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La Cour supérieure confirme la légalité des redevances versées par un pharmacien franchisé à son franchiseur

Auteur(s) : Éric Préfontaine, François Laurin-Pratte

9 février 2017

L’article 49 Code de déontologie des pharmaciens interdit aux pharmaciens de partager avec un tiers non-pharmacien les bénéfices provenant de la vente de médicaments ou ses honoraires. Pourtant, les conventions de franchise sont nombreuses dans l’univers de la pharmacie et, comme toute bonne convention de franchise, elles prévoient habituellement le paiement de redevances par le pharmacien franchisé à son franchiseur. Une telle clause de redevance contrevient-elle aux règles de déontologie du pharmacien? Selon un jugement de la Cour supérieure, Quesnel c. Groupe Jean Coutu (PJC) inc., 2016 QCCS 6347, une telle clause est légale, pourvu que les redevances versées correspondent à la juste valeur marchande des biens et services fournis par le franchiseur.

Contexte

Michel Quesnel (Quesnel) est un pharmacien propriétaire de pharmacies Jean Coutu depuis 1988. Ses pharmacies sont exploitées conformément à des conventions franchise conclues avec le franchiseur Groupe Jean Coutu (PJC).

Les conventions de franchise prévoient l’obligation pour le pharmacien de payer au franchiseur une redevance annuelle de 4% des revenus bruts, lorsque les revenus atteignent plus de 2 millions de dollars, ou 5% lorsque les revenus demeurent entre 1 dollar et 2 millions de dollars. Quoique les conventions contiennent une reconnaissance du franchisé selon laquelle la redevance « n’est en aucune façon un partage d’honoraires avec le Franchiseur », le montant des revenus servant au calcul de la redevance inclut bel et bien les revenus tirés de la vente de médicaments.

En 2008, le syndic de l’Ordre des pharmaciens du Québec dépose des plaintes contre Quesnel devant le conseil de discipline. Quesnel, selon le syndic, aurait partagé illégalement ses honoraires ou les bénéfices provenant de la vente de médicaments avec un non-pharmacien, c’est-à-dire PJC, en violation de ce qui constitue aujourd’hui l’article 49 du Code. Quesnel plaide coupable aux accusations et intente des procédures judiciaires contre PJC, dans l’espoir de faire déclarer nulle la clause de redevance, interdire à PJC d’exiger une redevance et obtenir le remboursement des redevances versées illégalement.

Suivant une entente entre les parties, Quesnel se désiste de son recours en juin 2016. En échange, PJC demande l’obtention d’un jugement déclaratoire relativement à la validité de la clause de redevance.

Motifs du jugement et conclusions

La Cour déclare la clause de redevance valide dans les circonstances de cette affaire. L’article 49 du Code n’interdit pas de manière absolue tout partage des revenus d’une pharmacie, incluant ceux provenant de la vente de médicaments.

À l’invitation de l’Ordre des pharmaciens, la Cour distingue le partage des revenus bruts du partage des bénéfices nets. En effet, l’article 49 vise à interdire le partage des bénéfices, c’est-à-dire des profits ou les bénéfices nets, plutôt que les revenus bruts. De plus, l’interdiction doit être lue à la lumière de son objectif, soit de réserver la pratique de la pharmacie aux pharmaciens et d’empêcher les non-pharmaciens de posséder ou exploiter une pharmacie, et ce, même indirectement par le partagent avec un pharmacien des honoraires et bénéfices liés à la vente de médicaments. Ainsi, l’interdiction n’empêche pas l’utilisation des revenus d’exploitation, incluant ceux provenant de la vente de médicaments, pour payer les dépenses liées à l’exploitation de la pharmacie, pourvu que ces dépenses représentent la juste valeur des biens et services reçus du franchiseur.

Ainsi, selon la Cour, la clause en litige n’est pas a priori illégale, puisque la redevance est calculée sur la base des revenus bruts. Surtout, la preuve d’expert non contestée déposée par PJC montre que les redevances versées par Quesnel sont raisonnables eu égard à la juste valeur des services et avantages fournis par PJC.

Aux fins de l’analyse, on considère les revenus tirés de la vente de médicaments sur ordonnance et en vente libre. Pour les pharmacies de Quesnel, on en arrive en moyenne à un taux de redevance de 4% sur les revenus de vente de médicaments. Selon la preuve d’expert, la juste valeur marchande des services fournis par PJC varie entre 2% et 3% des revenus annuels, selon la taille de l’entreprise. Ces services incluent des avis et conseils sur l’organisation, la planification et l’exploitation des locaux, des efforts publicitaires de PJC à l’échelle nationale, la possibilité d’acheter des produits à des prix avantageux, de même que de l’assistance technique, administrative et financière relativement à l’exploitation de l’entreprise. À cela s’ajoute la juste valeur marchande des droits d’utilisation du nom et des marques de commerce de PJC, dont la valeur est évaluée entre 1,75% et 2,25% des revenus.

En somme, un taux de redevance entre 3,75% et 5,25%, selon la taille de la pharmacie, serait raisonnable et représentatif de la valeur des services fournis par PJC, selon la Cour. Puisque le taux moyen de 4% payé par Quesnel se situe à l’intérieur de cette marge, les redevances qu’il a payées sont représentatives de la juste valeur marchande de la contrepartie reçue de PJC. La Cour déclare que la clause de redevance en litige est conforme à l’article 49 du Code, et donc valide.

Commentaires

En plus de confirmer la validité des clauses de redevance dans les conventions de franchise et de bannière dans le secteur de la pharmacie, cette affaire donne des indices intéressants sur la façon dont un franchiseur peut faire la preuve, par le biais d’expertises, que les redevances réclamées correspondent à la juste valeur marchande des biens et services fournis au franchisé.

Par ailleurs, on ne peut passer sous silence l’influence que le jugement Quesnel pourrait avoir sur les procédures déposées dans un autre dossier par une association de franchisés Jean Coutu : Sopropharm. Dans cet autre dossier, Sopropharm demande l’autorisation d’intenter une action collective contre PJC sur la base d’une contravention à l’article 49 du Code. À suivre.