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Préparation aux dispositions de la LCAP relatives au droit privé d’action

Auteur(s) : Christopher Naudie, Adam Kardash

6 avril 2017

Les dispositions de la LCAP relatives au droit privé d’action entrent en vigueur le 1er juillet 2017. Dans le présent article, Adam Kardash, chef national du groupe de pratique du respect de la vie privée et de la gestion de l’information chez Osler, interviewe Christopher Naudie, associé, Litige, chez Osler, et coprésident national du groupe Recours collectifs, au cabinet, sur les répercussions de ces dispositions et sur la façon dont les organisations peuvent s’y préparer.


ADAM : Nous avons abondamment parlé, au cours de nos conférences téléphoniques mensuelles AccessPrivacy, de la Loi canadienne anti-pourriel (LCAP). Jusqu’à maintenant, nous nous sommes essentiellement préoccupés de la conformité à la LCAP, notamment de la façon dont les organisations peuvent se conformer à la Loi, et des risques liés à l’application de la réglementation par le CRTC. Même si cela demeure une question cruciale, le contexte de la LCAP changera considérablement, croyons-nous, le 1er juillet 2017. Pour en parler, nous avons avec nous Christopher (Chris) Naudie, de notre service du Litige.

Chris, qu’arrivera-t-il, le 1er juillet de cette année?

 

CHRIS : Comme vous le savez, la plus grande partie des dispositions de la LCAP sont entrées en vigueur le 1er juillet 2014. Depuis, le CRTC a mis en vigueur les dispositions anti-pourriel et antiprogrammes malveillants de la Loi. Cependant, la mise en œuvre de certaines dispositions de la Loi a été retardée jusqu’en 2017, ce qui accordait, en quelque sorte, un délai de grâce aux organisations pour qu’elles puissent se conformer à la Loi.

Le 1er juillet 2017, ce délai de grâce sera écoulé, et les organisations qui ne se seront pas conformées à la LCAP seront susceptibles d’être poursuivies par les personnes touchées. Il s’agit du « droit privé d’action » aux termes de la LCAP. Essentiellement, la Loi autorisera les personnes touchées à poursuivre les organisations et leurs dirigeants, administrateurs et mandataires pour de prétendues violations de la LCAP.

 

ADAM : Pourquoi nous attendons-nous à ce que cela change considérablement le contexte? Nous savons tous qu’il est coûteux d’intenter une poursuite privée, et même inabordable, pour la plupart des particuliers. Par exemple, il serait difficile d’imaginer qu’un consommateur qui aurait reçu un pourriel retienne les services d’avocats et dépense des milliers de dollars en vue de poursuivre le détaillant et de recouvrer une somme minime.

 

CHRIS : C’est là que le recours collectif entre en jeu. Bien sûr, vous avez raison lorsque vous dites qu’une poursuite individuelle au titre de la LCAP ne serait pas sensée, sur le plan économique. Il faudrait que cette personne prenne part à un recours collectif représentant des milliers de personnes touchées par le pourriel. Nous nous attendons à ce que l’effet le plus important du droit privé d’action soit de motiver des avocats en recours collectif à se charger de ces affaires, moyennant des honoraires conditionnels.

Comme plusieurs d’entre vous le savent déjà, les recours collectifs liés aux pourriels et aux appels automatisés constituent des sources d’affaires très importantes pour les avocats américains, et de nombreuses organisations exploitées aux États-Unis ont été touchées, y compris celles qui ont une grande visibilité, telles que Uber, Facebook, Twitter et Bed, Bath & Beyond. Toutefois, les activités qui sont assujetties à une loi s’apparentant à la LCAP aux États-Unis sont, dans la plupart des cas, beaucoup moins étendues qu’ici.

Compte tenu de ce fait, et du fait que de nombreuses organisations touchées par ces recours collectifs aux États-Unis lancent des campagnes de marketing parallèles au Canada, les avocats des demandeurs canadiens, qui collaborent souvent étroitement avec les avocats en recours collectifs des États-Unis, auront, dans bien des cas, peu à faire lorsqu’ils copieront les demandes au titre des dispositions antipourriel américaines pour les adapter à la LCAP.

