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Y a-t-il une nouvelle norme « AllStar » pour la divulgation relative aux franchises?

Auteur(s) : Andraya Frith, Dominic Mochrie

28 septembre 2016

Les exigences ontariennes déjà rigoureuses entourant la divulgation relative aux franchises pourraient se compliquer davantage, si l'on se fie à une récente décision de la Cour supérieure de l'Ontario.[1] Dans la décision non publiée du 7 septembre 2016, la Cour a prononcé la résolution à l'intérieur du délai de deux ans en faveur des franchisés, principalement parce que le document d’information (DI) ne contenait pas une copie du bail principal (et les renseignements connexes relatifs aux coûts), et ce, malgré le fait qu’aucun emplacement n’avait été déterminé, et qu'ainsi aucun bail principal n’existait au moment de la divulgation ou lors de la signature du contrat de franchisage. L’affaire AllStar Wings (AllStar) est inquiétante pour tout franchiseur dont le processus de sélection des emplacements se déroule après la signature du contrat de franchisage, une pratique que même la Cour reconnaît ne pas être rare dans le secteur du franchisage. La Cour a indiqué qu'un franchiseur doit reporter la remise d’un DI jusqu’à ce que tous les faits importants (pas seulement les faits concernant le bail principal) soient connus. Compte tenu de la définition non exhaustive et large de l'expression « fait important », cette décision pourrait soulever beaucoup d'incertitude chez les franchiseurs lorsqu'ils ont à déterminer quand ils sont prêts à faire une divulgation et quand ils peuvent conclure le contrat de franchisage.

La décision contient aussi d’importants développements concernant l’utilisation d'avertissements dans les DI, la signature adéquate du certificat du franchiseur dans un DI et la définition d’une « personne qui a un lien » avec le franchiseur.

Contexte et la décision

Les demandeurs ont reçu un DI en décembre 2012, et ont conclu un contrat de franchisage en février 2013. Le DI incluait une estimation selon laquelle il en coûterait entre 805 500 $ et 1 153 286 $ pour construire un restaurant franchisé à partir d’un immeuble-enveloppe. Il n’y avait aucune estimation pour les coûts de conversion d'un immeuble existant, malgré le fait que tous les emplacements existants d'AllStar étaient des conversions. Le DI contenait néanmoins l'avertissement suivant concernant les coûts de conversion d'emplacements existants : [traduction] « … bien que des conversions soient possibles et permettent au franchisé éventuel de réaliser des économies en frais d’aménagement, le franchiseur n’a aucun moyen raisonnable d'estimer ou de prédire ces frais avec certitude. »

En mai ou juin 2013, un emplacement pour le restaurant a été déterminé. Il s'agissait d'un restaurant existant qui devait être réaménagé pour respecter le format d'AllStar. Les demandeurs ont participé « dans une certaine mesure » à la négociation du bail principal.  Finalement, le bail contenait une exigence en vertu de laquelle le locataire devait verser un paiement initial d’environ 120 000 $ en dépôts de garantie et loyers payés d’avance. Les demandeurs ont pris connaissance du paiement pendant les négociations. Le sous-bail a été signé en octobre 2013, toutefois, les demandeurs n'ont reçu une copie signée du bail principal qu'après la signature du sous-bail.

L'emplacement a été aménagé en mars 2014. Le franchiseur a averti les demandeurs que le coût de la franchise était de plus d'un million de dollars. En juillet 2014, le franchiseur a facturé au franchisé les dépôts de garantie et les loyers payés d’avance (y compris le montant de 120 000 $ en dépôts de garantie et loyers payés d'avance), montant que le franchisé a refusé de payer. Le 21 juillet 2014, le franchiseur a envoyé un avis de défaut et les demandeurs ont répondu avec un avis de résolution quatre jours plus tard. Le franchiseur a envoyé un avis de résiliation le 1er août 2014 et, en décembre 2014, les demandeurs ont intenté l'action. Les demandeurs franchisés ont présenté une requête en jugement sommaire dans une action en résolution et fondée sur une présentation inexacte des faits (bien que les demandeurs n’aient pas poursuivi leur recours fondé sur la présentation inexacte des faits dans la requête en jugement sommaire).

