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La Cour d’appel confirme que l’obligation de renseignement du franchiseur peut s’étendre à des tiers

Auteur(s) : Éric Préfontaine, François Laurin-Pratte

Le 7 juillet 2017

On fait souvent état de l’obligation de renseignement du franchiseur envers son franchisé. Dans l’affaire Camions Daimler Canada ltée c. Camions Sterling de Lévis inc., 2017 QCCA 798, la Cour d’appel confirme que cette obligation de renseignement ne s’étend pas seulement au franchisé. Dans certaines circonstances, elle peut s’étendre à des tiers liés au franchisé, tels qu’un actionnaire ou un gestionnaire.

Les faits

Camions Daimler Canada ltée (Daimler) est propriétaire de la marque de camions lourds Sterling. Camions Sterling de Lévis inc. (Lévis) exploite une concession chargée de la vente et de l’entretien de camions Sterling conformément à un contrat conclu avec Daimler. M. Pierre Corriveau est gestionnaire de Lévis, en plus d’être l’actionnaire unique de Centre de l’auto St-Nicolas inc. (St-Nicolas).

En 2008, Daimler procède à une restructuration et cesse la production de camions Sterling. Elle offre donc à ses concessionnaires, dont Lévis, de signer un nouveau contrat limitant leurs activités à l’entretien et la fourniture de pièces. Lévis signe ce nouveau contrat en 2009. Le nouveau contrat est à durée indéterminée et permet à Daimler d’y mettre fin sur préavis de 30 jours.

En 2010, M. Corriveau acquiert par le biais de St-Nicolas toutes les actions de Lévis. Conformément au contrat de concession, il obtient à cette fin l’approbation de Daimler, laquelle lui est accordée.

En 2011 et en 2012, Daimler transmet des avis de résiliation à Lévis. St-Nicolas poursuit donc Daimler pour 213 816 $ à titre de perte de son investissement. M. Corriveau poursuit Daimler pour les inconvénients qu’il a personnellement subis des suites de la résiliation.

Analyse

Confirmant le bien-fondé de la réclamation des demandeurs, la Cour d’appel rappelle que l’obligation de bonne foi s’impose à toutes les étapes d’une relation contractuelle, allant des négociations précontractuelles à l’extinction du contrat. Cela étant dit, elle s’impose aussi en dehors de toute relation contractuelle. Suivant les articles 6 et 1457 du Code civil du Québec, l’obligation de bonne foi se traduit, en matière contractuelle comme en matière extracontractuelle, par une obligation de renseignement.

À ce sujet, la Cour d’appel résume ainsi les conditions de l’obligation de renseignement :

  1. L’information est déterminante dans la décision du créancier de l’obligation de renseignement;
  2. L’information est connue ou présumée connue du débiteur de l’obligation de renseignement;
  3. Le créancier de l’obligation ne connaît pas et est incapable d’obtenir l’information, ou encore, entretient à l’égard du débiteur de l’obligation un lien de confiance tel qu’il s’attend à ce que ce dernier lui révèle l’information; et
  4. L’obligation de renseignement ne s’étend pas aux informations auxquelles le créancier de l’obligation pouvait raisonnablement obtenir (i.e. obligation de se renseigner).

À la lumière de ces conditions, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance voulant que Daimler ait manqué à son obligation de renseignement. Tout en approuvant l’acquisition des actions de Lévis par St-Nicolas, tel que requis par le contrat, Daimler a omis de mentionner à St-Nicolas et M. Corriveau la probabilité d’une réduction du nombre de concessionnaires Sterling, et donc, la résiliation à court terme du nouveau contrat de concession. Pourtant, Daimler connaissait déjà cette probabilité.

Pendant ce temps, M. Corriveau avait développé des attentes raisonnables quant à la durée du nouveau contrat entre Lévis et Daimler. Ces attentes se fondaient sur son expérience, l’invitation faite aux concessionnaires de transformer leur établissement en centre d’entretien, la somme d’argent offerte aux concessionnaires dans ce contexte, puis l’engagement de Daimler à continuer de fournir des pièces pour les camions Sterling pendant 10 ans. Au surplus, M. Corriveau avait développé un lien de confiance avec Daimler au cours de leur longue relation d’affaires. Même si le contrat prévoyait la possibilité d’une résiliation sur préavis, ces circonstances empêchaient M. Corriveau d’envisager la probabilité à court terme d’une résiliation. Or, s’il avait su, M. Corriveau n’aurait pas investi, par le biais de St-Nicolas, des centaines de milliers de dollars pour acquérir les actions de Lévis.

Bref, M. Corriveau et St-Nicolas, respectivement comme gestionnaire et actionnaire du franchisé,  se trouvaient dans une « position informationnelle vulnérable ». En omettant de révéler un fait déterminant relativement à l’avenir du franchisé, Daimler a engagé sa responsabilité extracontractuelle.

Commentaire

Cette affaire illustre la puissance que peut avoir l’obligation de renseignement du franchiseur. Bien qu’il n'ait pas, de manière générale, une obligation de renseignement envers les tiers, le franchiseur devrait, pour éviter les poursuites, faire preuve de transparence en fournissant à ses interlocuteurs les renseignements déterminants, et ce, que l’interlocuteur soit le franchisé lui-même, ou dans certains cas, un actionnaire ou un gestionnaire du franchisé.