Fait à noter, ces avocats connaissent la date butoir du 1er juillet depuis deux ans. Ils ont eu le temps de songer à leur approche et de l’élaborer, de chercher les cibles appropriées et de se préparer. Si je suis cynique, je vais parier que plusieurs grands cabinets de recours collectifs ont déjà des avant-projets de demandes sur leurs écrans, qu’ils sont prêts à envoyer à 12 h 01, le 1er juillet.

 

ADAM : Alors, en plus du risque de mise en vigueur par le CRTC, les particuliers pourront maintenant poursuivre des organisations directement pour violation de la LCAP? Et qu’en est-il des organisations déjà ciblées par les enquêtes et les sanctions du CRTC?

 

CHRIS : Oui. Une entreprise peut faire l’objet de ces actions individuelles, en plus d’être ciblée par les enquêtes et les sanctions du CRTC. Cependant, la LCAP limite les tribunaux dans les dédommagements qu’ils peuvent accorder à une personne, dans le cadre d’un recours collectif aux termes de la LCAP, si l’entreprise touchée a déjà contracté un engagement avec le CRTC, ou si on lui a signifié un procès-verbal pour le même comportement. Étant donné l’application relativement sporadique de la LCAP par le CRTC jusqu’à maintenant, cela ne se révélera peut-être pas un obstacle pratique.

 

ADAM : Quels genres de comportements sont visés?

 

CHRIS : Essentiellement, des demandes au titre de la LCAP peuvent être déposées contre des organisations dans les cas suivants :

  • l’envoi de messages électroniques commerciaux, à moins que le destinataire ait donné son consentement exprès ou tacite, et que le message soit conforme aux exigences réglementaires, quant à la forme et au contenu;

  • l’installation d’un logiciel dans un dispositif sans consentement;

  • l’envoi de messages électroniques faux ou trompeurs, ou la collecte d’adresses de courriel sans consentement.

 

ADAM : Ces actions aux termes de la LCAP peuvent-elles être intentées contre des organisations non canadiennes?

 

CHRIS : Oui. Les organisations qui sont à l’extérieur du Canada et qui envoient des messages à des ordinateurs situés au Canada ou qui installent des programmes d’ordinateur dans des appareils au Canada devront également se conformer aux exigences de la LCAP. Étant donné que les messages électroniques et les programmes d’ordinateur traversent souvent les frontières, il est probable que si un recours collectif alléguant un certain comportement est intenté aux États-Unis, un recours collectif semblable sera intenté au Canada.

 

ADAM : Si une organisation se trouve du mauvais côté d’un recours collectif en vertu de la LCAP, que risque-t-elle, sur le plan financier?

 

CHRIS : Il y a un certain nombre d’éléments qui auront une incidence sur le risque financier, selon la façon dont l’action sera formulée. Cependant, disons, par exemple, que dans le cas d’une campagne de marketing par courriel qui n’est pas conforme, on pourrait s’attendre à voir

des demandes pouvant atteindre 200 $ pour chaque courriel non conforme envoyé, jusqu’à concurrence de 1 000 000 $ par jour. Pour utiliser un exemple très simplifié, la campagne de marketing par courriel type d’une organisation pourrait comporter des envois à quelque 5 000 personnes dont les noms figurent sur ses listes; on en arriverait ainsi à un recours collectif de 1 000 000 $ pour une campagne d’une journée. Et, habituellement, toute initiative de marketing réelle comporte plus d’un envoi par destinataire. La même campagne, disons pour le solde des fêtes d’un détaillant, pourrait comporter l’envoi de trois courriels (là encore, ce n’est pas irréaliste), et nous en arrivons à un recours collectif de 3 000 000 $.

Par ailleurs, ces poursuites peuvent aussi porter sur d’autres types de « préjudices » subis par les personnes victimes d’une violation de la LCAP, tel le temps perdu à établir la plainte, ou à tenter de se désabonner, ou parce que leur ordinateur a planté à cause d’un logiciel malveillant.

