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« Avec qui ai-je fait affaire? » – la suite : la Cour d’appel du Québec confirme l’autorisation d’une action collective pour fausses représentations contre un franchiseur

Auteur(s) : Éric Préfontaine, François Laurin-Pratte

Le 21 septembre 2017

Le 17 novembre 2016, nous avons publié un blogue sur un jugement de la Cour supérieure du Québec qui autorisait une action collective contre, notamment, le franchiseur Corbeil Électrique inc. (Corbeil) sur la base d’allégations de fausses représentations relatives à l’achat de garanties prolongées (le jugement d’autorisation).

Nous avions constaté que le jugement d’autorisation s’inscrivait dans une tendance selon laquelle les tribunaux québécois, au stade de l’autorisation, se montrent réticents à décider s’il existe un lien de droit entre un franchiseur et un client de son franchisé. 

Le 7 septembre 2017, cette tendance a été confirmée par la Cour d’appel, qui a rejeté l’appel interjeté par Corbeil du jugement d’autorisation dans l’affaire Ameublements Tanguay inc. c. Cantin, 2017 QCCA 1330.

Contexte

Le litige a trait à des allégations de fausses représentations concernant une garantie prolongée sur un appareil électroménager acheté par le requérant auprès d’un franchisé Corbeil : Gestion Éric Dubreuil inc. (le franchisé Corbeil). Au stade de l’autorisation, Corbeil a tenté de faire rejeter le recours, soutenant qu’étant donné que la garantie avait été souscrite auprès du franchisé Corbeil, il n’y avait pas de lien de droit entre le requérant et Corbeil. La demande de Corbeil n’a pas abouti pour les motifs énoncés dans notre blogue du 17 novembre 2016, et la Cour supérieure a donc autorisé que soit intentée une action collective contre Corbeil.

Motifs de la Cour d’appel

Rejetant l’appel, la Cour d’appel a confirmé les conclusions du juge qui avait accordé l’autorisation.  D’emblée, la Cour a rappelé le seuil peu élevé que doit franchir le requérant au stade de l’autorisation. Le requérant devait formuler des allégations qui, tenues pour avérées, établiraient l’existence prima facie d’une cause d’action contre Corbeil. Autrement dit, les allégations doivent soutenir l’existence d’un lien de droit prima facie (contractuel ou extracontractuel), entre le client et le franchiseur.

La Cour d’appel a convenu avec le juge de première instance qu’elle disposait de suffisamment d’éléments de preuve étayant l’existence d’un contrat entre Corbeil et le requérant. En effet, le logo et la dénomination sociale de Corbeil apparaissaient sur la facture du client.  Même si la dénomination sociale du franchisé Corbeil était également mentionnée, celui-ci n’était pas clairement désigné comme le vendeur.  De plus, la facture précisait que Corbeil demeurait le propriétaire des biens jusqu’au paiement final, et que les biens vendus ne pouvaient pas faire l’objet d’un retour sans l’accord de Corbeil. Par ailleurs, le franchisé Corbeil figurait dans la liste des magasins de Corbeil sur le site Web du franchiseur.  À la lumière de ces éléments, la Cour a convenu que le franchisé Corbeil pouvait avoir agi comme mandataire de Corbeil, de telle sorte que Corbeil pouvait avoir été le véritable vendeur.

Au-delà de la possibilité d’un contrat entre le client et Corbeil, Corbeil pouvait avoir contracté une obligation extracontractuelle par application de la théorie du mandat apparent, que l’on trouve à l’article 2163 du Code civil du Québec. Selon cette théorie, un franchiseur peut être tenu responsable des actes de son franchisé si (i) le franchiseur a donné des motifs raisonnables de croire que le franchisé agissait en tant que son mandataire, et (ii) le franchiseur n’a pas pris les mesures appropriées pour éviter la confusion alors qu’elle était prévisible. Les éléments susmentionnés, entre autres, viennent étayer l’existence prima facie d’un mandat apparent, le client ayant été amené à croire qu’il traitait avec Corbeil, plutôt qu’avec le franchisé Corbeil. Par ailleurs, la Cour d’appel a noté que le logo et la dénomination sociale de Corbeil apparaissaient à l’extérieur et à l’intérieur du magasin du franchisé Corbeil, ce qui pouvait ajouter à la confusion.

La Cour a souligné que les questions de savoir s’il existe un contrat entre Corbeil et le requérant, et si le franchisé Corbeil agissait selon un mandat apparent, sont factuelles. À ce titre, elles doivent donc être tranchées par le juge qui entendra l’affaire au fond, plutôt que par le juge autorisateur. La Cour a conclu que la preuve du lien de droit était fragile, mais suffisante aux fins de l’autorisation.

Commentaire

Le jugement de la Cour d’appel constitue une nouvelle mise en garde aux franchiseurs établis au Québec. Les franchiseurs doivent s’assurer que leur statut est bien compris des clients de leurs franchisés.  Par exemple, la facture pourrait mentionner expressément que le franchisé, et non le franchiseur, est le vendeur des biens, et que le franchisé n’agit pas en tant que mandataire du franchiseur. À une époque où les actions collectives gagnent en popularité auprès des consommateurs qui veulent recourir aux tribunaux, ce genre de mesures n’empêchera peut-être pas le client d’un franchisé de demander l’autorisation d’intenter une action collective contre le franchiseur. Mais, il pourrait permettre au franchiseur d’obtenir le rejet de la demande d’autorisation, ce qui permettrait d’éviter de longues et coûteuses procédures judiciaires.