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« Avec qui ai-je fait affaire? » : un tribunal québécois autorise une action collective pour fausses représentations contre un franchiseur

Auteur(s) : Éric Préfontaine, François Laurin-Pratte, Gillian S.G. Scott

17 novembre 2016

Dans la récente affaire Cantin c. Ameublements Tanguay inc., 2016 QCCS 4546 (« affaire Cantin »), la Cour supérieure a autorisé une action collective à l’encontre de plusieurs intimés, dont le franchiseur Corbeil Électrique Inc. (« Corbeil »), pour le compte d’un groupe de consommateurs, sur la base d’allégations de fausses représentations en lien avec l’achat de garanties prolongées. Ce faisant, la Cour confirme une tendance suivant laquelle les tribunaux québécois, au stade de l’autorisation, se montrent réticents à démêler la question de savoir s’il existe bel et bien une relation contractuelle entre le franchiseur et le client de son franchisé.

Contexte et décision

Corbeil est propriétaire d’un système de franchise se spécialisant dans la vente d’électroménagers. Selon la demande, 1) Corbeil par le biais de son site Internet et 2) l’employé du franchisé, Gestion Éric Dubreuil inc. (le « franchisé Corbeil »), ont faussement représenté au demandeur la nécessité de se procurer une garantie prolongée. Corbeil a tenté d’obtenir le rejet de la demande d’autorisation à son égard, soulevant l’absence de lien de droit entre lui et le demandeur. Cependant, la Cour a rejeté l’argument de Corbeil avant d’autoriser l’action collective, concluant qu’il était trop tôt, à l’étape de l’autorisation, pour démêler la nature exacte de la relation entre le franchiseur, son franchisé et le demandeur. En outre, à l’étape de l’autorisation, les allégations en demande sont tenues pour avérées, et selon la Cour, les faits suivants, tels qu’allégués par le demandeur, ont engendré une confusion quant à l’identité de son cocontractant :

  1. la facture remise au demandeur porte le logo et la raison sociale de Corbeil;
  2. le franchisé Corbeil apparaît parmi les succursales énumérées sur le site Internet de Corbeil;
  3. Corbeil offre directement une garantie prolongée à ses clients, et il n’est pas possible à ce stade-ci de distinguer la garantie offerte par Corbeil et la garantie souscrite par le demandeur auprès du franchisé Corbeil; et
  4. le demandeur allègue avoir voulu faire affaire spécifiquement avec Corbeil, et c’est pour cette raison qu’il a acheté son appareil électroménager auprès du franchisé Corbeil.

Une tendance en matière de franchise

Cette décision n’est pas sans précédent. Dans une affaire antérieure, Fortier c. Meubles Léon ltée, 2014 QCCA 195 (« affaire Fortier »), une confusion de même nature quant à l’identité du cocontractant du consommateur a poussé la Cour d’appel à autoriser une action collective contre Corbeil. Confirmant sur ce point les propos de la Cour supérieure, la Cour d’appel dans l’affaire Fortier a noté que la facture incluait une mention selon laquelle Corbeil était « représenté par le franchisé », laissant entendre que le franchisé avait agi comme mandataire de Corbeil, plutôt que comme partie indépendante.

Par définition, le système de franchise en est un où des entreprises indépendantes, appelées « franchisés », s’entendent avec un franchiseur pour utiliser le système d’exploitation, l’image de marque et la marque de commerce de ce dernier. Les transactions au niveau du consommateur surviennent entre le consommateur et le franchisé, et n’impliquent habituellement pas le franchiseur. Le principe qui assure le maintien d’une séparation entre des entreprises distinctes suppose qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, un franchiseur n’est pas tenu directement responsable envers les consommateurs des problèmes qui surviennent dans leurs interactions avec les franchisés. Cependant, malgré ce principe, le consommateur est parfois porté à croire qu’il fait affaire directement avec le franchiseur, étant donné l’association du franchisé avec l’image de marque et la marque de commerce du franchiseur, lesquelles sont bien connues du public. À une époque où les consommateurs utilisent de plus en plus le véhicule de l’action collective pour faire respecter leurs droits, cette confusion peut avoir des conséquences fâcheuses pour les franchiseurs.

Les conséquences

Les jugements dans l’affaire Fortier et plus récemment dans l’affaire Cantin ont été rendus à un stade préliminaire. Ainsi, ils n’excluent pas la possibilité pour les franchiseurs de démontrer à l’étape du procès sur le fond qu’il n’existe aucun lien de droit entre eux et les clients de leurs franchisés. Néanmoins, ces jugements montrent qu’à l’étape de l’autorisation, alors que les allégations en demande sont tenues pour avérées, il sera plus difficile pour les franchiseurs de s’extirper de procédures judiciaires intentées contre eux par des consommateurs. Cette jurisprudence annonce une augmentation possible du nombre d’actions collectives impliquant plusieurs défendeurs dans un contexte de franchise, puis une augmentation du nombre de franchiseurs devant assumer les coûts d’une défense afin d’obtenir gain de cause lors du procès sur le fond.

Afin de se prémunir contre les actions collectives intentées par des consommateurs, le franchiseur devrait s’assurer de clarifier son rôle auprès des consommateurs. Éviter les ambiguïtés à cet égard devrait améliorer les chances du franchiseur de faire rejeter la demande d’autorisation, et si nécessaire, l’action sur le fond.