Bien sûr, il faut aussi compter les frais juridiques de la défense d’un recours collectif, qui peuvent grimper très rapidement.

 

ADAM : Cela semble plutôt catastrophique. Y aura-t-il de bons moyens de défense, dans ces recours collectifs?

 

CHRIS : Oui. La LCAP prévoit une défense fondée sur la diligence raisonnable. Pour se prévaloir d’une défense fondée sur la diligence raisonnable, une organisation doit démontrer qu’elle a pris toutes les mesures valables pour éviter l’événement qui est survenu. La question de savoir si une organisation peut démontrer cela dépend du contexte et des faits, dans chaque affaire. Le tribunal examinera un certain nombre de facteurs, notamment l’utilisation par l’organisation de systèmes et procédures de prévention. Les mesures de prévention peuvent être des programmes de formation des vérifications internes et externes et des évaluations des risques. En donnant la preuve qu’elle a déployé des efforts continus, véritables et étendus pour mettre en œuvre une politique relative à la LCAP, la société étaiera de façon importante la conclusion selon laquelle elle a exercé la diligence raisonnable requise.

Cela dit, dans le contexte d’un recours collectif, cela pourrait malheureusement vouloir dire des années de défense dans une affaire, avant d’en arriver à de solides arguments de défense. Si vous craignez que votre organisation ne coure des risques, il existe un certain nombre de stratégies préliminaires clés qui peuvent être réalisées pour limiter la portée des demandes, pour écraser les demandes dans l’œuf et favoriser des règlements rapides si le risque couru par votre organisation est trop grand. Les organisations devraient s’employer bien avant le 1er juillet 2017 à revoir leurs processus en vue de réduire le risque d’être soumises à des procédures en vertu de la LCAP ainsi que d’évaluer réalistement les risques et d’établir les meilleures défenses en cas de recours collectif, le cas échéant.

 

ADAM : Qu’en est-il des comportements qui ont eu lieu avant que ces nouvelles dispositions de la Loi n’entrent en vigueur? Les demandeurs pourront-ils intenter des poursuites rétroactivement pour des comportements qui ont eu lieu deux ou trois ans plus tôt?

 

CHRIS : En deux mots, personne ne le sait avec certitude. Nous savons que certains avocats des demandeurs tenteront d’intenter des poursuites, en alléguant des violations de la LCAP survenues avant le 1er juillet 2017.

Toutefois, nous avons l’intention de contester, si cela se produit. Compte tenu du contexte plus vaste et de l’intention du gouvernement, il est clair que le but du report du droit privé d’action était que celui-ci ne puisse être appliqué aux prétendues violations survenues avant le 1er juillet 2017. Une conclusion différente irait à l’encontre de l’objet visé par le report du droit privé d’action à l’origine.

 

ADAM : De quelles autres façons croyez-vous que la Loi pourrait être contestée, dès le départ?

 

CHRIS : Il y a eu certaines discussions dans les cercles universitaires et juridiques, selon lesquelles la LCAP pourrait être contestée sur la base de motifs constitutionnels parce qu’elle restreint indûment la liberté d’expression. La définition que donne la LCAP de « message électronique commercial » est vague, large et universelle : elle lance un vaste filet qui attrape de nombreuses activités commerciales valides. De plus, il est très coûteux de s’y conformer. Même si certaines restrictions sont justifiées, la LCAP est à portée excessive et ressemble trop à une interdiction absolue.

La possibilité que la LCAP soit invalidée ne devrait toutefois pas constituer une raison de ne pas se conformer à cette loi. Il pourrait falloir des années avant qu’une action ne se rende assez loin pour que ce résultat soit atteint, et ce résultat n’est aucunement assuré.


Cet article est une transcription légèrement modifiée de la conférence téléphonique mensuelle AccessPrivacy d’Osler, qui a eu lieu en janvier 2017. Pour vous abonner à ces conférences téléphoniques mensuelles gratuites, veuillez vous inscrire ici.