres dépenses publiques. Le budget de 2016 fournit le premier aperçu détaillé des recettes et des dépenses liées à la taxe sur le carbone.

La nouvelle taxe sur le carbone entrera en vigueur le 1er janvier 2017 au prix initial de 20 $ la tonne d’émissions de dioxyde de carbone ou d’équivalents; le prix passera à 30 $ la tonne en 2018. Elle devrait faire entrer 274 millions de dollars dans les coffres de la province en 2016-2017, montant qui passera à 1,7 milliard de dollars d’ici 2018-2019. Sur cinq ans, la taxe sur le carbone et les paiements de conformité d’autres parties du plan devraient porter à quelque 9,6 milliards de dollars les recettes brutes totales. Ces recettes supplémentaires arrivent à un moment crucial pour la province, dans un contexte où les besoins en infrastructure et autres investissements sont grands, et où le Fonds du patrimoine a été appauvri par une série de budgets déficitaires, déficit qui continue de croître en raison de la faiblesse persistante du secteur gazier et pétrolier et de la réduction associée des redevances provinciales.

Pour l’instant, le gouvernement s’est engagé à ne pas affecter les flux de rentrées du plan au remboursement de la dette provinciale. Où donc iront donc les recettes?

Environ un tiers des recettes prévues, soit 3,4 milliards de dollars, devraient être consacrées à aider les ménages, les entreprises et les collectivités à s’ajuster à la taxe sur le carbone. Ces dépenses comprendront ce qui suit :

  • 2,3 milliards de dollars de remises au consommateur offertes aux Albertains à faible revenu qui sont le moins en mesure d’absorber le coût de la taxe sur le carbone ou de l’éviter en investissant dans des maisons ou des véhicules écoénergétiques. Le gouvernement prévoit qu’environ 60 % des ménages seront admissibles à des remises selon ces seuils. En revanche, peu de gens ont fait remarquer que les remises décourageraient une majorité de ménages à changer leurs habitudes de consommation du carbone, qui est pourtant la raison d’être d’une taxe uniforme pour tous.
  • 865 millions de dollars en recettes fiscales auxquelles le gouvernement renonce en réduisant le taux d’imposition des petites entreprises à 2 % (par rapport à 3 %) à compter de janvier 2017. Cette nouvelle annonce par le gouvernement devrait procurer un répit fort apprécié du nouveau régime pour les propriétaires de petites entreprises, mais il reste à voir dans quelle mesure les réductions d’impôt sur le revenu compenseront les coûts directs et indirects supplémentaires attribuables au régime de taxe sur le carbone.
  • 195 millions de dollars pour les autres rajustements. Ces autres ajustements comprennent des paiements aux communautés autochtones et la « transition de l’industrie du charbon » qui devrait inclure la formation de mineurs de charbon pour favoriser leur transition vers d’autres secteurs de l’économie, ainsi qu’une aide aux collectivités qui dépendent de la production de charbon. Comme lors de l’annonce initiale du plan, on a donné peu de détails sur la façon dont les exploitants de centrales au charbon seront dédommagés pour leurs capitaux bloqués et comment ils seraient incités à respecter le calendrier d’élimination du charbon établi par le gouvernement.

Les 6,2 milliards de dollars de recettes restantes devraient être consacrés à divers investissements, que le budget de 2016 décrit comme suit :

  • 3,4 milliards de dollars sont affectés à de grands projets d’énergie renouvelable, à des investissements dans l’innovation et la technologie et à des initiatives en bioénergie, et aux coûts administratifs de mise en œuvre du plan. Le budget de 2016 ne fournit pas la ventilation entre les coûts administratifs et les investissements, pas plus qu’il ne précise dans quelle mesure le gouvernement investira directement dans la mise en valeur de projets d’énergie renouvelable. Le comité consultatif sur les changements climatiques, dont les recommandations ont mené à l’élaboration du plan, a proposé un processus d’adjudication concurrentiel des crédits d’énergie renouvelable, mais n’a pas recommandé que le gouvernement s’approvisionne en concluant des contrats d’achat d’énergie à prix fixe. Dans le budget de 2016, la province a confirmé que l’Alberta Electric System Operator mènerait un processus concurrentiel à la fin de 2016, mais n’a pas indiqué si certains contrats d’achat d’énergie à prix fixe seraient conclus ou si des crédits d’énergie renouvelable seraient accordés. De nombreux commentateurs sont d’avis que les contrats d’achat d’énergie à prix fixe sont nécessaires pour encourager une capacité de production renouvelable suffisante aux prix actuels de l’électricité, afin d’éliminer l’utilisation du charbon selon l’échéancier prévu.
  • 2,2 milliards de dollars sont consacrés à des investissements en infrastructure verte, qui comprennent des dépenses dans le transport en commun et des initiatives en efficacité énergétique.
  • 645 millions de dollars sont investis dans la création d’un nouvel organisme provincial appelé Energy Efficiency Alberta. Cet organisme aura pour mandat d’appuyer les initiatives en efficacité énergétique et en microproduction d’électricité. D’autres provinces, comme la Saskatchewan et l’Ontario, ont mis en place des programmes et des subventions visant à encourager la microproduction, avec plus ou moins de succès. Le gouvernement de l’Alberta a donné peu de détails sur les parties, le cas échéant, de ces programmes qui seront mises en place en Alberta.

L’économie est en train de se contracter en Alberta, ce qui tend à faire baisser la consommation de carburant et les émissions de gaz à effet de serre. Cela pourrait diminuer les recettes réalisées grâce à la taxe sur le carbone et aux paiements de conformité, et réduire du coup les investissements envisagés ci-dessus. Même en comptant les recettes supplémentaires générées par le plan, les recettes provinciales totales prévues dans le budget de 2016 sont inférieures à celles des années précédentes, et inférieures à ce qui était prévu pour cette année. Tous les secteurs touchés par le prix du carbone seront incités à rationaliser leurs activités de manière à poursuivre leur croissance malgré le fardeau supplémentaire de la taxe sur le carbone.

De plus, le gouvernement est libre d’ajuster la répartition des recettes comme il le juge bon, ce qui pourrait profiter à certains secteurs et collectivités et nuire à d’autres.

Enfin, le budget de 2016 ne précise pas dans quelle mesure la mise en œuvre du plan est censée réduire les émissions de gaz à effet de serre. Comme le gros des émissions de l’Alberta est attribuable au secteur gazier et pétrolier à forte intensité de combustion, on peut penser qu’une taxe sur la consommation de carburant et d’électricité des ménages servira davantage à augmenter les recettes provinciales qu’à respecter les engagements de la province en matière de réduction des émissions.