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La Cour fédérale d’appel apporte des précisions fort nécessaires sur l’essai « allant de soi » et le sens de « concept inventif »

Auteur(s) : J. Bradley White

18 avril 2017

Dans ce bulletin d’Actualités

  • Un jugement de la Cour fédérale d’appel (référence : 2017 FCA 76) confirme la décision de la juge Mactavish (référence : 2017 FC 580) dans l’affaire Bristol-Myers Squibb Canada Co. c. Teva Canada Limited concernant un brevet sur l’atanazavir, médicament contre le VIH et le SIDA.

  • La Cour estime que « concept inventif » s’entend généralement de la « solution décrite dans le brevet ».

  • La Cour donne plus de latitude dans l’évaluation de l’évidence en s’opposant à l’idée que cette évaluation se limite à l’essai « allant de soi ».

  • Contexte et implications futures pour les litiges portant sur des brevets pharmaceutiques

La Cour fédérale d’appel (la Cour) a apporté des précisions et une orientation grandement nécessaires sur deux points cruciaux de la législation canadienne sur les brevets : le sens de « concept inventif » et l’utilisation de l’essai « allant de soi » dans l’évaluation de l’évidence.

Dans un jugement (référence : 2017 FCA 76) portant sur l’affaire Bristol-Myers Squibb Canada Co. v Teva Canada Limited, la Cour a maintenu la décision de la juge Mactavish, qui estimait justifiée l’allégation de Teva selon laquelle le brevet canadien numéro 2317736 (le brevet 736) était non valide en raison du caractère évident de l’invention.

La Cour a statué que « concept inventif » désignait en règle générale « la solution décrite dans le brevet », expression renvoyant souvent à « ce qui est revendiqué dans le brevet » ou à l’« invention ». La Cour a fourni des éclaircissements fort nécessaires sur la manière de définir le « concept inventif » d’un brevet. Le « concept inventif » s’avère souvent un sujet de discorde entre les parties et le point central d’un argument juridique, car la probabilité que le tribunal conclut à l’évidence variera selon la manière de définir le concept en question. En liant le « concept inventif » à la revendication et à la solution décrite dans le brevet, la Cour a facilité la définition de ce concept et la détermination du caractère évident de l’invention brevetée.

La Cour donnait également plus de latitude dans l’évaluation de l’évidence en adoptant une interprétation plus large de cette évaluation et en s’opposant à l’idée qu’elle se limite à l’essai « allant de soi ». La Cour a déclaré que cet essai ne constituait qu’un moyen parmi d’autres de résoudre la question de l’évidence. Il n’existe, à son sens, aucune règle stricte et rapide pour l’évaluation de l’évidence. D’autres essais peuvent servir à cet effet, notamment l’analyse mentionnée dans l’affaire Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3rd) 289. La Cour a rejeté l’argument suivant lequel l’évidence ne peut être démontrée à moins de pouvoir prédire l’ensemble des éléments du « concept inventif » avec un haut degré de certitude. 

Contexte et décision

L’atazanavir est un médicament servant à lutter contre le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) et le SIDA (syndrome de l’immunodéficience acquise). La limitation de l’utilisation de la base libre d’atazanavir contre le VIH et le SIDA en raison de sa faible biodisponibilité est un fait connu. Le brevet 736 concerne le sel bisulfate d’atazanavir de type I.

La juge Mactavish a estimé que le concept inventif du brevet 736 était la forme solide cristalline anhydre du sel bisulfate d’atazanavir de type I, laquelle se caractérise par sa stabilité et sa biodisponibilité supérieure à celle de la base libre. La juge a souligné l’évidence de cette biodisponibilité accrue. Elle a considéré les autres éléments du « concept inventif » comme des caractéristiques inhérentes du sel bisulfate d’atazanavir de type I ne constituant donc pas une invention.

Même si la Cour s’est ralliée à la conclusion de la juge Mactavish, à savoir que la revendication du brevet 736 était évidente, elle a considéré que la juge avait erré dans la définition du « concept inventif » en se focalisant sur les propriétés du sel. La Cour a statué que le « concept inventif » se rapportait à la solution décrite dans le brevet, en l’occurrence le bisulfate d’atazanavir, sel d’atazanavir acceptable d’un point de vue pharmaceutique étant donné sa biodisponibilité égale ou supérieure à celle de la base d’atazanavir.

La Cour a conclu, cependant, à l’évidence de la revendication du brevet 736 en raison de l’absence de différence entre l’art antérieur et le « concept inventif ». Elle a soutenu que, si différence il y avait entre l’art antérieur et le « concept inventif », elle pouvait être comblée au moyen des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art.

La Cour a fait remarquer qu’il n’était pas nécessaire d’appliquer l’essai « allant de soi », mais que dans le cas contraire, l’essai du « concept inventif » « irait de soi ». De l’avis de la Cour, l’étendue, la nature et la quantité de l’effort déployé pour obtenir le bisulfate d’atazanavir de type I démontrait l’évidence de sa découverte.

Dans le monde controversé des litiges sur les brevets pharmaceutiques, où les enjeux sont considérables, nul doute que l’orientation fixée par la Cour ait une incidence sur les nombreuses affaires en cours ou à venir. Personne ne sait pour l’heure si une demande d’autorisation d’appel de la décision sera déposée à la Cour suprême du Canada.