Fournir un DI sans un bail principal

Les défendeurs ont fait valoir que la signature d'un contrat de franchisage avant qu'un emplacement n'ait été déterminé n’est pas une pratique inhabituelle dans le secteur du franchisage. Et dans de tels cas, les défendeurs ont plaidé : comment un franchiseur peut-il divulguer un bail principal qui n’existe pas encore?

La Cour n’a pas été convaincue. Elle a souligné le caractère réparateur de la Loi Arthur Wishart de 2000 sur la divulgation relative aux franchises et l’importance d’avoir des exigences rigoureuses en matière de divulgation pour protéger les intérêts des franchisés. La Cour a expliqué que des franchiseurs sans scrupule pourraient faire une divulgation prématurée de façon délibérée, lorsque les questions importantes ne sont pas encore connues, afin de se soustraire à leurs obligations de divulgation. La seule solution, a dit la Cour, est d’attendre et de reporter la divulgation jusqu’à ce que tous les faits importants soient connus.

La position de la Cour sur le moment de la divulgation, qui influe indirectement sur le moment où les parties peuvent conclure le contrat de franchisage, a le potentiel d’imposer des défis considérables aux franchiseurs qui exploitent une franchise en Ontario. En établissant que les documents d’information doivent être propres au franchisé qui les reçoit, la jurisprudence actuelle de l’Ontario a effectivement élargi la portée de la divulgation au-delà des éléments de divulgation prescrits dans la réglementation sur la divulgation. Toutefois, il est possible que la décision AllStar Wings ait des répercussions encore plus grandes sur le franchisage dans la province; en particulier sur la question de savoir si les franchiseurs et les franchisés peuvent même continuer la pratique relativement répandue de sélectionner un emplacement après la signature du contrat de franchisage. Cette décision ne signifie certainement pas qu’un franchiseur doive conclure chaque bail principal et assumer la responsabilité qui y est associée sans aucune certitude quant au fait que le franchisé signera en définitive le contrat de franchisage.

De plus, et de manière plus inquiétante encore, cette affaire pourrait-elle être invoquée par des franchisés sans scrupule pour demander la résolution si un « fait important » dont le franchiseur ignore complètement l’existence au moment de la divulgation, survient après la signature du contrat de franchisage?

Il peut y avoir une mince consolation en ce que la Cour semble se concentrer sur le fait que le bail principal incluait une disposition particulière, le paiement à l'avance d'un montant de 120 000 $ en dépôts de garantie et loyers payés d’avance, que la Cour a décrit comme étant un [traduction] «  coût initial additionnel très important ». Il reste toutefois à savoir si la Cour aurait trouvé que la divulgation était prématurée s’il n’y avait pas eu un tel coût initial ou si l’estimation d’un tel coût avait été incluse dans l’estimation des coûts du franchiseur pour établir la franchise.

La Cour laisse aussi la porte ouverte à la [traduction] « possibilité qu’une divulgation en bonne et due forme puisse être faite dans le cas où l'emplacement n’est pas connu au moment de la divulgation ». En conséquence, il pourrait être possible pour un franchiseur de s'acquitter de son obligation de divulgation sans avoir à attendre que le bail principal soit signé, à la condition que le bail principal n’impose ultimement aucun nouveau coût important et que le modèle de sous-bail divulgué prévoit avec précision les modalités importantes du bail principal. Un franchiseur qui choisit d’accepter ce risque devrait toutefois examiner attentivement un plan de rechange dans l’éventualité où les modalités du bail principal ne reflètent pas ce qui avait été divulgué.

Exigence de fournir des estimations des coûts propres à l'emplacement

La Cour a aussi jugé que l’estimation des coûts pour établir la franchise contenue dans le DI était incomplète. Le DI fournissait une estimation pour construire un restaurant à partir d’une « enveloppe », et suggérait que la conversion d'un immeuble existant pourrait se traduire par des économies « importantes » comparativement à la construction à partir d’une enveloppe. Toutefois, en réalité, les frais de conversion des demandeurs étaient presque aussi élevés que la fourchette supérieure des coûts estimés pour construire un restaurant à partir d’une enveloppe. La juge Matheson a souligné à plusieurs reprises que le franchiseur n’avait pas d’expérience en matière de construction à partir d’une enveloppe puisque tous ses emplacements étaient des conversions. 

La Cour a cherché une estimation des coûts qui représenterait le format actuel des demandeurs (c.-à-d. une conversion), et cette estimation n’a pas été fournie. Les franchiseurs devraient s’assurer que leur estimation des coûts pour établir une franchise tient compte de tous les différents formats qui seront à la disposition du franchisé.

Avertissements ne riment pas avec divulgation

Si un franchiseur n’a pas les renseignements pour remplir une exigence de divulgation, le fait de fournir un avertissement à cet effet ne suffira pas. Comme il a été mentionné ci-dessus, dans l’affaire AllStar Wings, le franchiseur n’a pas inclus les coûts estimés pour la conversion d'un restaurant existant, et a plutôt inclus une déclaration indiquant qu’il n’avait aucun moyen raisonnable de prévoir les coûts de conversion, qui pouvaient varier de manière importante d’un emplacement à l’autre. La juge Matheson a conclu que cette approche était très problématique, et a assimilé l’avertissement à un aveu signifiant que le franchiseur ne pouvait pas s'acquitter de ses obligations de divulgation. La Cour indique de manière non équivoque qu’un [traduction] « ...avertissement général n’est pas non plus une réponse adéquate aux obligations impératives de divulgation prévues par la loi ». 

Cette observation n'est sans doute guère surprenante : les franchiseurs ne peuvent pas se soustraire à leurs obligations de divulgation simplement en affirmant qu’ils ne connaissent pas la réponse, que c’est contraignant de préparer les renseignements ou que les renseignements fournis seraient incertains. Il faut toutefois souligner que bien que cet exemple particulier traitait de la divulgation des coûts d’établissement, les observations de la juge Matheson à propos des avertissements sont susceptibles d'être invoquées par les franchisés à l'égard de l’utilisation, par un franchiseur, d'avertissements dans le DI de façon plus générale.

Un moyen de défense tout aussi inefficace à l'égard d'une divulgation insuffisante était l'argument des défendeurs selon lequel un des demandeurs était averti et avait de l'expérience dans le domaine juridique. La Cour a réaffirmé le point que le degré de connaissances du franchisé ne réduit pas les obligations de divulgation du franchiseur.

Incidences et considérations d'ordre pratique

L’affaire AllStar Wings est l’une des décisions les plus importantes traitant de la divulgation dans les dix dernières années. Elle pourrait avoir rehaussé les normes en matière de divulgation, en particulier pour ce qui est du moment de la remise du document d'information, en plus d’avoir eu un impact sur le moment où les parties commerciales peuvent conclure le contrat de franchisage et les accords de location connexes. Il reste aussi à voir comment cette décision pourrait toucher les pratiques commerciales dans le secteur du franchisage, en particulier la question de savoir si les franchiseurs peuvent fournir une divulgation adéquate avant que l'emplacement d'une entreprise franchisée ne soit déterminé, si les franchiseurs et les franchisés se retrouveront dans une situation désavantageuse face aux locataires non franchisés dans le marché immobilier ontarien très concurrentiel, ou si la décision dissuadera un franchiseur d’aider les franchisés avec la sélection d'un emplacement et les accords de location.

Les défendeurs disposent de 30 jours pour faire appel de la décision. Surveillez les bulletins d'Actualités d'Osler pour connaître les développement de cette importante affaire. Cliquez ici pour obtenir une copie de la décision.


1 Raibex Canada Ltd. c. ASWR Franchising Corp. 2016 ONSC 5575